L'imposante colonne de l'armée malienne qui a quitté Gao lundi 2 octobre au matin est à présent au niveau de Tarkint, toujours dans la région de Gao, sur la route qui mène à Anefis et à Kidal. Sa destination finale reste secrète. Les autorités maliennes de transition se disent en « reconquête » tandis que les groupes armés du Cadre stratégique permanent (CSP) reçoivent des renforts du Niger voisin.
Après une étape à Tin Aouker, la centaine de véhicule des forces armées maliennes (Fama) est arrivée lundi soir à Tarkint, cercle de Bourem, à environ 120 kilomètres au nord de Gao. Sa progression a été ralentie par plusieurs incidents : le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (Jnim, son acronyme arabe), lié à al-Qaïda, a revendiqué l'attaque mardi matin « du convoi de l'armée malienne et des mercenaires de Wagner » à Tarkint. Pour cette attaque à l'engin explosif improvisé, aucun bilan transmis n'a été transmis par les jihadistes. Des sources sécuritaires locales rapportent un à six véhicules détruits et plusieurs soldats maliens blessés depuis lundi. Le Jnim, revendique également une embuscade tendue aux Fama sur un autre théâtre, dans la région de Ségou, entre Diabali et Nampala, là encore sans indiquer de bilan.
Mines du Jnim et harcèlement par le CSP
Quelques heures plus tôt, dans la nuit de lundi à mardi, une opération de « harcèlement » contre la colonne Fama-Wagner a été revendiquée par les rebelles du Cadre stratégique permanent (CSP). Cette coalition de certains groupes rebelles du Nord signataires de l'accord de paix de 2015 a repris les attaques contre les forces pro-junte de Bamako. Objectif affiché par le CSP : empêcher les soldats maliens de se reposer et les obliger à utiliser des munitions. Des échanges de tirs, lointains, ont donc eu lieu, mais pas d'affrontement à proprement parler.
Selon les dernières informations recoupées par RFI, la colonne de l'armée malienne était toujours dans la zone de Tarkint, où elle stationne donc depuis 24 heures. Le CSP indique maintenir des combattants dans le secteur. Sollicitée par RFI, l'armée malienne n'a pas donné suite.
Une « reconquête de nos terres », selon le Colonel Malick Diaw
Lundi, lors de l'ouverture de la session parlementaire d'octobre, Malick Diaw a déclaré que « la sécurité sur l'ensemble du territoire est la priorité absolue ». Sans faire directement référence à l'offensive malienne en cours, celui qui est l'un des cinq Colonels au pouvoir à Bamako et président du Conseil national de transition (CNT, organe législatif de la Transition) a ajouté : « Nous avons foi en l'avenir et nous sommes avec nos Fama dans cette reconquête de nos terres longtemps occupées par des hordes de barbares. (...) Tout peut se négocier sauf la partition du Mali. »
Vantant une fois encore la « montée en puissance » de l'armée nationale, le colonel Malick Diaw a ajouté que « le drapeau du Mali doit flotter haut, très haut, partout sur l'étendue du territoire national ».
L'influent Rhissa ag Boula appelle tous les « éléments » à « contribuer à la lutte » contre les Fama
Les rebelles du CSP ont de leur côté reçu un appui d'importance : Rhissa Ag Boula, ancien ministre et ancien chef rebelle touareg nigérien, toujours très influent, a appelé lundi 2 octobre tous ses « éléments présents au Niger » à rejoindre les forces du CSP, afin de « contribuer à la lutte » contre l'armée malienne et ses alliés du groupe russe Wagner, dans un communiqué du Conseil de la résistance de la République (organisation qu'il a créée en août dernier en soutien au président nigérien renversé Mohammed Bazoum).
Il accuse les Fama et le groupe paramilitaire d'« actions inhumaines et génocidaires » et de « violations répétées des accords d'Alger ». Rhissa Ag Boula « encourage le peuple de l'Azawad, dans son ensemble, à continuer la lutte pour libérer ce territoire ».
Pas de revendication indépendantiste des rebelles touaregs
Le CSP n'a à ce jour émis aucune revendication, autre que le retour aux dispositions de l'accord de paix de 2015. En dépit de ce que peuvent laisser croire les propos du Colonel malien Malick Diaw et du chef touareg nigérien Rhissa ag Boula, le CSP ne réclame pas l'indépendance de l'Azawad, territoire qui recouvre les régions du nord du Mali : elle l'était lors de la rébellion de 2012.
La signature de l'accord de paix de 2015 a mis un terme à cette revendication indépendantiste. Cette situation pourrait toutefois changer en fonction de l'évolution des évènements, comme l'a expliqué Attaye Ag Mohamed, l'un des dirigeants politiques de la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA) et du CSP, sur l'antenne de RFI, jeudi 28 septembre. Raison pour laquelle les partis politiques maliens appellent presque unanimement à un retour au dialogue, dans le cadre de l'accord de paix.
Destination finale inconnue de la colonne de l'armée
Si l'imposante colonne de véhicules Fama-Wagner ne saurait passer inaperçue, l'état-major des armées du Mali s'est bien gardé de divulguer quelque précision, que ce soit sur sa ou ses destinations finales. S'agit-il de la ville de Kidal ? Difficile d'imaginer que les Fama puissent progresser directement jusqu'au fief des rebelles sans rencontrer l'opposition du CSP. Son objectif pourrait être la localité plus proche d'Anefis, contrôlée depuis le cessez-le-feu de 2014 par les groupes armés du CSP.
Autre objectif possible : le camp militaire d'Aguelhoc, que la Minusma est censée quitter tout prochainement dans le cadre de son retrait du Mali, et qui se trouve également dans un territoire revendiqué par le CSP. Ce dernier qui invoque les positions figées lors du cessez-le-feu de 2014 et les arrangements sécuritaires intégrés à l'accord de paix de 2015.
À l'inverse, les autorités maliennes de transition estiment que l'armée a aujourd'hui vocation à se déployer sur l'ensemble du territoire national et en font un enjeu vital de souveraineté.
Crainte de combats violents et bombardements chez les civils
L'imminence apparente de violents combats et l'éventualité de bombardements aériens fait craindre le pire pour les populations civiles. Leur nombre a explosé ces derniers mois : en avril dernier, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) au Mali recensait plus de 22 000 déplacés internes dans la ville et la région de Kidal. Largement originaires de la région de Ménaka, où ces familles ont fui les violences du groupe terroriste État islamique, leur nombre n'a cessé d'augmenter depuis.
Le Nigérien RIssa Ag Boula appelle les touaregs du Sahel à soutenir les luttes contre Bamako Rhissa Ag Boula, grande figure de l'ex rébellion touareg du Niger soutient désormais ouvertement les rebelles maliens contre le pouvoir à Bamako. Il appelle même ses partisans armés du Niger à rejoindre les rangs des combattants maliens regroupés au sein du Cadre Stratégique Permanent (CSS) et qui ont repris les armes contre l'armée malienne appuyée par des hommes de la société russe Wagner.
Rhissa Ag Boula est une grande figure de l'ex-rébellion touareg du Niger. En août dernier, il avait réé un mouvement politico-militaire : le Conseil de la Résistance pour la République (CRR) avec pour objectif de rétablir l'ordre constitutionnel dans son pays après le coup d'État.
Aujourd'hui, il assigne au CRR une seconde mission : soutenir les ex-rebelles maliens qui ont repris les armes. Rhissa Ag Boula demande à ses partisans de traverser la frontière entre le Niger et le Mali, et de rejoindre dans le désert malien les rangs des ex-rebelles maliens réunis au sein du CSP.
Sur le terrain, les témoins n'ont pas encore remarqué une présence importante de combattants armés du Conseil de la Résistance pour la République. Il faut dire que Leur possible arrivée pourrait donner un caractère sous-régional au conflit avec les forces pro-Bamako.
Leader de la rébellion touareg dans son pays dans les années 1990, Rhissa Ag Boula avait combattu l'armée nigérienne avant de faire la paix et devenir même ministre dans un gouvernement. Les ex-rebelles touareg, on les retrouve dans toute la bande sahélo-sahélienne, et ils ont la réputation de voler au secours des leurs.