L'objectif du Sénégal est d'atteindre 50% du contenu local à l'horizon 2030.
Une ambition que Mor Ndiaye Mbaye, secrétaire technique du Comité national de suivi du contenu local (Cnscl) juge réalisable.
Dans un entretien avec le « Journal de l'économie sénégalaise » (Lejecos), M. Mbaye explique les dispositions, et les moyens mis en oeuvre pour y arriver.
Il revient également sur les missions dévolues au Fonds d'appui au développement du contenu local (Fdcl), et la convention de groupement relativement à la sous-traitance.
Entretien.
L'objectif qui vous est assigné d'atteindre 50% de contenu local à l'horizon 2030, en tant que secrétaire technique du Comité national de suivi du contenu local (Cnscl) est-il selon vous réaliste, si l'on sait que l'Afrique en est à 20% (le taux le plus bas du monde), contre 70% au Brésil et en Malaisie et surtout 50% en Norvège ?
Il faut rappeler que cette ambition découle de la volonté et de la vision de Monsieur le Président de la République, son Excellence Macky Sall qui, faut-il le préciser, est un homme de l'art. Il m'échoit l'exaltante mission d'utiliser tous les moyens, leviers, instruments et outils mis à ma disposition pour la matérialiser.
Atteindre 50% du contenu local d'ici 2030 est l'objectif visé.
Il est certes ambitieux mais bien réalisable. Nous avons pour mission de l'atteindre en utilisant les prérogatives qui nous sont dévolues afin de faire de cette politique de contenu local une réalité au Sénégal.
A ce titre, nous suivons cet objectif et le monitorons à travers les Plans de contenu local (Pcl) que doivent soumettre chaque année les opérateurs et leurs sous-traitants de rangs 1 et 2 avant le 30 juin de chaque année et dans lesquels l'Indicateur de contenu local (Icl) est mesuré et calculé suivant la formule légale découlant de l'article 22 du décret n°2020-2047 du 21 octobre 2020.
Rappelons que cet objectif est fixé bien avant le début de la production contrairement à d'autres pays producteurs africains qui ont adopté leurs lois sur le contenu local plusieurs dizaines d'années après avoir commencé la production.
Nous espérons qu'avec le début de la production en 2023, il y'aura beaucoup plus de participation d'investisseurs locaux dans la chaine de valeur pétrolière, augmentant ainsi l'Icl pour atteindre rapidement l'objectif de 50% de contenu local d'ici 2030.
Pour cela, il faut s'appuyer d'abord, sur l'utilisation préférentielle de nos ressources humaines à compétences égales avec les étrangers, et ensuite sur l'implication de nos entreprises locales dans le déroulement des opérations pétro gazières de travaux et de fournitures de biens et services.
Parmi les dispositions qui sont prises pour l'accompagnement des entreprises dans leur processus de mise à niveau, il y a le Fonds d'appui au développement du contenu local (Fadcl) dont le décret n° 2020-2048 du 21 octobre 2020 fixe les modalités d'alimentation et de fonctionnement, vous voulez nous en faire l'économie ?
Le Fonds d'appui au développement du contenu local (Fadcl) est un des instruments mis à la disposition du Secrétariat technique du Comité de suivi du contenu local pour mettre en oeuvre la stratégie de contenu local dans le secteur des hydrocarbures.
Ce fonds sera alimenté d'une part, par une dotation budgétaire de l'Etat, et d'autre part, par une taxe parafiscale à instituer, ainsi que les ressources que génère la plateforme électronique d'intermédiation, les éventuelles amendes infligées aux contrevenants aux dispositions légales et réglementaires de contenu local, et enfin par les dons et legs.
Il est essentiellement utilisé pour soutenir durablement le renforcement des capacités techniques et financières des entreprises locales afin d'assurer leur mise à niveau, mais aussi de contribuer à la capacitation des ressources humaines appelées à travailler dans les opérations pétrolières et gazières ainsi que des acteurs étatiques en charge du suivi de la mise en oeuvre de la politique de contenu local.
Ce fonds doit en outre contribuer à soutenir les actions de promotion du contenu local et la communication y relative.
Ce fonds est chargé, entre autres, de contribuer à la mise à disposition de personnels qualifiés, or de l'autre côté, on constate une floraison d'instituts et autres écoles de formation qui se lancent dans la création de filières « métiers du pétrole », dans le désordre le plus total en l'absence de cadre normatif. N'y a-t-il pas un problème à ce niveau ?
Vous mettez là le doigt sur une question cruciale, qui mérite d'être très vite prise en charge pour éviter une désillusion qui pourrait découler de cette anarchie naissante.
En effet, beaucoup d'instituts et écoles de formation existantes comme naissantes, mus par l'appât du gain, se lancent dans la création de filières « métiers du pétrole », dans le désordre le plus total en l'absence de cadre normatif qui en définit les curricula et surtout qui les met en adéquation avec les besoins et exigences du secteur.
Toutefois, le nouveau décret n°2021-1576 du 01 décembre 2021 modifiant le décret 2017-2305 portant création et fixant les règles d'organisation et de fonctionnement de l'Inpg prévoit la régulation de l'offre de formation, en encadrant la certification des formations dispensées dans le secteur, et en accréditant désormais toute école de formation dans le secteur pétrolier et gazier.
A ce titre, la régulation, l'évaluation, l'accréditation et le contrôle qualité des enseignements, spécialisés ou non, dispensés au niveau de tous les établissements du Sénégal, relatifs au domaine du pétrole et du gaz, sont effectués par l'Autorité nationale d'assurance qualité de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Anaq-Sup) après avis conforme du Conseil de régulation et de contrôle qualité (Crcq), organe de l'Inpg.
Quelle est la particularité de la convention de groupement par rapport à la sous-traitance ?
L'objet d'une convention de groupement peut être de la sous-traitance.
Ce qu'il faut noter c'est que la convention de groupement est rajoutée dans nos lignes directrices pour faciliter la participation des investisseurs dans la chaine de valeur pétrolière.
Elle est beaucoup plus souple que la création d'une joint-venture qui nécessite la création d'une société, ce que les entreprises étrangères rechignent souvent à faire avec les entreprises locales, compte tenu de beaucoup de facteurs parfois liés à la durée de leur activité ou à d'autres raisons stratégiques de groupe.
La convention de groupement est plus large que la sous-traitance car dans cette convention, que l'on appelle aussi convention momentanée d'entreprise, on inclut souvent des dispositions qui visent à assurer le transfert de connaissance et de technologie.
D'autres engagements du donneur d'ordre pour accompagner l'entreprise locale peuvent aussi être inclus dans la convention contrairement à la sous-traitance dont l'objet est souvent limité à la nature des prestations à effectuer.
Les lignes directrices du Comité portant modalités de constitution d'associations entre entreprise étrangère et locale dans le régime mixte précise les obligations des uns et des autres.
Avez-vous les moyens humains et matériels de superviser la mise en oeuvre de ces dispositions ?
Évidemment, nous avons les moyens humains et matériels pour superviser la mise en oeuvre de ces dispositions et c'est tout le sens de notre rôle de veiller au respect des exigences de contenu local dans le secteur conformément à mes missions rappelées dans le décret n°2020-2047 du 21 octobre 2020 portant sur l'organisation et le fonctionnement du Cnscl.
Dès que l'activité est classée dans le régime mixte, elle implique la participation d'une entreprise locale à hauteur du taux défini dans les textes, sauf dérogation expresse du St-Cnscl.
Mes équipes vérifient la conformité du régime et des entreprises qui exécutent le marché conformément à leur convention de groupement, ou leur accord découlant de la joint-venture selon les cas.
J'exerce un contrôle à priori avant le lancement des marchés et un contrôle a posteriori après l'attribution des marchés et avant signature des contrats.
Juridiquement, est-ce qu'on peut, au sens de l'Acte uniforme de l'Ohada sur les sociétés, faire la distinction entre les entreprises locales et les entreprises internationales, ou encore déterminer les secteurs d'exclusivité qui seront réservés aux nationaux et les secteurs considérés comme mixtes ?
Au sens des dispositions de l'Ohada, le régime juridique des sociétés est le même selon les différents types de sociétés, que l'entreprise soit détenue par des Sénégalais ou par des étrangers.
Une entreprise étrangère au sens du contenu local est une entreprise dont les capitaux sont détenus par des étrangers.
Par exemple, une entreprise malienne régie par l'Ohada demeure une entreprise étrangère.
Toutefois, la notion d'entreprise locale est introduite dans nos dispositions internes pour capter un certain nombre d'activités réservées aux nationaux dans toute la chaine de valeur à travers les activités qui relèvent du régime exclusif et celles qui relèvent du régime mixte.
Une entreprise locale est définie comme une entreprise de droit sénégalais détenue à 51% ou plus par des personnes physiques ou morales sénégalaises et dont la direction de l'entreprise est composée au moins de 80% de personnes sénégalaises avec plus de 50% de personnel sénégalais au niveau de l'opérationnel.
S'est-on assuré, par exemple, de la compatibilité du dispositif avec les engagements souscrits par l'Etat au niveau communautaire et au niveau international à travers les traités bilatéraux d'investissement (Tbi) conclus avec des pays tiers ?
Je ne suis pas juriste pour répondre clairement à la question.
Néanmoins, même s'il y a un problème de cohérence entre les différents ordres juridiques interne, international et communautaire, je présume que le législateur en a vérifié la compatibilité.
Je me demande aussi comment les autres pays comme la Norvège, où la Côte d'Ivoire avec qui nous partageons le même espace communautaire et bien d'autres pays, ont fait pour appliquer leur politique de contenu malgré l'existence de règles communautaires et de traités bilatéraux. A mon avis, la politique de contenu local est une question de souveraineté nationale.
A l'analyse, les capacités industrielles actuelles du Sénégal, indiquent que toutes les activités ne sont pas immédiatement propices au développement du contenu local.
Etant donné le peu de moyens et d'expertise dont disposent les entreprises locales, est-il réaliste de leur réserver exclusivement (régime exclusif) l'exploitation des activités pétrolières ?
Il est clair que toutes les activités ne sont pas immédiatement propices au développement du contenu local.
C'est la raison pour laquelle d'ailleurs seules certaines activités jugées comme étant à leur portée sont exclusivement réservées aux personnes physiques et personnes morales sénégalaises dans le cadre des opérations.
En effet l'exclusivité est définie de façon très simple : elle est toute activité qui peut être exercée par les Sénégalais dans le respect des normes et standards de l'industrie.
Mieux, l'on a prévu même le régime des autorisations d'exclusivité qui permet, sur décret du Président de la République, de réserver une activité ou un secteur d'activités à une entreprise locale ou à un groupe d'entreprises.
C'est le cas par exemple des activités de base logistique portuaire réservées au consortium Coseni qui les exerce à travers Ssb.
Ce n'est qu'à travers cette politique que nous allons créer des champions nationaux qui doivent prendre leur part de marché.
D'ailleurs il y a un décret qui traite spécifiquement des modalités de participation des investisseurs sénégalais notamment le décret n°2020-2065 du 28 octobre 2020, fixant les modalités de participation des investisseurs sénégalais dans les entreprises intervenant dans les activités pétrolières et gazières et qui classe des activités de l'amont pétrolier et gazier dans les régimes exclusif, mixte et non exclusif.
L'effet multiplicateur ainsi que les effets d'entraînement induits par l'activité pétrolière ne risquent-ils pas de n'être que théoriques, du fait de l'importation de la quasi-totalité des consommations intermédiaires (biens et services) au profit des pays fournisseurs de ceux-ci ?
Le secteur est tout à fait nouveau. Malheureusement nous n'avons pas à disposition l'essentiel des biens et services, mais notre rôle consiste à tout mettre en oeuvre pour faciliter la promotion et l'utilisation des biens et services locaux.
Il faut du temps pour créer des champions nationaux et des industries capables d'assurer la production des biens localement.
Nous nous évertuons à accompagner les entreprises locales dans cette dynamique. Par exemple en 2021, on était à plus de 3800 emplois et plus de 218 milliards de francs Cfa de part locale et plus de 55600 heures de formation pour le personnel sénégalais.
Dans un contexte où les Pme représentent plus de 80% du tissu des entreprises et où 65 % d'entre elles feraient faillite avant la fin de l'année de leur création, le défi est-il à la portée du Cnscl?
C'est vrai que le taux de faillite des startups est très important, mais beaucoup d'autres facteurs contribuent à leur mort précoce.
Toutefois le défi est à la portée de nos missions qui, à travers le Fadcl et aussi le guichet unique qui regroupe l'ensemble des institutions d'accompagnement des Pme-Pmi, notamment l'Adepme, le Fongip, le Fonsis la Bnde, etc. permettent de mettre en place des leviers pour accompagner les entreprises locales.
Il est important de rappeler la nécessité de se regrouper en consortium pour mieux participer dans le secteur pétrolier et gazier qui nécessitent des financements importants et des normes et standards très élevés.
L'utilisation de la main d'oeuvre locale et la participation des entreprises nationales aux activités pétrolières et gazières ne peuvent être optimales que si les défis liés à la faiblesse des capacités techniques, technologiques et économiques des entreprises locales et ceux liés à la qualification professionnelle de la main d'oeuvre, sont relevés.