Les autorités tunisiennes doivent libérer immédiatement et sans condition six opposants politiques qui sont détenus arbitrairement depuis près de huit mois en raison de leur militantisme pacifique, sur la base d'accusations infondées de « complot contre la sûreté de l'État », et abandonner toutes les poursuites engagées contre eux et d'autres personnes visées par des accusations similaires, a déclaré Amnesty International.
Ces six détenus sont le militant de l'opposition Jaouhar Ben Mbarek, le responsable politique Khayam Turki, le dissident et responsable politique Abdelhamid Jlassi, le militant de l'opposition Issam Chebbi et les avocats Ghazi Chaouachi et Ridha Bel Hadj. Tous sont incarcérés en vertu d'une ordonnance de placement en détention provisoire pour une durée de six mois qui a été renouvelée par le juge d'instruction le 22 août. La semaine dernière, Jaouhar Ben Mbarek a annoncé qu'il entamait une grève de la faim pour dénoncer sa détention arbitraire.
Ayachi Hammami, avocat bien connu spécialisé dans la défense des droits humains qui est visé par une enquête dans la même affaire que ses clients détenus et pour des accusations similaires, a été convoqué pour être interrogé par le juge d'instruction mardi 10 octobre au matin, ce qui montre la volonté des autorités de poursuivre cette procédure.
« Les autorités tunisiennes se livrent à une chasse aux sorcières en arrêtant des figures de l'opposition et en utilisant abusivement le système judiciaire pour réprimer le droit à la liberté d'expression et la dissidence politique. Cela fait sept mois qu'elles maintiennent des opposants politiques et des militants dissidents en détention provisoire prolongée, qui devrait être réservée à des cas exceptionnels et non brandie comme une arme contre le militantisme pacifique. Le maintien en détention arbitraire des six prisonniers politiques est une parodie de justice et doit cesser », a déclaré Heba Morayef, directrice du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International.
Le 2 octobre, les autorités tunisiennes ont également engagé des poursuites pénales contre deux des avocats de ces détenus, dans deux procédures distinctes.
« La répression croissante et le harcèlement judiciaire subis par les avocats pris dans cette affaire constituent l'une des particularités les plus inquiétantes de ces derniers mois. Au lieu d'ouvrir de nouvelles enquêtes sur les avocats des personnes détenues arbitrairement, les autorités tunisiennes doivent libérer sans délai et sans condition tous ces prisonniers et abandonner immédiatement les poursuites et les accusations infondées qui pèsent sur eux. Il s'agit d'une procédure motivée par des considérations politiques qui doit s'arrêter, de même que l'impunité des autorités et leur scandaleuse campagne de répression », a déclaré Heba Morayef.
L'interrogatoire d'Ayachi Hammami faisant suite à ceux de Mohamed Hamdi, d'Ahmed Nejib Chebbi, de Riadh Chaibi, de Noureddine Bhiri et d'autres militant·e·s de l'opposition qui sont visés dans cette affaire, il semble que le juge a désormais entendu presque toutes les personnes mises en cause, ce qui lui permettrait de prendre une décision sur une éventuelle inculpation.
Les avocat·e·s de la défense ont fait appel des ordonnances de placement en détention provisoire et déposé plusieurs demandes de libération provisoire, mais le juge d'instruction a systématiquement rejeté ces requêtes.
Poursuites contre des dirigeants de l'opposition et leurs avocat·e·s
Le 2 octobre, le procureur du tribunal de première instance de Tunis a ouvert une information judiciaire contre les avocates Islem Hamza et Dalila Ben Mbarek Msaddak à la suite de leurs déclarations à des médias les 28 et 29 septembre respectivement. Au cours d'une interview à la radio, Islem Hamza a déclaré que les accusations visant ses clients étaient forgées de toutes pièces et que le but de l'enquête était de réduire au silence l'opposition politique. Également lors d'une interview à la radio, Dalila Ben Mbarek Msaddak a expliqué la requête déposée en vue d'appeler à témoigner les diplomates étrangers avec qui les personnes détenues sont accusées d'avoir échangé des renseignements. Toutes deux font l'objet d'une enquête pour des chefs d'accusation prévus par le Décret-loi n° 2022-54 et la Loi organique n° 2004-63 portant sur la protection des données à caractère personnel, qui les rendent passibles de lourdes peines d'emprisonnement en cas de condamnation.
L'équipe qui défend les personnes détenues est composée de sept avocats et avocates, dont trois sont visés par des enquêtes pénales pour s'être simplement exprimés pacifiquement au sujet de cette affaire.
L'essence même de la justice est mise à mal lorsque des membres de professions juridiques sont dissuadés de remplir leur mission par crainte de représailles, voire sanctionnés, pour avoir simplement défendu les droits de leurs clients. Les autorités ne doivent pas infliger de représailles à des avocat·e·s qui ne font qu'exercer leur travail légitime et leur droit à la liberté d'expressionHeba Morayef, directrice du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International
Une information judiciaire avait déjà été ouverte contre Islem Hamza au titre du Décret-loi n° 2022-54 le 14 juin, à la suite de propos qu'elle avait tenus à des médias en tant qu'avocate de la défense, dans lesquels elle avait critiqué les conditions de transport des détenus entre la prison et les autres lieux. Un autre avocat membre du Comité de défense des personnes détenues dans l'affaire de « complot » a été entendu par le juge d'instruction le 1er juin, accusé d'avoir « nui aux tiers [...] à travers les réseaux publics des télécommunications » (article 86 du Code des télécommunications) et « imputé à un fonctionnaire public des faits illégaux sans en établir la véracité » en raison de son intervention lors d'une conférence de presse du Comité de défense qui s'est tenue le 15 mai 2023, au cours de laquelle il a déclaré que l'équipe avait relevé des incohérences dans le dossier laissant penser que celui-ci pourrait avoir été trafiqué.
« L'essence même de la justice est mise à mal lorsque des membres de professions juridiques sont dissuadés de remplir leur mission par crainte de représailles, voire sanctionnés, pour avoir simplement défendu les droits de leurs clients. Les autorités ne doivent pas infliger de représailles à des avocat·e·s qui ne font qu'exercer leur travail légitime et leur droit à la liberté d'expression », a déclaré Heba Morayef.
Complément d'information
Depuis février 2023, les autorités tunisiennes mènent une enquête pénale contre au moins 40 personnes pour des accusations fallacieuses de complot. Cette enquête a été ouverte au titre de 10 articles du Code pénal tunisien, notamment l'article 72, qui prévoit la peine de mort obligatoire pour les tentatives visant à « changer la forme du gouvernement ».
Les personnes visées sont également inculpées de plusieurs infractions au titre d'une quinzaine d'articles de la loi antiterroriste de 2015, notamment de son article 32, qui prévoit une peine allant jusqu'à 20 ans d'emprisonnement pour la « formation d'une organisation terroriste ».
Entre le 12 et le 23 février, huit membres de l'opposition ont été arrêtés et placés en détention dans le cadre de cette enquête. Parmi eux figuraient la militante politique Chaïma Issa, dirigeante du Front de salut national, une coalition d'opposition, et l'avocat et militant politique Lazhar Akermi.
Après presque cinq mois de détention, tous deux ont été remis en liberté provisoire le 13 juillet. Cependant, au moins six des autres personnes incarcérées dans le cadre de cette enquête sont encore maintenues en détention provisoire arbitraire et prolongée. Ces détenus sont le responsable politique Khayam Turki, le dissident et responsable politique Abdelhamid Jlassi, les militants de l'opposition Issam Chebbi et Jaouhar Ben Mbarek, et les avocats et militants de l'opposition Ghazi Chaouachi et Ridha Bel Hadj.