Après environ deux mois de querelles entre la France et le nouveau régime militaire au Niger, le président Emmanuel Macron a finalement décidé, le 24 septembre, de rappeler l'ambassadeur de France et de retirer les forces militaires françaises du Niger.
Il s'agit d'un revirement. Quatre semaines auparavant, Macron avait refusé de suivre les instructions des putschistes qui avaient ordonné à l'ambassadeur et aux forces françaises de quitter le pays. Il a fait valoir qu'il ne reconnaissait pas la nouvelle junte, qui a pris le pouvoir le 26 juillet, et a insisté sur le fait que ses forces resteraient dans le pays.
En tant que chercheur en politique et relations internationales, j'étudie la situation sécuritaire et la montée des insurrections au Sahel depuis plus d'une décennie. Selon moi, les actions de la France ont créé une incertitude inutile dans une région déjà en proie à l'insécurité en raison des activités djihadistes croissantes, ainsi que des six coups d'État réussis au cours des trois dernières années.
À mon avis, la France a commis une erreur stratégique. Bien qu'elle n'ait pas reconnu la junte, elle aurait dû maintenir la communication, surtout après s'être brouillée avec d'autres anciennes colonies comme le Mali et le Burkina Faso.
L'autre acteur extérieur important au Niger était les Etats-Unis. Ils ont décidé de négocier avec la junte. Contrairement à la France, ils n'ont pas qualifié la prise de pouvoir militaire de coup d'État. Les États-Unis ont repris les activités dans certaines de leurs bases au Niger, après avoir obtenu l'accord de la junte.
Les actions de M. Macron pourraient avoir trois conséquences négatives pour la région. Elles nuiront à la lutte contre le terrorisme. Elles ouvrent également la porte à une plus grande influence de Wagner, le groupe mercenaire soutenu par la Russie. Enfin, elles ont des répercussions sur la crise des migrants en Europe.
La lutte contre le terrorisme
Le Niger joue un rôle important dans la stratégie de sécurité du Sahel. Le pays est activement impliqué et contribue à des organisations de sécurité telles que le G5 Sahel et la Force multinationale mixte.
Ces organisations participent à la lutte contre le terrorisme dans la région. Outre sa contribution financière aux deux organisations, en particulier au G5 Sahel, la France participe également à la formation des forces nigériennes et au pilotage de drones de reconnaissance et d'attaque, luttant ainsi activement contre les terroristes dans la région.
La décision de la France de se retirer du Niger aura un impact sur les opérations de lutte contre le terrorisme dans la région. La France y est engagée depuis longtemps et dispose de soldats qui connaissent parfaitement la région. La perte de ces officiers créera un vide que le Niger pourrait avoir du mal à combler à court terme.
À l'instar de la France, les États-Unis ont également une présence militaire importante au Niger, où ils exploitent leur plus grande base de drones en Afrique. J'ai déjà analysé l'importance et les implications sécuritaires de la base de drones pour la région.
Pour sa part, l'Union européene contribue également à la sécurité de la région en fournissant des financements au G5 Sahel et à la Force multinationale mixte. Cette dynamique doit être maintenue afin de ne pas perdre ce qui a déjà jeté les bases d'un système de sécurité.
Le retrait des forces françaises aura un impact négatif sur le moral des soldats de l'alliance de sécurité et renforcera les groupes d'insurgés. Une augmentation des attaques terroristes a été enregistrée depuis le coup d'État.
Russie contre États-Unis
Les termes de l'accord entre les États-Unis et la junte militaire n'ont pas été publiés. Néanmoins, il n'est pas déraisonnable de supposer que l'une des raisons pour lesquelles Washington s'est assuré de rester au Niger était la crainte de perdre le pays au profit de la Russie.
Au Mali, la junte militaire a remplacé les troupes françaises par des forces Wagner. Depuis 2022, la Russie a gagné en influence par le biais du groupe Wagner après le départ de la France.
Washington voudrait éviter de perdre davantage de terrain au profit de l'influence russe. Le groupe Wagner étant déjà présent au Mali, on soupçonne que l'accord de défense entre les trois pays (Mali, Niger et Burkina Faso) pourrait étendre la présence du groupe.
En outre, les États-Unis ont investi massivement dans le Sahel, en particulier au Niger. Au cours de la dernière décennie, ils ont investi des centaines de millions de dollars dans des infrastructures de sécurité, y compris une base de drones à Agadez (centre du Niger).
Les États-Unis sont conscients du rôle que les "espaces non gouvernés" du Sahel pourraient jouer dans la propagation du terrorisme. Ce fut le cas des régions situées entre le Pakistan et l'Afghanistan, où Al-Qaida a lancé des attaques contre les États-Unis et leurs alliés occidentaux.
Ce que cela signifie pour la migration
D'autres acteurs importants au Niger, comme l'Union européenne, ne peuvent pas non plus se permettre de suivre la voie tracée par la France. L'UE a besoin de stabilité au Niger pour endiguer les trafics et éviter une nouvelle catastrophe humanitaire comme celle de 2015-16. L'Europe a connu le plus grand nombre de migrants transitant par le Niger et la Libye vers l'Europe au cours de cette période.
Il ne fait aucun doute que les régimes civils des présidents Mahamadou Issoufou et Mohamed Bazoum ont contribué à la réduction du flux de migrants transitant par le Niger vers la Libye. Alors qu'il était ministre de l'Intérieur, Bazoum a joué un rôle déterminant dans l'adoption d'une loi contre le trafic de migrants à travers le Niger. Cette loi a été défendue par Bazoum mais on pense également qu'elle a contribué à son éviction par les militaires. La junte pourrait menacer d'annuler l'accord et fermer les yeux sur le fait que les migrants passent à nouveau par le Niger pour entrer dans l'UE.
L'UE doit maintenir un canal diplomatique fort avec la junte afin de préserver la stabilité, d'empêcher une augmentation de la contrebande et de poursuivre les efforts en vue d'un retour à l'ordre démocratique.
Prochaines étapes
Bien que je comprenne qu'une diplomatie accrue avec la junte cimente son autorité, je pense que les puissances étrangères devraient accepter qu'il existe un gouvernement au Niger qui jouit d'un certain degré de popularité parmi les citoyens. Les canaux diplomatiques gelés doivent être réactivés pour éviter un effondrement total de l'architecture de sécurité du Sahel et pour parvenir à une transition rapide vers la démocratie.
Senior lecturer in Politics and International Relations, Leeds Beckett University