Questions et Réponses
Depuis le génocide qui a dévasté le pays et fait plus d'un demi-million de morts en 1994, le Rwanda a fait de grandes avancées dans la reconstruction du pays, ainsi que pour développer son économie et fournir des services publics. Cependant, les droits civils et politiques restent aujourd'hui fortement restreints et la liberté d'expression est extrêmement limitée. Ceux qui osent critiquer la politique du gouvernement ou le président Paul Kagame s'exposent à un grand risque - et même ceux qui ont fui à l'étranger pour échapper à la persécution ne sont pas en sécurité. Un nouveau rapport de Human Rights Watch expose comment le gouvernement rwandais surveille les dissidents, réels et supposés, et commet également des actes de menaces et d'intimidation au-delà de ses frontières. La répression menée contre des Rwandais vivant à l'étranger s'appuie sur des tactiques allant de meurtres, d'enlèvements, de passages à tabac et de disparitions forcées à des demandes d'extradition manipulées, des détentions arbitraires et des demandes de transfert d'individus vers le Rwanda.
L'absence de reconnaissance par la communauté internationale de la gravité et de l'ampleur des violations des droits humains commises par le gouvernement rwandais, tant à l'échelle nationale qu'internationale, ainsi que l'hostilité grandissante du parti au pouvoir à l'égard de ceux qu'il perçoit comme remettant en cause son autorité, ont laissé de nombreux Rwandais sans aucun recours. Il est désormais nécessaire de demander des comptes au Rwanda pour son bilan national en matière de droits humains afin de lutter contre la répression extraterritoriale qu'exerce son gouvernement.
- Quelles tactiques le gouvernement rwandais utilise-t-il pour faire taire les opposants à l'étranger ?
Le gouvernement rwandais déploie un ensemble de méthodes à sa disposition pour s'en prendre aux détracteurs. Dans les pays d'Afrique de l'Est et australe où nous avons mené des recherches, Human Rights Watch a constaté que des Rwandais ont été tués, ont fait l'objet de disparitions forcées, ont été enlevés, ont été arrêtés arbitrairement, ont subi des agressions physiques ou ont été menacés d'être renvoyés au Rwanda.
Dans les pays occidentaux, les Rwandais considérés comme opposés au gouvernement ont peur d'être espionnés. Ils craignent également que le gouvernement rwandais manipule Interpol (l'organisation de coopération policière internationale) et ses notices rouges - des alertes demandant l'arrestation et l'extradition d'une personne recherchée. Le fait que les forces de l'ordre ou les services de renseignement de certains pays d'accueil ont recommandé à des réfugiés de prendre des mesures pour se protéger renforce la crédibilité des menaces qui pèsent sur eux.
Mais l'une des méthodes les plus efficaces-- et insidieuses--des autorités rwandaises pour intimider ceux qui vivent à l'étranger est de cibler leurs proches au Rwanda. Cela signifie que même les personnes qui résident dans des pays où leurs droits et leur sécurité devraient être protégés ne s'expriment pas librement de peur de voir leurs familles en subir les conséquences. Un activiste rwandais vivant dans un pays occidental a raconté qu'après son départ, un de ses proches a été détenu et torturé brutalement. Dans un autre cas, deux frères d'un réfugié rwandais qui vit maintenant en Australie ont été victimes d'une disparition forcée.
- Quel effet ces tactiques répressives ont-elles sur les Rwandais à l'étranger ?
Même à l'étranger, les Rwandais qui sont considérés comme des opposants au gouvernement rwandais ne se sentent pas en sécurité. Ne sachant pas à qui se fier, ils sont souvent inquiets à l'idée de nouer des relations. Ils évoquent leur peur lorsqu'une voiture s'arrête derrière eux ou lorsque quelqu'un leur rend visite sur leur lieu de travail. Certains sont allés jusqu'à modifier leur nom, refusent de fréquenter d'autres membres de la communauté ou évitent de voyager dans certains pays. Ils changent régulièrement de téléphone, et ont peur d'être surveillés ou attaqués. De nombreuses personnes qui ont choisi de poursuivre leurs critiques publiques du gouvernement rwandais depuis l'exil ont dû couper les liens avec leurs proches au Rwanda afin de les préserver du harcèlement, ou pire.
Les personnes interviewées par Human Rights Watch ont décrit une peur palpable. Si un membre de la communauté rwandaise meurt dans des circonstances suspectes, cela provoque la peur et la paranoïa dans certaines parties de la communauté.
- Ces tactiques abusives sont-elles nouvelles ?
Human Rights Watch a documenté des cas impliquant des attaques ou des menaces à l'encontre de détracteurs hors du Rwanda depuis la fin des années 1990. Tout comme aujourd'hui, ces affaires du passé concernent des victimes certainement prises pour cible en raison de leurs critiques à l'égard du gouvernement rwandais, du parti au pouvoir ou du président Paul Kagame. Un exemple marquant qui remonte à près de 10 ans est le meurtre de Patrick Karegeya, commis en janvier 2014. Après son assassinat en Afrique du Sud, le président, le Premier ministre et les ministres des Affaires étrangères et de la Défense du Rwanda ont tous tenu des propos durs, qualifiant Patrick Karegeya de traître et d'ennemi, et laissant par ailleurs entendre qu'il avait eu ce qu'il méritait.
Le Rwanda figurait parmi les pays qui cherchaient activement à utiliser de nouvelles technologies qui lui permettraient de pirater les téléphones des membres de l'opposition.
- Quels sont quelques-uns des cas les plus frappants documentés dans le rapport ?
Au Mozambique, les atteintes aux droits humains commises à l'encontre de la communauté de réfugiés rwandais se sont multipliées depuis de déploiement de troupes rwandaises pour combattre une insurrection dans la province la plus au nord du pays, le Cabo Delgado. Un homme d'affaires influent a été tué dans des circonstances troubles et Human Rights Watch a documenté plusieurs tentatives d'enlèvement, ainsi que la disparition forcée d'un ancien journaliste et activiste de l'opposition. Ce dernier a été placé en garde à vue en mai 2021 en présence d'une personne qui parlait kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda. Il n'a pas été revu depuis. Cette disparition a eu des répercussions sur l'ensemble de la communauté, où les personnes ne se sentent plus en sécurité.
En Australie, le refus d'un ancien réfugié de travailler pour le gouvernement a déclenché une vague de harcèlement qui a abouti à l'arrestation arbitraire et à la torture de ses proches au Rwanda--ses frères ont ensuite disparu--ainsi qu'à des tentatives répétées de la part des médias pro-gouvernementaux et des représentants du gouvernement de le discréditer et de l'intimider.
Aux États-Unis, les autorités rwandaises ont émis une notice rouge d'Interpol à l'encontre d'un ancien responsable du gouvernement, qu'Interpol a par la suite vérifiée et supprimée. Les autorités rwandaises ont également tenté d'obtenir de son avocat qu'il cesse de le représenter et de certaines relations professionnelles qu'elles coupent les ponts avec lui.
- Qui est impliqué dans ces abus ?
De nombreuses personnes interviewées par Human Rights Watch ont décrit un réseau d'associations ayant des liens avec le ministère rwandais des Affaires étrangères, appelé la Rwandan Community Abroad (Communauté des Rwandais à l'étranger ou RCA). La RCA et d'autres personnes proches du gouvernement contraignent les réfugiés à les rejoindre et font pression sur eux pour qu'ils donnent de l'argent ou retournent au Rwanda et cessent de critiquer le gouvernement. Lionel Richie Nishimwe, avocat et défenseur de la communauté des réfugiés rwandais en Zambie, a été l'un de ceux qui ont cédé aux pressions et est rentré au Rwanda. Une fois au Rwanda, il a été installé dans un hôtel et a subi des pressions visant à l'obliger à divulguer des informations sur d'autres réfugiés. Il a refusé et a depuis disparu.
Certaines personnes interviewées pensent que des agents rwandais ont également infiltré les agences nationales en charge des personnes réfugiées dans d'autres pays, ce qui explique pourquoi de nombreux Rwandais n'osent pas y demander l'asile de peur d'être pris pour cible.
Les ambassades rwandaises jouent aussi un rôle. Dans certains cas, le personnel des ambassades dans les pays africains a été impliqué dans des menaces contre des réfugiés, affirmant qu'ils subiraient le même sort que ceux qui ont disparu ou ont été assassinés s'ils ne retournaient pas au Rwanda ou ne rentraient pas dans le rang.
Dans certains cas d'attaques, les auteurs n'ont pas été identifiés, mais ils parlaient kinyarwanda et étaient soupçonnés de travailler pour le gouvernement rwandais. Par exemple, certaines victimes ont été informées qu'elles seraient livrées au Rwanda ou ont été accusées d'être des ennemis du Rwanda. Le contexte de persécution plus large des détracteurs du gouvernement à l'intérieur même du Rwanda donne de la crédibilité à l'allégation selon laquelle ces attaques étaient motivées par des considérations politiques. Cela suscite également des préoccupations sérieuses et plausibles quant à la possibilité d'une tolérance, d'un assentiment, voire d'une collusion (officiels) de l'État dans ces attaques.
- Pourquoi le gouvernement rwandais se donne-t-il tant de mal pour museler ses détracteurs ?
Le gouvernement rwandais est extrêmement attaché à son image. Il dépense beaucoup d'argent auprès d'entreprises de lobbying pour renforcer la perception selon laquelle le Rwanda est un pays fiable et sûr qui investit dans le développement, et où la corruption est quasi inexistante. Bien que cela soit en partie vrai, le gouvernement traite également de manière brutale et impitoyable les détracteurs qui pourraient contester sa mainmise sur le pouvoir, et constituer une menace potentielle pour l'image soigneusement entretenue d'un pays que ses habitants n'ont pas besoin de fuir.
- Les autorités des pays d'accueil où vivent les réfugiés rwandais sont-elles conscientes de la répression ?
Elles le sont, mais semblent préférer l'inaction. Le gouvernement des États-Unis, par exemple, a expulsé un ancien responsable syndical malgré la fuite d'un rapport du Bureau fédéral d'investigation (Federal Bureau of Investigation, FBI) indiquant qu'un agent du renseignement rwandais avait « presque certainement » fourni de fausses informations contre l'accusé au cours de l'enquête des autorités des services d'immigration et de douane (Immigration and Customs Enforcement, ICE).
Au Royaume-Uni, pendant des années, les autorités ont averti des Rwandais qu'ils pouvaient être traqués - jusqu'à ce que le gouvernement britannique conclue un accord avec le Rwanda pour y envoyer les demandeurs d'asile. Les autorités françaises et britanniques ont dû intervenir dans les cas de deux Rwandais naturalisés--devenus respectivement citoyens français et britannique et résidant dans ces pays--qui ont été détenus de façon arbitraire lors d'un déplacement au Rwanda, apparemment en réponse aux activités politiques de leurs proches en exil.
En Afrique du Sud, les enquêtes sur des meurtres présumés sont au point mort et un proche d'une personne a été vivement incité à arrêter de demander des réponses.
En Ouganda, les autorités ont demandé à un dissident rwandais voyageant avec un passeport australien de quitter le pays parce que le Rwanda voulait qu'il soit expulsé.
En Tanzanie, la police a arrêté une victime d'enlèvement rwandaise ainsi que ses ravisseurs et les a tous traduits en justice pour être entrés illégalement dans le pays. Bien qu'il s'agisse de l'un des rares cas où les autorités judiciaires ont publiquement reconnu l'implication des services de renseignement rwandais dans l'affaire, aucun chef d'inculpation d'enlèvement ou de tentative d'enlèvement n'a été retenu à l'encontre de l'agent du renseignement rwandais.
Dans presque tous les cas d'enlèvements, de disparitions forcées ou de meurtres suspects, les enquêtes sont au point mort ou n'ont pas débouché sur des arrestations ou des poursuites.
Fermer les yeux sur le bilan du Rwanda en matière de droits humains a permis à son gouvernement de se positionner comme un partenaire précieux pour les missions de maintien de la paix en Afrique et de revêtir l'apparence d'un lieu sûr pour les réfugiés tout en exportant sa répression dans le monde entier.
- Que faudrait-il faire ?
Les Rwandais interviewés pour ce rapport veulent une meilleure protection, la reconnaissance de leur situation et une approche davantage fondée sur des principes envers le Rwanda de la part de leurs gouvernements hôtes. Ils souhaitent que les partenaires internationaux du Rwanda dénoncent les nombreuses violations des droits humains commises par le gouvernement rwandais et, exigent la fin de la répression transnationale. Certains ont demandé à ce que les membres de leur famille puissent les rejoindre en exil, en particulier ceux dont les proches sont encore au Rwanda et sont exposés à d'éventuelles représailles. Enfin, ils demandent aux gouvernements hôtes de prendre au sérieux les menaces qui pèsent sur eux et d'enquêter sur les meurtres et les enlèvements de Rwandais à l'étranger.