Fissel Mbadane, 6 sept (APS) - Le tamarinier sacré situé sur la route de Fissel Mbadane, dans le département de Mbour (ouest), rendu célèbre par une chanson de l'artiste-musicien Youssou Ndour (Daaxaar ga ca yoonu Mbaadane), a été le théâtre, en 1977, d'une bagarre politique macabre devenue un sujet tabou pour beaucoup d'habitants de cette commune.
Si les vertus médicinales du tamarinier ne sont plus à démontrer, ses vertus mystiques sont, elles, bien préservées dans la société sénégalaise, particulièrement dans la communauté de Fissel Mbadane, peuplée en majorité de sereer.
Les vertus fébrifuges, purgatives et laxatives de son fruit appelé le tamarin, sont connues depuis des siècles par la médecine traditionnelle. L'arbre est aussi considéré comme sacré et mystique par de nombreux habitants de la localité.
Situé sur la route de Fissel Mbadane, plus précisément à Mboufoudj, l'un des 28 villages qui formaient la communauté rurale de Fissel, devenue aujourd'hui une commune, il reste l'un des tamariniers les plus célèbres du Sénégal.
Bien avant l'évènement politique macabre dont il fut le théâtre, ce tamarinier était un lieu de rendez-vous pour toutes les grandes cérémonies socioculturelles du village, notamment les "xoye" (séance de divination pré-hivernale) dans une zone dominée par l'animisme.
Son gardien, Cheikh Diouf raconte que son père, Ibrahima Diouf, avait l'habitude d'accueillir une famille de chérifs dont le patronyme est Aïdara. Elle venait organiser des prières sous le tamarinier. C'est lors de l'une de ces séances, dit-il, que son père, qui se trouve être le propriétaire du tamarinier, se convertit à l'islam.
Bien plus tard, une famille de "djinn" (génie), chassée d'un autre tamarinier à Khombole (Thiès), voulut s'y installer. Malheureusement pour elle, le propriétaire Ibrahima Diouf avait fini par convertir les "djinn" eux-mêmes à l'islam, lesquels se sont désormais installés à un endroit éloigné un peu de l'arbre.
Un des voeux de feu Ibrahima Diouf était de construire une mosquée à côté de l'arbre mystique. Une prière presque exaucée, puisque les habitants du village ont érigé une école coranique, juste en face de l'arbre.
Du haut de ses 20 mètres, ce tamarinier de 200 ans et au feuillage persistant semble avoir résisté aux affres du temps. Témoin de plusieurs époques, l'arbre continue de recevoir des visiteurs qui viennent pour des prières ou cueillir ses fruits et écorces sous l'oeil attentif de son gardien.
Théâtre d'une bagarre politique macabre
Mais les bienfaits de cet arbre bicentenaire ont été éclipsés en 1977 par un évènement politique dont il fut le théâtre lors d'une opération de vente de cartes pour le renouvellement de la section locale du Parti socialiste (PS). Cheikh Diouf lui-même en était témoin, alors qu'il était à peine âgé de 30 ans.
"Une bagarre a éclaté entre deux tendances au sein du même parti qui se disputaient le fauteuil du bureau du secrétariat du PS de Fissel. Il s'agissait pourtant de plusieurs amitiés intimes que la politique a entachées", indique Cheikh Diouf. Il envisage même d'écrire un ouvrage sur cet évènement politique méconnu et qui a coûté la vie à une personne.
El Hadji Khaly Guèye et Abdou Babou Ngom, leaders politiques locaux soutenus respectivement par Amadou Ly, responsable à Mbour, et par François Bopp (ex ministre des Sports), se disputaient un poste de secrétariat à Fissel. Tous étaient présents à une vente des cartes organisée sous le tamarinier. Mais, la rencontre est interrompue par la visite surprise d'assaillants.
Leur arrivée mit fin à l'opération de vente de cartes, renseigne Cheikh Diouf qui, ce jour-là, était chargé de remplir les noms des adhérents sur les cartes.
"Nous avons subitement vu [une bande d'hommes] venant de Fissel armée jusqu'aux dents [surgir] en direction du tamarinier. Ils nous ont menacé d'arrêter immédiatement le processus de vente des cartes", rapporte-t-il.
Un autre témoin des faits, Demba Sène, déclare que les assaillants ont confisqué le stylo avec lequel Cheikh Diouf écrivait, pour l'empêcher de continuer son travail. "Mais, c'était compter sans la témérité de ce dernier, qui s'est aussitôt défendu", déclare-t-il.
L'homme à la tête de la bande avait provoqué Cheikh Diouf, se souvient Demba Sène. Il y avait de l'électricité dans l'air et les esprits ont commencé à chauffer, se remémore-t-il.
"Je me suis soudain retrouvé projeté en arrière et j'ai atterri sur une table en bois, mais ma réplique ne s'est pas faite attendre", narre-t-il, disant avoir asséné à la seconde qui suit un poing de sa main droite sur la figure du cerveau de la bande.
"Et c'est là que les choses ont dégénéré. Une bagarre sans merci a éclaté entre les deux camps, on n'était pas préparé du tout. Donc, on a ramassé des bâtons ici et là et on s'est défendu avec", explique Djokal Sène, le grand frère de Demba Sène.
Agé aujourd'hui de presque une centaine d'années, Djokal Sène, assis sur son hamac en bois dans la cour de sa maison, se rappelle encore tous les détails de cet évènement comme si c'était hier. Bien sûr, certains n'ont pas manqué de prendre la poudre d'escampette face à des adversaires munis d'armes blanches, explique le vieil homme.
Un homme tué d'un coup de couteau dans le dos
Ces affrontements ont occasionné la mort de Ndom Diouf, tué d'un coup de couteau dans le dos. De nombreux blessés furent enregistrés lors de ces évènements tragiques. "Ce jour-là, le chef de village de l'époque a immédiatement appelé la police qui a interpellé 18 personnes", raconte-t-il.
" Nous avons tous été acheminés à la Mac de Thiès", dit Djokal Sène avec un brin de sourire, déclenchant l'hilarité générale dans la cour de sa maison. Ce jour-là, déclare Demba Sène, il n'y avait jamais eu autant de policiers dans le village de Mboufoudj. Il affirme que ces derniers avaient été aidés dans leur travail par le chef de village qui donnait les noms des antagonistes.
Des 18 personnes arrêtées, seules trois personnes sont encore en vie. Le présumé meurtrier qui a écopé d'une peine plus lourde, est sorti de prison depuis longtemps. Il vit loin du village de Mboufoudj, explique Djokal Sène, qui s'est gardé de donner son nom.
Cette histoire politique reste encore taboue dans de nombreuses familles de Fissel Mbadane qui se sont déchirées suite à cet événement douloureux, explique un journaliste d'une radio locale.
"Chaque famille ou témoin peut donner différentes versions pour atténuer le problème et éviter d'entrer dans certains détails de l'affrontement dans le but justement d'éviter de blesser la sensibilité des familles des victimes", précise Pape Kaïré.
Dans les semaines qui ont suivi ce drame dont le tamarinier de Fissel Mbadane fut le théâtre, la chanson Mbadane de Youssou Ndour, à l'époque lead vocal du groupe Etoile de Dakar, faisait déjà vibrer des mélomanes sénégalais. Et en 1978, le titre intégra l'album "Tolou Badou Ndiaye".
Les habitants demandent aujourd'hui au lead-vocal du Super étoile de Dakar, qui a rendu célèbre le tamarinier de la route de Fissel Mbadane, de venir dans leur village. Ils trouvent paradoxal le fait que le chanteur n'a jamais mis les pieds dans cette localité située pourtant à environ 1h30mn de route de la ville de Mbour via la route de Thiadiaye.