Madagascar: Magazine/Toamasina train - Un train victime de son succès

La ligne ferroviaire reliant Moramanga à Toamasina a été remise en service le 1er juin, proposant un aller-retour par semaine. Les habitants s'en félicitent mais, faute de places suffisantes, restent souvent sur le quai.

13h, vendredi : un grand Iportail rouge coulissant bloque la foule qui attend désespérément d'entrer dans la gare pour acheter un billet de train. Des policiers veillent au grain. Deux agents ne laissent passer qu'au compte-goutte, criant le nom des villages desservis pour tamponner le poignet des personnes concernées d'une marque rouge. Les autres crient lorsqu'ils comprennent qu'ils n'auront pas de place.

Taza est déçue. Elle souhaitait prendre le train, pour se rendre en week-end à Moramanga. « Pour mes trois enfants, le train est aussi attractif que les lémuriens ! », se désole-t-elle. Rivo, un vieil homme qui habite à Tana, boitille tristement devant la gare. « Je voulais prendre le train, car contrairement au taxi-brousse, on peut se lever de temps en temps et ça soulage ma jambe ». Il devra prendre la route, soit dix heures de galère.

14h

Ceux qui ont reçu le précieux tampon rouge se ruent à l'intérieur de la gare pour acheter leur ticket. Les moins chanceux forcent le passage, interpellent les agents au guichet, en vain. Au final, très peu de candidats au voyage pourront partir. C'est que le train Tana-Côte-Est (TCE) est victime de son succès. « Ça fait longtemps qu'il n'y avait plus de train à Toamasina, alors les gens ont envie de le prendre et d'en profiter », justifie Eddy Rafanomezantsoa, responsable de la communication en relations institutionnelles à la mairie. Tiana Ramamonjisoa, la responsable du TCE, est plus cash : « On a instauré des quotas pour privilégier les habitants des zones enclavées, qui n'ont que le train pour aller et sortir de chez eux, et évacuer leurs produits.

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On préfère décevoir les touristes !» Comme il n'y a qu'un voyage par semaine, un départ de Moramanga le jeudi pour une arrivée à Toamasina le samedi, le nombre de places est limité. Il faut les répartir pour que les habitants des gares desservies puissent eux-aussi monter en cours de route dans les wagons. « Si on autorise tout le monde à prendre un ticket à Toamasina, il y aura des émeutes dès que le train arrivera dans les zones enclavées », assure Tiana Ramamonjisoa.

5h30 samedi,

la gare s'anime. Les voyageurs de la veille arrivés dans la soirée dorment encore dans la salle d'attente vitrée. Parmi les sacs de couchage collés les uns aux autres, quelques têtes émergent. C'est bientôt l'heure d'embarquer pour le départ de 6h, direction Moramanga, à 250 km. Trois files d'attentes s'instaurent. Bien que le nombre de tickets vendus corresponde au nombre de places assises, tous cherchent à être placés en famille.

5h42

Les rails vibrent et la corne du train se fait entendre au loin. Cinq wagons approchent, ceux des extrémités sont réservés aux marchandises, ceux du milieu aux personnes. La première classe est plus confortable puisqu'elle comporte 60 places contre 74 en seconde. Impossible de frauder : le contrôleur, accompagné d'un policier en gilet pare-balles, vérifie chaque ticket. L'eau goutte du plafond, le sol du wagon est trempé. Un employé de Madarail indique aux voyageurs, dont beaucoup découvrent ce moyen de transport, l'emplacement des WC, et détaille les mesures de sécurité. Ne pas se pencher à l'extérieur des fenêtres, ne pas faire ses besoins quand le train est à l'arrêt en gare...

6h

Le convoi se met en branle. On roule d'abord au pas pour quitter le centre-ville de Toamasina. Le train passe entre les habitations de fortune, coupe les routes principales puis atteint la périphérie de la ville et ses usines. Il prend enfin un peu de vitesse pour atteindre 30 km/h. Beaucoup de voyageurs restent debout pour admirer le paysage et prendre des photos ; le voyage est aussi palpitant que la destination.

8h.

Malgré l'objectif affiché par la mairie, la proportion de touristes, principalement malgaches, est importante. « Tu aimes le train ? », demande Lanto à son fils de 3 ans. La maman est accompagnée de son mari José et de leurs deux enfants. Les vacances scolaires sont l'occasion de quitter Toamasina où ils habitent et de rallier Moramanga. C'est en connaissant un employé de Madarail qu'ils ont pu se procurer des places à l'avance, sans devoir attendre des heures samedi.

8h20.

Au fond du wagon, un voyageur se remarque. Dido, 19 ans, Français en voyage à Madagascar depuis deux mois, descendra à Andasibe pour visiter le parc national Mantadia, avant de rallier la capitale pour assister aux jeux des îles. Il apprécie le voyage en train : « En taxi-brousse c'est différent, il y a moins de confort ». Pour lui, l'obtention de son billet tient du miracle. Arrivé à 11h samedi à la gare, la file d'attente déjà importante l'a découragé. Il est tout de même revenu à 16h vérifier que le train était complet, ce qui était le cas.

Pourtant, une place finit par lui être délivrée... Allez savoir pourquoi ? Pandanus, arbres du voyageur, cocotiers, eucalyptus, rizières..., les paysages défilent et les gares décrépites s'enchaînent. Construite en 1913 pour relier Brickaville à Toamasina, la ligne a été délaissée dans les années 90 avant la privatisation du secteur au début des années 2000. Aux arrêts, certains passagers descendent, tandis que d'autres montent à bord. Nionah, 9 ans, accompagnée de sa maman, monte dans le train à Tampina, un village en bord de mer.

Elle est venue soir sa grand-mère qui vit de la vente du poisson. « Sans le train, je verrai ma mamie beaucoup moins. Il y a la moto pour venir mais c'est beaucoup plus long et compliqué », témoigne la fillette. Apparemment, à Tampina, tous ceux qui souhaitaient partir ce jour ont réussi à obtenir un billet. Cela semble confirmer le principe de priorité accordée aux habitants des zones enclavées.

La ligne a aussi changé la vie de Lydia. « Grâce au train, j'ai trouvé l'amour », sourit la jeune femme. Le train lui permet dorénavant de rende visite à son petit-ami à Toamasina régulièrement, lui évitant ainsi des heures de marche. Les wagons repartent de Tampina après un arrêt de 25 minutes. Il a fallu laisser passer un autre convoi arrivant en sens inverse. Cette pause est propice aux photos souvenir et à l'achat de nourriture auprès des habitants.

8h40,

Le train s'arrête à Andranokoditra, 450 habitants, au kilomètre 314. Sous les yeux étonnés et rieurs des habitants, quatre vazahas descendent du wagon : habituellement, les touristes étrangers débarquent du bateau depuis le canal des Pangalanes. Pour la première fois, ils sont arrivés par le train au village, terminus de leur périple ferroviaire.

Rose MARC,

Christelle ROBERT

Andranotoditra, entre mer, forêts et lagunes

À peine le train reparti, la voie ferrée est à nouveau traversée par les enfants et les villageois d'Andranotoditra, une des gares de la ligne Tana-Côte-est, à 60 km au sud de Toamasina. La vie reprend son cours, tranquille, rythmée par les vagues de l'océan, tout proche. C'est de cette plage qu'une soixantaine d'hommes partent pêcher, avec leurs longues pirogues, souvent rapiécées. Les bons jours, certains peuvent ramener jusqu'à 30 kg de poissons. Ils les vendent frais aux cinq hôtels qui bordent le lac d'Ampitabe, ou séchés, sur un marché hebdomadaire installé le long de la RN2. Ils doivent alors parcourir 26 km à pied sur un sentier qui longe les lagunes où poussent des Nepenthes, des plantes carnivores.

Le hameau, au milieu de la végétation, est coupé par le chemin de fer. A l'entrée des habitations, les femmes, ravies de l'arrivée des voyageurs descendus du train, forment une haie d'honneur, proposant des colliers et bracelets en graine, fabriqués à la main. Dans leur case en bois, des habitants vendent des huiles essentielles et parfument les curieux de vanille ou de ravintsara. D'autres tissent et réparent les filets de pêches depuis leur terrasse. Des familles s'improvisent hôtes d'une nuit, louant des petites chambres sur pilotis.

Après la traversée d'une lagune en pirogue et d'une forêt sèche à pied, le lac d'Ampitabe est le spot incontournable des vacanciers. Les touristes peuvent s'endormir et se réveiller dans des bungalows, les pieds dans l'eau rouge saumâtre de la lagune, une couleur due à la présence de bois de rose dans les forêts avoisinantes. Au sud-ouest du village, la réserve d'un hôtel offre la possibilité de séjourner aux côtés des lémuriens vivant en toute liberté et poussant des cris stridents. Claudina, 14 ans, a échoué dans ce bout de paradis en arrivant par bateau depuis Toamasina.

« C'est plus lent que le train mais plus simple pour 20 personnes. On est tous ensemble et on peut s'occuper le long du trajet », raconte la vacancière, dont la famille habite le village. Les habitants qui empruntent le bateau-brousse ou les croisiéristes du canal des Pangalanes se retrouvent plongés dans la nature sauvage. Le canal en lui-même, creusé par les Français au début du vingtième siècle, n'est plus vraiment visible, les embarcations passant d'une lagune à un lac, tout près de l'océan. Oies, canards, zébus font partie du décor aux côtés des pirogues, des coupeurs de bambous et des pêcheurs équipés de leur nasse et filet. Les touristes peuvent faire halte dans les villages, pour y déguster des beignets de crabe d'eau douce et de manioc, avant de retrouver la frénésie de la cité et un canal soudain pollué.

Gaëlle LHONNEUR

Ce reportage a été réalisé par une étudiante d'Infocom, de l'université de La Réunion, grâce au soutien financier de la Direction des relations internationales et de la Direction de l'orientation, de la formation et de l'insertion professionnelle. Huit apprentis journalistes ont passé à cet effet une semaine à Toamasina.

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