Burkina Faso: Projet de reforme du CSC - Vers un instrument politique aux mains du pouvoir ?

En sa séance ordinaire du mercredi 4 octobre 2023, le Conseil des ministres a adopté un avant-projet de loi portant attributions, composition, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la communication (CSC).

Selon les autorités burkinabè, l'adoption de ce texte vise à donner à l'institution, toutes les prérogatives pour jouer son rôle de régulation tout en prenant en compte les évolutions technologiques. « C'est ainsi que dans la nouvelle loi organique, désormais, le CSC a vocation à réguler également les réseaux sociaux ». C'est ce qu'a indiqué le ministre burkinabè en charge de la Communication, Rimtalba Jean-Emmanuel Ouédraogo, qui ajoute que les profils ou pages Facebook d'au moins 5 000 abonnés, se verront appliquer les règles qui concernent les médias au Burkina Faso.

Pour une décision salutaire, ç'en est une, tant les réseaux sociaux apparaissent, au Faso, comme une zone de non-droit où tout y passe : intox, infox, diatribes, menaces ouvertes ou voilées, diffamations, etc. Un cocktail explosif de dérives sur fond de propagation de l'intolérance et de la haine, présentant un caractère hautement nocif pour la paix sociale, la sécurité et l'unité nationale.

C'est dire s'il y avait nécessité de mettre le holà et c'est heureux que le gouvernement ait agi ! Car, une fois que la loi sera entérinée, elle contribuera, à coup sûr, à réfréner les funestes ardeurs de bien des « squatteurs » de la toile, ces « influenceurs » et autres activistes du web, à la capacité de nuisance phénoménale, et sans doute à les contraindre à se montrer plus responsables.

On peut donc se féliciter d'une telle initiative de l'Exécutif burkinabè, laquelle devrait marquer un tournant dans la lutte contre les vilenies et autres infamies observées au quotidien sur les réseaux sociaux. Mais s'il y a, en revanche, une décision qui suscitera moins d'enthousiasme, laquelle provoque déjà des grincements de dents, en particulier dans le monde des médias, c'est bien la réforme consacrant la nomination du président du CSC, directement par le président du Faso.

Le comble serait que l'instance qui devrait, avant tout, servir la cause et les intérêts de la corporation, se voit dévoyée de sa principale mission

Et ce n'est pas tout : il est aussi question de revoir les prérogatives du premier responsable de l'instance de régulation, à « pouvoir saisir directement le Procureur du Faso sur un certain nombre d'infractions qui pourraient connaitre des implications pénales », et le profil des conseillers du CSC. « On va où là » ?

Pour reprendre une exclamation triviale bien connue sur les bords de la lagune Ebrié. Toujours est-il que d'aucuns y voient déjà non seulement une manoeuvre de l'Exécutif burkinabè pour caporaliser l'organe de régulation, autrement dit, pour le mettre sous la botte du régime, pour ne pas dire, sous les godasses des tenants du pouvoir.

Mais aussi une façon de jeter médias et journalistes critiques, en pâture à la Justice. Si telles étaient les intentions du pouvoir en place, ce serait, incontestablement, encore un recul et un coup dur pour la liberté de presse au Burkina Faso, qui n'est déjà pas au mieux de sa forme.

Il est vrai que sous le régime du MPRS I, le CSC avait connu une grave crise institutionnelle qui avait grandement affecté son fonctionnement, consécutive aux querelles autour de la désignation d'un nouveau président de l'instance de régulation, pour succéder à Mathias Tankoano qui avait rendu sa démission pour se consacrer plus activement à la politique.

Mais si la volonté de l'Exécutif actuel, est de se prémunir contre une nouvelle crise et ce, alors que l'actuel président de l'instance est sur le départ, l'on peut se demander si le gouvernement a vu juste dans l'attribution au chef de l'Etat, du pouvoir exclusif de désigner le président du Conseil. Rien n'est moins sûr.

D'abord, en termes d'image. Car, le risque est grand qu'on voie désormais en l'organe de régulation des médias au Burkina, une institution stipendiée, toute chose qui ne serait pas sans conséquences pour sa crédibilité. Très respectée par ses pairs, elle était perçue comme un exemple dont s'inspiraient d'ailleurs d'autres organes de régulation des médias de la sous-région.

Quid de ce qu'elle pourrait renvoyer comme image demain ? Ensuite, en termes de résultats. Rien ne dit, en effet, que celui qui sera désigné voire parachuté à la tête de l'institution, sera une personne avertie, à la hauteur des réalités, défis et enjeux liés à la profession.

En tous les cas, le comble serait que l'instance qui devrait, avant tout, servir la cause et les intérêts de la corporation, se voit dévoyée de sa principale mission, pour se transformer en instrument politique aux mains du pouvoir, avec pour ambition inavouée de la transformer en police de sanctions et de répression des médias. On touche du bois.

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.