Gabon: 'Le CTRI doit donner au peuple des signaux d'une séparation réelle des pouvoirs Exécutif, Législatif et Judiciaire' - Nestor Bingou

La main levée de la mesure d'assignation à résidence surveillée de Monsieur Ali Bongo Ondimba. Nestor Bingou, Magistrat radié donne son humble avis.

Il y a quelques jours, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) annonçait la fin de la mesure d'assignation à résidence surveillée de Monsieur Ali Bongo Ondimba, mesure prise à la suite du coup de force militaire du 30 Août qui l'avait déposé. Loin de verser dans un juridisme stérile, il importe ici d'apprécier l'opportunité de cette mesure (I) et d'examiner succinctement ses conséquences logiques (II).

I- L'opportunité de la mesure

Le 30 Août 2023, les forces de défense et de sécurité déposaient Monsieur Ali Bongo Ondimba et mettaient un terme à son mandat populaire, au motif qu'un hold-up électoral était en cours et que celui-ci était susceptible, une fois de plus, de mettre le pays à feu et à sang. Cette sortie des hommes en armes avait été saluée par la liesse populaire. Le président Ali Bongo, son épouse et plusieurs de ses collaborateurs avaient été arrêtés, certains gardés à vue, d'autres placés en résidence surveillée. Le lendemain, un comité militaire était mis en place avec pour mission auto définie d'assurer une transition et de restaurer les institutions.

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Dès les premières investigations, le CTRI aurait découvert des cas graves de malversations financières, haute trahison, faux et usage de faux, etc. Certains hauts cadres du régime déchu ont été interpellés. Mais, aussi curieux que cela paraisse, alors que cette vaste opération de lutte anticorruption touchait à peine l'environnement professionnel et civil du président déchu, le CTRI par une décision de sauvetage miraculeux, a levé la mesure d'assignation à résidence surveillée de Monsieur Ali Bongo Ondimba, au motif pris de ce qu'il aurait une santé fragile, et que cette mesure lui permettrait de suivre des soins de santé à l'étranger à sa convenance.

Cet argument sanitaire utilisé par le CTRI est malheureusement jugé spécieux par bon nombre d'observateurs de la vie politique gabonaise, et ce, pour plusieurs raisons. En effet, dès l'annonce de l'accident vasculaire cérébral (AVC) de Monsieur Ali Bongo Ondimba, le mouvement politique « Appel à agir » avait saisi en vain la quasi-totalité des institutions du pays pour que soit pratiquée sur ce dernier une expertise médicale pouvant attester de ses capacités physiques et mentales à assumer encore ses charges.

La Cour constitutionnelle, organe régulateur du fonctionnement des institutions, avait jugé sans fondement la demande en justice du Mouvement « Appel à agir », estimant que Monsieur Ali Bongo Ondimba était apte à assumer ses fonctions. Ce dernier n'a d'ailleurs jamais lui-même laissé paraître l'ombre d'un quelconque doute sur son état physique ou mental, affirmant ici et là qu'il avait « de l'énergie à revendre ». Mieux, pour se porter candidat à l'élection présidentielle d'Août 2023, Monsieur Ali Bongo Ondimba a été examiné par une commission médicale indépendante, qui l'a également jugé apte à assumer la charge présidentielle. Ce dernier n'a donc pas officiellement d'antécédents médicaux susceptibles de nécessiter un aménagement particulier de son traitement. La précipitation du CTRI à lui accorder la liberté apparaît alors comme une volonté inopportune de faciliter sa sortie du territoire national afin de se soustraire de la Justice.

II- Les conséquences logiques

Il est officiellement connu que Monsieur Ali Bongo Ondimba ne souffre d'aucune pathologie pouvant nécessiter la prescription d'un arrêt maladie. Or, ce dernier a déclaré devant les caméras du monde qu'il a été absent de son poste pendant 5 ans et le Général président Brice Clotaire Oligui Nguema l'a relevé dans une de ses interventions publiques, pour justifier les poursuites judiciaires contre certains membres de l'entourage du président déchu.

Un tel raccourci ne saurait malheureusement prospérer dans un Etat de Droit, même en régime d'exception car, s'il était effectivement advenu que des individus peu recommandables ont fait mains basses sur les ressources et les institutions de la République, la responsabilité incomberait à l'homme qui avait prêté le serment pour la défense de la République et qui visiblement a abandonné ses fonctions pendant cinq ans, laissant cours à l'action des vandales.

Où était-il alors que son état santé était réputé officiellement solide ? La réponse à cette question permettrait de s'assurer que ce dernier n'a pas volontairement livré la République aux vandales, ce qui serait naturellement constitutif du crime de haute trahison.

En revanche, si le président déchu avait effectivement été victime des ennuis de santé qui l'ont temporairement éloigné des Affaires publiques, il appartenait dans ces circonstances au Gouvernement, au Parlement et à la Cour constitutionnelle de prendre des dispositions qui s'imposent pour protéger la Nation. Dans ce cas, il est nécessaire de s'assurer que ces institutions ont pleinement joué leur rôle. Dans le cas contraire, les responsables de ces institutions doivent répondre de leurs actes devant la loi pour Haute trahison et complicité de pillage de la Nation. Les vice-présidents de la République, la présidente de la Cour constitutionnelle, les présidents du Sénat et de l'Assemblée Nationale, ainsi que tous les premiers ministres nommés après l'AVC de Monsieur Ali Bongo Ondimba, doivent répondre de leurs actes devant la Justice.

Le CTRI est donc attendu sur le terrain de l'action et non sur celui de la propagande à la soviétique, faute de quoi, les poursuites engagées contre Madame Sylvia Bongo Ondimba et consorts apparaîtront comme la mise en oeuvre d'une autre Justice des vainqueurs. Ce qui serait dommage. Si Monsieur Ali Bongo Ondimba et les responsables des institutions constitutionnelles avaient pleinement joué leur rôle dans la défense de la Nation, les vandales n'auraient jamais fait mains basses sur les finances publiques et les institutions de la Nations.

Ces hautes autorités doivent alors répondre de leurs actes devant la Justice. Faute de quoi, le CTRI ferait preuve de Justice, en libérant également Madame Sylvia Bongo Ondimba et consorts. Il n'y aurait de Justice qui vaille dans la protection des principaux instigateurs du désordre public et la répression de quelques boucs émissaires pour servir d'exemple. Le Gabon doit désormais se passer de ces méthodes bongoïstes.

Nul n'étant au-dessus de la loi, il nous faut désormais tourner la page de l'impunité. L'engagement du syndicat des Magistrats à accompagner la Transition, doit être assorti d'une clause d'indépendance réelle de la Justice, pour que cette institution ne serve plus de bras séculier aux hommes politiques dans leur dessein inavoué de neutralisation judiciaire des adversaires.

Le CTRI doit donner au peuple des signaux d'une séparation réelle des pouvoirs Exécutif, Législatif et le Judiciaire. Cela passera aussi par l'oeuvre de réparation des préjudices subis par les Magistrats qui ont payé de leur carrière la défense de l'indépendance de la Justice, bien entendu après vérification de la véracité des faits qui leur étaient reprochés. Ce n'est qu'à ce prix que le Général Président Brice Clotaire Oligui Nguema marquera la différence entre son oeuvre et celle du régime dictatorial de son prédécesseur.

Nestor BINGOU

Magistrat radié

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