Depuis le 15 avril, le Soudan se déchire. En un peu plus de 5 mois, la guerre qui oppose l'armée régulière du général al-Burhan aux Forces paramilitaires de soutien rapide du général Hemedti, a fait des milliers de morts civils et déplacé plus de 5 millions de personnes. Si Khartoum est l'épicentre des combats, les affrontements se sont étendus à presque tout le pays, et notamment au Darfour, région meurtrie par les conflits depuis 2003. Au Darfour occidental, dont la capitale El-Geneina borde le Tchad voisin, la guerre a pris une tournure ethnique. La zone est sous le contrôle quasi intégral des paramilitaires et des milices arabes qui leur sont affiliées. En six mois, plus de 420 000 personnes ont franchi la frontière du Tchad. Dans les camps de réfugiés, les familles déplorent de nombreux disparus.
Sur un petit bout de carton, Nadifa Mohammed a écrit le numéro de son mari disparu. A tout juste 22 ans, la jeune femme, s'est retrouvée seule, avec son nouveau-né, au milieu des combats. « J'ai accouché au milieu de la guerre. Au bord de la route. Puis on est venus Tchad. Cet enfant n'a pas de père. Je ne sais pas s'il est vivant ou mort. Le bébé est très malade. Je n'ai même plus de lait pour l'allaiter. »
Dans cette clinique dressée par Médecins sans frontière, des dizaines de femmes, enfants sous le bras, attendent pour les consultations. Dans chaque famille, il manque un enfant, un frère ou un père. « On s'était abrités dans un camp de déplacés, puis les miliciens nous ont attaqué, ont tout brûlé. On n'avait plus le choix, il fallait partir. En chemin, ils ont tué un de mes enfants. C'était l'aîné, il avait 18 ans. »
Il ne reste à Jamia Ishaq que deux enfants. Sa fille, souffrant du paludisme, se tient à sa droite. Et dans sa main gauche, la mère soutient la tête du petit dernier, né trois mois plus tôt au milieu des combats. « Depuis 2003, on vit dans la guerre permanente. Moi, j'ai été élevée dans la guerre, et aujourd'hui mes enfants grandissent dans la guerre. Où doit-on aller ? Doit-on rester ici ? Doit-on rentrer chez nous ? Comment réparer notre pays ? Nous ne savons pas ».
En 2003, déjà, 400 000 Soudanais avaient trouvé refuge au Tchad. Ils sont le double désormais. Sans aucune certitude de pouvoir, un jour, rentrer chez eux alors que de l'autre côté de la frontière, la guerre se prolonge à huis clos.