La violence trouve un terrain qui lui est favorable aussi bien dans l'ignorance des textes de loi, dans l'influence rétrograde et pro-machiste des sociétés ultra-conservatrices et patriarcales que dans l'impunité et l'inapplication de la loi en bonne et due forme.
La loi organique 2017-58 du 11 août 2017, relative à l'élimination de la violence à l'égard des femmes, impose aux coupables des pénalités allant de deux à vingt ans d'emprisonnement, ainsi qu'une amende de deux mille dinars, voire la prison à vie en cas de violence ayant causé la mort de la victime.
Et pourtant, certains tiennent à récidiver, violer les principes humains, ceux des droits de l'Homme et ceux moraux et infliger à la gent féminine des supplices, à la merci de la loi de la jungle et celle du plus fort.
La violence basée sur le genre continue à avancer à pas de géants.
Elle persiste, telle une tare dure à guérir, impactant à vie, les femmes mais aussi leurs progénitures lesquelles sont, dans bien des cas, des témoins contraints de conflits familiaux et conjugaux des plus atroces.
C'est que la violence trouve un terrain qui lui est favorable aussi bien dans l'ignorance des textes de loi, dans l'influence rétrograde et pro-machiste des sociétés ultra-conservatrices et patriarcales que dans l'impunité et l'inapplication de la loi en bonne et due forme.
216 signalements en un mois
En effet, dans notre société, la violence à l'égard des femmes constitue une atteinte à la dignité à prévenir et une infraction à condamner et à pénaliser.
Les données publiées par le ministère de la Famille, de la Femme, des Enfants et des Personnes âgées et relatives aux signalements sur des violences sur fond de genre, enregistrés au bout d'un mois, soit du 25 juin au 25 juillet 2023, nous renseignent sur 216 signalements, reçus via la ligne verte 1899.
Près de la moitié de ce nombre (46%) correspond à des femmes en situation de vulnérabilité économique.
Les 216 signalements dénoncent autant de formes de violence, soit 158 signalements de violence à caractère verbal, 84 d'ordre psychologique et moral, 156 d'ordre physique et matériel, 39 sont à l'origine économique et 19 autres violences sexuelles. Le profil dominant correspond à des femmes âgées de 30 à 49 ans (34% des trentenaires et 20% quadragénaires).
L'on constate, aussi, que 25% des femmes victimes de violence ont un niveau d'instruction secondaire et 18% universitaires.
Il est à retenir, en outre, que le nombre de signalements faits à la ligne verte 1899 a quasiment doublé en juin 2023, et ce, en comparaison avec la même période en 2022.
Cette évolution revient aussi à la garantie de la disponibilité de l'écoute, de jour comme de nuit.
L'évolution redoutable de la violence à l'égard des femmes est telle qu'elle pousse l'Etat et la société civile à multiplier la création des centres d'hébergement et de protection des femmes victimes de violence ainsi que leurs enfants.
«Aroua Al Kayraouaniya» vient en aide aux Kairouanaises
Parmi lesdits centres, figure le Centre «Aroua Al Kayraouaniya» à Kairouan, relevant de l'Union nationale de la femme tunisienne (Unft).
Il a été créé en novembre 2017, afin de venir en aide aux femmes agressées dans cette région.
Il vient aussi compléter le travail d'une cellule d'écoute active depuis 2014.
«Avant la création du centre, nous dotions les victimes de violence des prestations d'encadrement, de conseil et d'orientation. L'instauration de la loi organique 58-2017 sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes nous a encouragées à aller de l'avant et à miser beaucoup sur la protection temporaire des femmes dans l'attente qu'elles acquièrent en autonomie et qu'elles soient en sécurité ainsi que leurs enfants», indique Mme Manel Kochat, directrice du centre.
En dépit de la faible capacité d'accueil, qui se limite à sept lits pour adultes et trois lits pour bébés, le centre a été tout de même un havre de paix d'une cinquantaine de femmes fuyant la violence et la cruauté, et ce, depuis sa création jusqu'à sa fermeture temporaire pour manque de fonds, en 2020.
Cela dit, sa mission devient plus rude, notamment avec l'augmentation du nombre des cas de violence.
«Le nombre des femmes accueillies dans le centre a plus que triplé, passant de cinquante femmes en 2017-2020 à 65 femmes accompagnées de leurs enfants (70 enfants), et ce, au bout d'un an (soit de septembre 2022 à septembre 2023). La plupart d'entre elles relèvent des catégories sociales vulnérables», ajoute-t-elle.
La précarité nourrit la violence
Il faut dire que la situation financière impacte sensiblement sur la vulnérabilité des femmes, notamment dans les sociétés conservatrices, voire dans le milieu rural.
D'après l'expérience de Mme Kochat, les différentes formes de violence trouvent leur assise dans la violence économique.
Economiquement dépendantes, les femmes sont plus sujettes à la violence.
Pis encore, la précarité et l'absence du principe du respect de l'autre rendent parfois les ménages fragiles.
Et pour preuve, la courbe de la violence augmente durant les périodes où les ménages sont sous pression budgétaire, notamment durant Ramadan, les fêtes religieuses et à l'approche de la rentrée scolaire.
Loin de chercher à justifier ces actes inadmissibles, l'idée étant de comprendre les facteurs propices à la violence.
«Les femmes, dont nous recevons les signalements et qui nous sont orientées par les délégations et mêmes par les gouvernorats voisins sont âgées entre 18 et 60 ans. Elles sont victimes de violence infligée par le mari, le père, le frère, la famille et toute personne exerçant sur elles une certaine autorité», renchérit la directrice dudit centre.
Mme Kochat en a trop vu des atrocités commises sur des femmes.
Elle n'oubliera sûrement pas la femme qui a pris refuge au centre ainsi que ses filles, le visage complètement balafré.
«Son mari l'aurait tuée si elle était restée au foyer conjugal plus longtemps», fait-elle remarquer.
La formation comme une planche de salut
La prolifération inquiétante de la violence basée sur le genre revient, entre autres, --sinon en grande partie--, à la méconnaissance, par les brigades spéciales, des différents articles de la loi 2017-58.
«Les brigades spécialisées n'ont pas bien saisi, jusque-là, les différents articles de la loi. Elles n'ont pas été assez formées à cet effet.
D'autant plus que la fréquence ahurissante des cas de violence à l'égard des femmes --toutes formes confondues-- dissuade les professionnels quant à mener des poursuites judiciaires.Ces dernières ne sont menées que dans les cas les plus abominables, où la vie de la victime est sérieusement menacée», explique Mme Kochat.
Ainsi, les actes de violence sexiste finissent toujours par être pardonnés implicitement, via l'impunité et l'inapplication de la loi.
«C'est pour cette raison, d'ailleurs, poursuit-elle, que nous oeuvrons pour la sensibilisation des femmes sur leurs droits, sur la nécessité d'acquérir en autonomie financière et économique et sur l'impératif de s'opposer à toute forme de violence à leur égard, en recourant à la loi», souligne-t-elle.
Outre le travail de la cellule d'écoute, l'hébergement et la protection des femmes victimes de violence ainsi que leurs enfants, leur prise en charge psychologique et leur assistance juridique, le centre les oriente vers la formation professionnelle relevant de l'Unft, avec une durée ne dépassant pas trois mois.
Ceci dans l'optique de les aider à être mieux qualifiées pour le marché de l'emploi. «Le Centre s'apprête à avoir un nouveau local et une nouvelle appellation : Unftk ship.
L'objectif étant, désormais, de fournir à la population cible des prestations mieux adaptées à leurs besoins car plus globales», renchérit Mme Kochat. Néanmoins, beaucoup reste à faire en matière d'application de la loi.
Les femmes doivent, aussi, faire preuve d'intransigeance face à la violence sexiste pour stopper le fléau.