Une pénurie de financement restreint considérablement notre réponse à deux crises alimentaires majeures
Déracinées par la plus longue sécheresse de l'histoire de la Somalie, Hibo Ahmed, 70 ans, et ses deux filles ont survécu grâce à l'aide en espèces du Programme alimentaire mondial (PAM) dans un camp poussiéreux pour personnes déplacées à l'intérieur du pays.
À l'autre bout du monde, Herman Petitfrere est également déplacé, après avoir fui la violence des gangs dans le quartier où il vivait à Port-au-Prince, la capitale d'Haïti. Il vit désormais dans un abri de fortune construit en bois et en tôle, situé dans un camp où des centaines d'autres personnes ont également trouvé refuge.
"Peu importe où nous allons, la pauvreté nous poursuit", déclare Herman. "C'est une épreuve sans fin rien que pour trouver de l'eau à boire."
Hibo et Herman survivent au jour le jour dans des pays en proie à la violence et au changement climatique - qui, ensemble, contribuent à générer des taux de faim parmi les plus élevés au monde. Pourtant, tant en Haïti qu'en Somalie, de récentes évaluations d'experts font état d'améliorations de la sécurité alimentaire pour diverses raisons, notamment l'aide alimentaire du PAM et d'autres formes d'aide humanitaire.
Aujourd'hui, ces acquis risquent d'être réduits à néant dans les deux pays, alors que le financement international s'effondre pour le PAM et ses partenaires, nous obligeant à réduire l'aide à des millions de personnes vulnérables.
"La crise alimentaire en Haïti est invisible, inouïe et non résolue", a déclaré récemment la directrice exécutive du PAM, Cindy McCain, tout en tirant la sonnette d'alarme concernant la Somalie, où 43 000 personnes sont mortes l'année dernière à cause de la sécheresse.
"Ce que nous avons vu", a déclaré McCain à propos de ce pays de la Corne de l'Afrique qui a évité de peu la famine, "est une course contre la montre".
À deux pas de la catastrophe
Des millions de Somaliens comme Hibo comprennent parfaitement ce que signifie vivre au bord de la catastrophe.
Après qu'une sécheresse paralysante ait tué leur bétail il y a trois ans, elle et ses filles ont marché 170 km depuis leur maison d'Adduun, dans le centre de la Somalie, jusqu'au camp de Daryeel - un ensemble de tentes de fortune en tissu et de huttes en tôle ondulée, perchées dans des garrigues désolées.
"Nous restions plusieurs jours sans manger," se souvient-elle du voyage. "Nous étions affamées quand nous sommes arrivées ici".
L'année dernière, au milieu d'un conflit qui se poursuit et d'une sécheresse en Somalie dont on ne voit pas la fin, une intensification massive de l'aide humanitaire a permis d'éviter une famine annoncée. En décembre dernier, le PAM fournissait une aide alimentaire mensuelle à 4,7 millions de personnes, soit plus d'un quart de la population.
L'effort de secours sans précédent a porté ses fruits. Les conclusions des experts publiées ce mois-ci, connues sous le nom du Cadre Intégré de la Classification de la sécurité alimentaire (IPC), montrent que les chiffres de la faim extrême en Somalie ont diminué, même s'ils sont toujours à leur plus haut niveau depuis 10 ans.
Pour Hibo et sa famille, l'aide financière du PAM a constitué une bouée de sauvetage contre la famine dans le camp de Daryeel, où les résidents déplacés ont peu de possibilités de travailler ou de cultiver de la nourriture.
"Nous achèterions tout avec", dit-elle à propos des 70 dollars que sa famille recevait mensuellement.
Maintenant, ce soutien s'est tari. Aujourd'hui, Hibo et ses filles font partie des plus de 2,5 millions de personnes qui ne reçoivent plus l'aide du PAM en Somalie, faute de fonds.
«Je n'ai plus rien», dit Hibo.
Même les pluies récentes, qui mettent fin à une longue sécheresse, ne redonnent pas espoir à ceux qui ont faim. La Somalie s'attend à être confrontée à des inondations dans les semaines à venir, déclenchées par le phénomène climatique El Niño.
"La Somalie a toujours besoin de notre soutien et de toute urgence", déclare El-Khidir Daloum, représentant du PAM en Somalie et directeur pays. "Pourtant, le PAM est contraint de retirer des personnes de l'assistance alimentaire, car nous n'avons pas les fonds nécessaires pour soutenir tous ceux qui en ont besoin."
Tirer la sonnette d'alarme
En Haïti également, le manque de financement a contraint le PAM à supprimer au moins 100 000 personnes vulnérables de ses listes - des chiffres qui pourraient atteindre 700 000 d'ici la fin de l'année, si les dons nécessaires pour les nourrir n'arrivent pas.
"En Haïti, le PAM adopte une approche à long terme pour s'attaquer aux causes profondes de la faim, en travaillant avec les agriculteurs et en aidant les communautés à réhabiliter les systèmes d'eau pour l'irrigation", explique Jean-Martin Bauer, directeur pays du PAM en Haïti.
"Mais alors que l'insécurité force de plus en plus de personnes à abandonner leur maison et leurs moyens de subsistance, le besoin d'une aide d'urgence ne cesse de croître", ajoute Bauer, "et le manque de financement nous oblige à faire le choix difficile de laisser certaines personnes sans assistance."
La dernière évaluation de la sécurité alimentaire en Haïti révèle une légère amélioration, mais le tableau d'ensemble est sombre. Des millions de personnes sont confrontées à une faim aiguë et les taux de malnutrition infantile sont alarmants, tous deux dus à des facteurs tels que la violence armée, le ralentissement économique et les pluies tardives.
Herman Petitfrère n'est pas étranger à ce mélange toxique. Les gangs qui terrorisent son quartier pauvre de Carrefour-Feuilles à Port-au-Prince l'ont récemment poussé à chercher refuge dans un camp de personnes déplacées.
Il compte parmi les quelque 40 000 personnes qui ont été déplacées par les violences dans la capitale ces dernières semaines, s'ajoutant aux 200 000 déjà chassées de chez elles.
Avec l'eau rare dans le camp et le prix des seaux d'eau ayant grimpé au-delà de la portée de nombreux habitants - dont peu d'entre eux ont un emploi ou des revenus stables - il ne peut se laver que lorsqu'il pleut. Presque tout le monde dans le labyrinthe surpeuplé des abris temporaires a des problèmes de peau dus à l'eau contaminée.
La nourriture est aussi un combat. La semaine dernière, le PAM a commencé à livrer des repas chauds au camp, qui ne recevait auparavant aucune aide faute de financement. Mais les faibles perspectives de financement signifient que le PAM ne peut planifier qu'une semaine à la fois, laissant les résidents comme Herman sans garantie que l'aide durera.
"Nous sortons dans la rue à la recherche de tout ce que nous pouvons trouver », dit-il, « en espérant simplement trouver quelque chose à manger".
Le PAM a besoin de 374 millions de dollars pour financer ses opérations en Somalie jusqu'en février 2024, et de 91 millions de dollars pour financer sa réponse en Haïti jusqu'en décembre 2023.