Belélé Jérôme William Bationo est expert en développement et médias pour l'organisation non gouvernementale (ONG) Media in Cooperation and Transition (MICT) basée en Allemagne.
Ancien journaliste du journal burkinabè Culture & Sciences Infos, il est également consultant et formateur des organisations comme l'Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, la CENOZO et IMS, ... sur les questions du développement durable et du changement climatique. Dans cette interview qu'il a accordée au journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, par la magie des TIC, M. Bationo revient sur les défis et contraintes liés au journalisme environnemental au Burkina Faso et en Afrique en général, ainsi que le contenu du livre sur le traitement de l'information liée au développement durable et aux enjeux climatiques par les médias au Burkina Faso.
Vous avez écrit un livre sur le traitement de l'information liée au développement durable et aux enjeux climatiques par les médias au Burkina Faso. Qu'est-ce qui vous a motivé à vous pencher sur une telle problématique ?
Il faut dire que cette question liée au traitement de l'information sur le développement durable et le changement climatique est fondamentale. C'est donc ce qui m'a motivé de manière basique. Mais au-delà de cela, il faut noter que j'ai travaillé en tant que coordonnateur, responsable d'un projet média au Burkina Faso, un projet de la GIZ.
Et, dans le cadre de ce projet, j'ai travaillé avec plusieurs radios communautaires que je devais accompagner dans la production de contenus médias sur les questions agricoles et de développement durable. Dans le cadre de ce travail, j'ai constaté le gap qu'il y avait par rapport aux informations liées à ces questions et également de la manière de les traiter. Parallèlement à cela, j'ai aussi fait un master sur le climat.
J'avais donc effectué déjà quelques recherches liées au traitement de l'information au Burkina Faso. Ainsi donc au sortir de ce master j'ai voulu accentuer cela en mettant l'accent sur l'information liée au climat et au développement durable. Comme j'ai travaillé comme journaliste au Burkina Faso, d'ailleurs comme stagiaire à Sidwaya, ensuite à L'Observateur Paalga et dans d'autres médias ; pour moi, c'était vraiment un retour dans un milieu que je connais assez bien.
Aussi, c'était une façon de jeter un regard rétrospectif, sur ce qui se faisait déjà comme traitement de l'information, particulièrement sur les questions liées aux enjeux climatiques qui sont, il faut le dire, d'actualité. Car, comme vous le savez très bien, tous les rapports du GIEC pointent l'Afrique subsaharienne comme étant une des zones qui sera la plus touchée par les conséquences du changement climatique. Et de nos jours notre pays et le Sahel en général font face à des crises multidimensionnelles fondamentalement aussi liées à des questions de gestion des ressources.
Donc, l'un à l'autre, c'est tous ces aspects qui m'ont motivé à écrire, à proposer cette synthèse. Une synthèse de la recherche que j'avais faite et qui m'a amené à produire ce document afin de permettre à tous de se pencher sur la question. Ce livre n'est pas exhaustif et il nous invite tous à la poursuite de la réflexion.
Quelles sont les grandes articulations de votre ouvrage ?
Dans ce livre, c'est une base que je pose. J'invite pleinement les médias à s'intéresser à cette question du changement climatique. Donc les articulations de cet ouvrage se consacrent, d'abord sur une petite rétrospective de l'univers des médias au Burkina Faso. Ensuite, c'est l'occasion, à travers ce livre, de parler de ce que c'est que l'information climatique et les informations liées au développement durable.
Puis, je montre les résultats des recherches que j'ai mené sur le terrain. Parce que j'ai mené une enquête de terrain qui nous a amenés dans plusieurs villages pour savoir comment les populations percevaient le thème de l'information de façon globale et comment elles percevaient le thème de l'information liée à ces questions de changement climatique dans les médias.
À la suite des résultats de cette recherche nous présentons les données récoltées auprès des médias, les observations des parutions et aussi de la recherche en ligne que nous analysons. Enfin, nous avons parlé des perspectives et d'une technologie pour laquelle nous avons travaillé. Une technologie de l'information que nous utilisions et qui a donné de bons résultats. Donc, ce livre s'articule aussi autour de cette technologie appelée Pocket FM et sa plateforme d'information que nous avons aidé à concevoir et à mettre en place.
Quelle appréciation faites-vous du traitement de l'information environnementale et climatique par les médias burkinabè ?
On peut dire que les questions climatiques et environnementales sont très centralisées auprès des institutions et organismes spécialisés sur ces sujets. Elles sont beaucoup moins dans les meìdias et ne tiennent pas compte du quotidien et des besoins d'information des populations. Comme je l'ai mentionné dans le livre, qui fait un résumé global de ce que nous faisons comme appréciation, le traitement de ce type d'information dans les médias au Burkina Faso est très faible. Parlant un peu de force, il faut dire que nous avons assez de chercheurs.
Nous avons assez d'experts Burkinabè à travers le monde et au Burkina Faso qui peuvent partager des données et communiquer des informations utiles pour les médias. Ce qu'il faut c'est une mise en relation entre les chercheurs, les médias et toutes ces personnes qui interviennent sur les questions du développement durable, des questions de l'environnement et du changement climatique.
Concernant les faiblesses je vais essayer de retracer d'abord dans la formation et la spécialisation des journalistes. C'est à dire que les journalistes doivent être assez outillés sur ces questions parce qu'elles sont assez complexes. Comme vous le savez très bien, par exemple il y a les climato-sceptiques qui pensent qu'il n'y a pas de changement climatique du fait de l'homme et qu'il n'y a pas à craindre.
Donc pour un journaliste qui n'est pas assez formé ça sera très difficile de contrer cela et qu'il soit en mesure de communiquer des informations justes, justifiées et documentées sur la base de ses connaissances. Aussi, dans sa démarche vers les experts il faut qu'il sache quoi chercher afin de pouvoir rendre cela digeste à travers un média. L'autre faiblesse c'est l'intérêt même des médias et des patrons de la presse sur ces questions.
Qu'est-ce qui explique ou justifie ce faible niveau moyen de couverture des sujets environnementaux et climatiques par les médias burkinabè ?
La faible couverture des questions climatiques par les meìdias burkinabè se justifie par plusieurs raisons, notamment l'intérêt des médias pour ces sujets comme je l'ai mentionné plus tôt et le manque de ressources à plusieurs niveaux. Par exemple, il y a le manque de ressources techniques et financières au niveau institutionnel pour mettre ces sujets au coeur des préoccupations des médias.
Mais aussi le manque de ressources humaines qualifiées pour traiter de ces sujets au sein des médias. Pour aborder certains aspects de ces sujets il faut être documenté, savoir où trouver les données et les interpréter. Il faut savoir faire de la modélisation avec ces données et les informations recueillies. Puis, rendre tout cela accessible aux populations à travers un langage simple et digeste. Cela n'est pas toujours évident.
Comme explication, on peut aussi parler de comment les politiques publiques abordent ces sujets car les médias arrivent difficilement à faire le lien entre plusieurs problèmes du quotidien et ces sujets. Pourtant il y a, par exemple, la possibilité de trouver des liens entre les questions du développement économique et social et le changement climatique, les questions de santé publique et le changement climatique, la mauvaise gestion des infrastructures et l'environnement, les conflits communautaires et le changement climatique, le terrorisme et le changement climatique, etc.
Donc en résumé il faut des ressources à tous les niveaux. Surtout, quand on n'est pas assez outillé, il est difficile de pouvoir aborder ces questions scientifiques de manière approfondie. Tout cela constitue donc de nos jours, si on veut le dire ainsi, des barrières qui ne permettent pas qu'il y ait une très grande couverture des sujets climatiques dans les médias.
Qu'est-ce qui freine la spécialisation des journalistes en matière environnementale et climatique sous nos tropiques ?
Il faut dire que les responsabilités sont partagées. Tout simplement parce que la spécialisation nécessite également des ressources. Non seulement il faut que les journalistes aient le temps et la possibilité de se former, mais au-delà de cela il faut de l'intérêt. L'intérêt ici peut être guidé par la passion pour ces domaines notamment pour les sciences. Mais aussi il faut que le patron du média où officie le journaliste trouve un intérêt dans la spécialisation de celui-ci afin de l'accompagner dans ce sens.
Il y a également le degré de l'intérêt pour ce type d'information que les journalistes suscitent auprès des lectorats et de leurs audiences. Donc, il faut que les médias trouvent en quoi le traitement de l'information climatique et environnemental peut susciter un engouement pour donner envie à une spécialisation. Car, il ne faut pas oublier que les entreprises de presse doivent vivre de leur travail. Et pour faire des recettes, il faut parler de ce qui attire les lecteurs, les auditeurs et/ou les téléspectateurs.
Dans ce sens, étant donné que le traitement de ces questions n'a pas forcément un impact significatif dans la vente des journaux ou la croissance de l'audimat, les patrons de presse sont obligés de s'intéresser à d'autres questions et sujets du quotidien. Peut-être des questions superficielles, mais qui capte les populations.
Ces patrons de presse faisant du business comme on le dit aussi, sont pris dans ce système à certains égards, de la nécessité du fait des ressources limitées, de faire des recettes. Pourtant il y a vraiment de la matière. Il y a la possibilité de rendre ces informations très attractives à tous les niveaux. Je pense que les médias et les acteurs qui interviennent dans ce domaine peuvent trouver vraiment de la ressource pour pouvoir le faire.
Les organismes (ministères, ONG, OSC, institutions régionales et internationales, instituts de recherche, etc.) intervenant dans les domaines de l'environnement, du climat, du développement durable, ont-ils un rôle à jouer dans l'accompagnement des médias et des journalistes vers la spécialisation ?
Exact. Ils ont un rôle à jouer à tous les niveaux. Ce sont d'ailleurs des points que nous avons naturellement abordé dans notre livre. Il faut qu'il y ait dans le travail des journalistes, mais aussi des institutions, des organismes au niveau national et international, une certaine symbiose de travail qui permette aux uns et aux autres de contribuer substantiellement. Aussi bien que ce soient les médias, mais surtout que ces organismes puissent tirer profit et bénéficier de la capacité des médias.
Dans l'autre sens que les médias puissent profiter de ces organismes pour former les journalistes. Il faut dire qu'il y a également la société civile, le secteur privé qui ont également des rôles importants à jouer et qui peuvent contribuer à un meilleur accès à l'information climatique. En effet, ils pourraient créer des partenariats entre les médias, les organisations de la société civile ou le secteur privé pour un partage des ressources afin de promouvoir une compréhension de l'information climatique.
Donc, il faut que ces différentes organisations, aussi bien sous régionales qu'internationales, se focalisent davantage sur les programmes, les financements pour soutenir les initiatives nationales des communautés, notamment des médias afin de contribuer à la précision des données climatiques et leur accessibilité dans les médias. Cela inclut aussi des programmes de coopération entre les pays avec, bien sûr, l'appui de ces organisations parce qu'il faut dire que le changement climatique et les enjeux environnementaux n'ont pas de frontières.
Cela permettra de partager les informations et les technologies afin que les médias puissent être un peu plus aguerris à traiter de ces informations. Ce sont des questions qui doivent être au coeur des politiques de développement, des décisions des autorités et même des programmes politiques.
Quel est l'avenir du journalisme climatique et environnemental en Afrique ?
Je ne saurai pronostiquer sur l'avenir du journalisme climatique et environnemental en Afrique mais le constat est que ce sont des questions qui sont de plus en plus posées. Les différents rapports du GIEC pointent le continent et notamment la partie subsaharienne comme étant une des zones qui sera la plus touchée par les conséquences du changement climatique comme je l'ai dit plus tôt.
Cela y va aussi de l'avenir qu'on accordera à ce type de journalisme. Toutefois, je pense aussi que, les alternatives à l'adaptation au changement climatique pourraient venir de l'Afrique. Des solutions peuvent naître de nos approches endogènes par rapport au reste du monde. Cela ne peut se faire seulement qu'avec l'accompagnement des journalistes et des médias en rapport avec ces questions. Ainsi, les médias, notamment ceux d'Afrique, ont l'obligation d'être au coeur de ces questions. Donc, l'avenir est tout tracé pour les journalistes spécialisés sur ces questions.
Quels mécanismes ou alternatives pour une meilleure promotion du journalisme environnemental et climatique au Burkina, voire en Afrique ?
Je pense que, comme pour tous les autres secteurs, il faut que les gens se sentent impliqués dans le traitement de l'information liée à cette question du changement climatique ou des questions environnementales. Il faut également que le traitement des informations liées à ces questions, ait un visage humain, que cela soit en rapport avec le quotidien des populations.
Il faut le contextualiser parce qu'il n'y a pas que la promotion à travers les campagnes de sensibilisation. Il faut que les gens se sentent impliqués. Il faudrait que l'agriculteur quand il écoute une émission sur ces aspects, qu'ils sentent ça au pied de sa maison. Il ne faut pas que cela soit lointain. Il ne faudrait pas qu'en écoutant les émissions ou bien en lisant les médias, pour ceux qui en sont capables, ils se sentent éloignés des informations qui sont données. Parce qu'il faut dire que ce sont parfois des situations, où on parle par exemple de la fonte des glaciers et ainsi de suite.
C'est bien vrai, cela existe, mais ce n'est pas assez contextualisé pour l'auditeur de mon village au Burkina. Ce n'est pas évident qu'un grand nombre de la population serait intéressé à suivre ou bien à comprendre cela. Donc il faut que l'information soit contextualisée et que les gens se sentent impliqués directement dans le fond. Mais aussi que le sujet interroge leur quotidien. Il y a des cas spécifiques, comme ça par exemple ce qui concerne la préservation de la biodiversité.
Je le dis très souvent que dans certaines pratiques culturelles et cultuelles africaines, qui faisaient de certains espaces sacrés comme les forêts, les bosquets, etc. cela permettait à la vie, à la végétation et à l'environnement de se régénérer. C'étaient des mécanismes qui interdisaient aux populations de toucher à ces endroits, de couper les arbres ou d'y jeter des ordures et cela contribuait à la préservation de la biodiversité.
Nos ancêtres avaient trouvé ces solutions depuis des lustres d'où la nécessité pour nous, en tant que journaliste, de repenser toutes ces questions et de les remettre au goût du jour et les contextualiser. Tout cela pourrait contribuer à la promotion du journalisme environnemental et climatique.
Vous organisez un évènement appelé Africa Green Week, dans quelques jours à Bobo-Dioulasso, de quoi s'agit-il ?
En effet, du 11 au 14 octobre, nous organisons Africa Green Week, qui est une manifestation itinérante, il faut le dire, que nous avons voulu tenir au Burkina Faso malgré le contexte actuel qui, pour nous est la conséquence de ces problèmes liée au changement climatique et aux enjeux environnementaux. Donc nous avons voulu que la première édition se tienne au Burkina Faso mais également au Congo.
Nous allons, à travers cet événement itinérant, inviter les experts, les scientifiques, les populations, les agriculteurs et les médias et bien sûr les activistes, toutes les ONG et toutes les personnes qui interviennent dans ces secteurs à discuter de la protection de l'environnement et bien sûr, à parler des innovations vertes et des mécanismes d'adaptation au changement climatique en Afrique, notamment dans le Sahel et dans le bassin du fleuve Congo.
Donc, c'est une manifestation qui est composée de plusieurs activités interactives telles que des tables rondes, des ateliers, mais également des conférences et une exposition à travers un salon et aussi des visites de terrain. Nous aurons également des projections de films sur les questions du climat, des échanges entre participants et les experts. Ça sera aussi une occasion pour les participants de nouer des contacts entre eux et de s'informer auprès des chercheurs.
Nous mettons en place cet évènement car nous avons constaté que, quand il s'agit de parler des questions du changement climatique, la question de la préservation de l'environnement, les questions de la biodiversité, en Afrique on reçoit beaucoup plus qu'on en propose de solutions liées réellement à notre vécu. Pourtant il y a des mécanismes de protection et d'adaptation au niveau africain qui ont toujours existé et qui méritent d'être valorisés.
Donc, nous voudrons que nos communautés locales, soient reconnues comme des partenaires légitimes dans la proposition des politiques environnementales et climatiques ainsi que dans la gestion des ressources naturelles. Il faut donc impliquer davantage la population locale, valoriser les connaissances locales africaines pour faire face à ces enjeux du moment. C'est ce qui justifie globalement la tenue de cet évènement.