Burkina Faso: Dansa Bitchibaly, ancien Secrétaire permanent de la SNC - « L'école moderne a rempli les têtes de technologies, mais vidé les coeurs de la dimension humaine »

12 Octobre 2023

Il est considéré comme la « boîte noire » de la Semaine nationale de la culture (SNC) pour avoir mis toute sa carrière (1988-2017) au service de la culture et de l'administration culturelle burkinabè. A la retraite depuis 6 ans, l'ancien Secrétaire permanent de la SNC (2000-2012), Dansa Bitchibaly, s'est entretenu, durant près de deux heures d'horloge, avec la rédaction de la Direction régionale de l'Ouest des Editions Sidwaya, le vendredi 22 septembre 2023 à Bobo-Dioulasso. L'organisation de la dernière édition de la SNC, les changements institutionnels à la biennale de culture, la place de la culture dans le développement socioéconomique du Burkina Faso, l'incivisme, le terrorisme, les coups d'Etat en Afrique, les rapports de la France avec les Etats du Sahel ..., tout y est passé et sans langue de bois.

Sidwaya (S) : Qui est Dansa Bitchibaly ? Dansa Bitchibaly

(D.B) : Je suis humblement Bitchibaly Dansa de la communauté San-nord, précisément de Koui, dans la province du Sourou (Tougan), région de la Boucle du Mouhoun. J'ai fait toute mon enfance au Mali de même que mes études jusqu'à l'enseignement supérieur à l'Ecole supérieure de Bamako. En 1984, après mes études, je suis rentré au pays pour embrasser une carrière d'enseignant dans les établissements privés avant d'intégrer l'administration publique en 1987 par le biais d'un concours de la culture où Aline Koala (ancienne ministre de la Culture, ndlr) et moi avions été retenus.

Depuis le 10 février 1988, je travaille dans l'administration culturelle d'abord en tant qu'agent des Arts du spectacle et des Lettres avec Prosper Kompaoré qui est un monument de la culture sur le plan national, ensuite avec feu Jacques Prosper Bazié, directeur des Arts du spectacle, avec qui nous avons organisé l'édition 90 de la Semaine nationale de la culture (SNC) qui a consacré le retour définitif de l'évènement à Bobo-Dioulasso. Par la suite, j'ai été responsabilisé à la Direction régionale de la culturelle des Hauts-Bassins.

En 1997, je suis reparti à la Direction de la législation, de la promotion et de la coopération culturelle (DLPCC) au ministère à Ouagadougou où j'ai travaillé avec Jean-Claude Dioma, Désiré Ouédraogo et Diounou Founawé. Je me suis occupé précisément de la Caravane du Sahel, une tournée artistique que nous avions initiée avec les lauréats des différentes manifestations nationales dont la SNC. Nous avons été en 1998 en Côte d'Ivoire, en 1999 au Mali et dans les 35 provinces du pays avec ces lauréats.

C'est pendant cette période que j'ai été responsabilisé sur le programme culturel du Burkina Faso sur l'expo-universelle en 2000 à Hanovre en Allemagne où nous avons eu la chance de faire participer les artistes burkinabè dont Farafina Yeleba (lauréat SNC à l'époque) en Suisse, le Warba de Mogtédo et plein d'autres groupes avec qui nous avons pris part à cet évènement. C'est à l'issue de cette activité que j'ai été rappelé à Bobo-Dioulasso à la tête de la coordination des activités de la SNC.

Nous avons eu la chance d'organiser six éditions de la SNC de 2000 à 2012. C'est après ces éditions que j'ai été affecté à la Maison de la culture Anselme-Titianma-Sanon. De la Maison de la culture, j'ai pris ma retraite en décembre 2017. S : Que devient Dansa Bitchibaly après sa retraite depuis décembre 2017 ? D.B : J'ai la chance d'être souvent sollicité pour animer des conférences, ou encore donner des cours à l'Institut régional d'administration (IRA) de Bobo-Dioulasso. Je m'occupe également souvent de petites activités sur le plan dominical.

Mais je ne m'use pas beaucoup. Je ne m'ennuie pas, je vis comme tout bon retraité (rires), pas trop de soucis. S : Quelle appréciation faites-vous de la dernière édition de la SNC Bobo 2020, tenue du 29 avril au 6 mai 2023 ? D.B : Il y a eu une grosse période de flottement qui était très dangereuse pour l'évènement parce que la SNC n'est pas qu'évènementiel. C'est l'âme d'une Nation que nous essayons de faire revivre à travers les points de connexion entre les communautés culturelles.

Et la tenue de cette dernière édition malgré la situation difficile du pays nous a mis un gros baume au coeur parce qu'elle a été comme une édition de la résurrection. Et c'est là que je félicite les autorités qui, dans les moments si difficiles, ont réussi à relancer la SNC qui était en train de s'étioler parce que quand on parle d'évènement culturel, on parle de créations artistiques. Et quand les créations artistiques ne sont pas présentées mais plutôt gardées dans les tiroirs, c'est la meilleure façon de les tuer.

Je suis donc très content, très fier que les autorités aient relancé la SNC qui a connu le succès populaire que nous avons vu, preuve que cette édition était attendue par tous. C'est vraiment un point positif à inscrire à l'actif du Burkina Faso dans la dynamique actuelle.

S : Le thème de cette dernière édition était d'ailleurs : « Diversité culturelle : ferment de l'unité nationale ». A votre avis, quelle est la place de la culture dans la lutte contre le terrorisme ?

B.D : Il faut aller sur un postulat initial. La notion du développement est indissociable de la culture en tant que socle. Méconnaitre cet aspect de la chose, c'est classer la culture au rang des secteurs mineurs. Alors que c'est tout faux ! Tout peuple se lance, envisage son avenir, prépare son devenir, à partir du socle essentiel que constitue sa culture. Quand on méconnait sa culture, on va à l'aventure, et quand on va à l'aventure, on ne sait jamais ce qui peut nous arriver.

Le Burkina Faso est une Nation plurielle en termes de communautés culturelles. Et la force de ce pays résidera en la capacité à nous unir, à nous tendre la main, à nous comprendre. Quand on s'approche, on se comprend. Quand on se comprend, on se rend compte qu'on est complémentaire. Et quand on est complémentaire, on est plus fort, et on a la possibilité d'envisager l'avenir uni et fort. Si nous adoptons cette vision des choses et continuons sur cette lancée, on ne peut que gagner cette guerre contre le terrorisme car aucun peuple uni ne peut être vaincu.

Ce sont les éléments et les référents de la culture qui constituent le ferment de notre propre devenir. Et nous devons travailler vraiment à valoriser cet aspect des choses. C'est pourquoi, nous interpellons chaque fois les organisateurs de la SNC à ne pas méconnaitre et ignorer la dimension des cultures en péril. Il faut ainsi travailler à rendre visibles les nombreuses communautés en péril par des actions nationales.

S : Les conditions sont-elles réunies pour que la culture, dans cette diversité, puisse jouer ce rôle ?

D.B : Il faut que politiquement on comprenne la place de la culture, l'enlever de la dimension évènementielle et en faire le ferment de notre processus de développement. Les nations que l'on appelle grandes nations ne sont pas parties d'autre chose que la culture. Il n'y pas de modèle de développement. Quand on tombe dans le modèle de développement, on commence à imiter. Et quand on imite, on ne crée plus. En ce moment, vous devenez purement et simplement une société de consommation.

Donc si vous suivez quelqu'un, vous n'avez plus la capacité d'analyser. Par conséquent, si la personne va dans le décor ou dans le mur, vous le suivez dans ce décor ou dans le mur. C'est la culture qui constitue le ciment du développement. A mon humble point de vue, la culture devrait être la structure centrale sur laquelle la nation doit s'organiser pour créer des projets et des programmes de développement, et non être considérée comme secteur mineur. Tout est culturel. Que ce soit l'économie ou l'intellectuel, tous les domaines se réfèrent à la culture. C'est quand on ignore cela qu'on tombe dans le piège. Regardez notre école aujourd'hui. Nous avons passé notre temps à singer le système éducatif des autres en oubliant que ce sont des hommes que nous formons.

Conséquence, la substance de notre culture est ignorée par la jeune génération alors que nous avions des écoles. Et c'est un gros problème. Les écoles traditionnelles existent dans toutes les communautés avec des valeurs, des signes et des symboles forts qui travaillent à cimenter et à consolider les communautés culturelles. Que vous allez en pays gouin, lobi, dagara, peulh, sénoufo, ou encore gourmantché, il y a une école dans chacune de ces communautés.

La célèbre initiation du Djôrô chez les Lobi est une véritable école. Vous avez le culte des masques chez les Sénoufos ou chez toutes les communautés à l'Ouest du Burkina Faso, qui est une école. C'est là qu'on forme l'homme de demain. L'école moderne nous a permis de remplir les têtes de technologies et de sciences, mais a vidé les coeurs de la dimension humaine. Et c'est ce qui fait que le sentiment d'appartenance à un idéal commun est en train de s'effriter.

L'école en est en grande partie responsable. Il a fallu 60 ans pour que nous nous rendions compte que nous nous sommes trompés. Il est encore peut-être temps de revenir sur certaines choses. Cela n'engage que Dansa Bitchibaly, mais je pense que nous ne prenons pas suffisamment en compte la culture dans la construction du devenir du Burkina Faso. Il faut qu'on y pense assez vite.

S : Effectivement, certains n'hésitent pas à indexer l'abandon de nos pratiques traditionnelles parmi les causes du terrorisme ...

D.B : En réalité, le problème du Burkina Faso, c'est que nous n'avons pas pris nos cultures dans tout ce que nous avons envisagé parce que l'appartenance à un idéal commun n'existe pas. Quand vous construisez quelque chose ensemble, vous le bâtissez ensemble, il va de soi que chacun se sente responsable vis-à-vis de cette chose. Et c'est ce que les écoles de nos communautés nous enseignaient. Vous avez raison de dire que l'abandon des valeurs traditionnelles fait partie des causes du terrorisme parce que malheureusement, l'école moderne travaille à valoriser l'individu au détriment du groupe.

Alors que traditionnellement, tout ce qui est fait pour former l'homme, vise à consolider le groupe. Vous voyez qu'il y a une contradiction fondamentale et dangereuse que nous ne percevons pas et qui fait qu'aujourd'hui que les gens ne sont pas interpelés par la question de la Nation. C'est pourquoi des phénomènes comme le terrorisme qui auraient pu être circonscrits rapidement, ont pris de l'ampleur parce que personne ne se sentait concerné.

C'est un peu cela le problème. Donc, il faut que l'on revienne à certaines de nos valeurs comme la parenté à plaisanterie et beaucoup d'autres valeurs parce que l'autre dans la tradition est une richesse. L'autre, celui qui vient à vous, celui qui est désespéré, vous interpelle la conscience. L'étranger qui vient à vous est une richesse. On était prêt à se priver de beaucoup de choses pour le mettre à l'aise.

Il était prioritaire sur tout. Mais aujourd'hui, on est fier de constater que son voisin n'a même pas la possibilité d'envoyer son enfant à l'école, alors que par le passé, ce voisin qui a des problèmes interpellait notre conscience et nous obligeait à agir. Malheureusement, cet élan de solidarité n'existe pas et c'est vraiment dommage.

« Je souhaite que la jeune génération travaille à valoriser les cultures en péril »

S : Doit-on comprendre que ce sont ces valeurs culturelles qui font que le terrorisme a du mal à s'installer dans le Sud-Ouest (Gaoua) quand on sait que la communauté de cette partie du pays a gardé jalousement ses traditions ?

D.B : En partie, oui. Si vous l'avez remarqué, c'est une communauté très soudée. Nous n'avons pas par exemple fini d'étudier les valeurs essentielles de ces peuples autochtones du Sud-Ouest tels que les Lobis, les Dagaras, les Djans, les Birifors. Ce sont des communautés qui sont extrêmement bien organisées et très jalouses de leurs valeurs culturelles. Si bien que le colonisateur n'a pas réussi à asservir le Sud-Ouest parce qu'il n'a jamais compris le fonctionnement de ces peuples.

Donc j'estime très humblement qu'il faut revenir à nos valeurs anciennes, et ne pas dire que c'est du passé. Enseigner ces valeurs à la jeune génération est notre voie de sortie. Cela ne veut pas dire qu'il faut remettre en cause toute la technologie et la science, mais ces deux valeurs doivent être complémentaires pour que nous formions des hommes responsables à même d'aider à construire une nation surtout solidaire.

La solidarité a foutu le camp depuis longtemps et c'est dommage. S : Vous êtes considéré comme une "boîte noire" de la SNC pour l'avoir dirigée pendant une douzaine d'années. Quels conseils pouvez-vous donner aux dirigeants actuels de cette structure pour mieux valoriser notre culture ? D.B : Quand vous parlez de la SNC, permettez-moi de rendre hommage aux devanciers que sont Prosper Kompaoré et feu Jaques Prosper Bazié qui ont guidé nos premiers pas et qui nous ont insufflé l'amour de la chose.

La SNC, quand vous la percevez dans sa dimension purement administrative, c'est vraiment un calvaire pour ses organisateurs. Mais, il faut se situer dans sa dimension passion, et nous, nous avons eu la chance de vivre cet évènement en passionnés. Parce que chaque édition de la SNC nous révélait à nous-mêmes. Nous avons été formés par la SNC parce que chaque édition nous permettait d'aller en profondeur et de connaitre le pays.

Si vous avez souvenance, à l'époque, les régionales étaient tournantes pour éviter que ce soit les mêmes communautés qui accueillent toujours l'évènement. En plus, nous travaillions également à découvrir ceux qu'on ne connaissait pas comme la communauté Kouroumba (encore appelée Foulsé) que les gens ne connaissaient pas.

Parfois, ils se considèrent eux-mêmes des Mossé, mais c'est une communauté pré-mossé. Nous avons découvert ces communautés lors des régionales que nous avons organisées en 2005 à Titao (le nom réel de Titao est Toro-Tao qui signifie la mare aux phacochères en langue Kourounfé). Quand nous avons découvert ces ensembles, il s'agit des Nouri de Toulfé, de Ousmane Boena de Pobé-Mengao, du Kokorowé de Solé, de Ségué et de Ban. Nous avons travaillé à les faire venir à la SNC pour que les Burkinabè découvrent un pan de leur culture qui n'était pas connu. A l'époque, nous avons déclassé les musiciens San sur la lutte traditionnelle et ce sont les joueurs de Kokorowé des Kouroumba qui ont animé les compétitions de lutte. Et depuis lors, cette communauté vient en compétition à la SNC. C'est une communauté en péril parce que la langue est en train de disparaitre pratiquement. Ils sont rares, depuis les Badini, jusqu'aux Maïga, les Boena, les Niampa, les Kagoné, les Ganamé ...

Plein de gens ne comprennent plus cette langue. En matière de culture, nous appelons cela, une culture en péril et il faut que l'administration culturelle travaille à valoriser ces expressions-là. Malheureusement, on a tendance aujourd'hui à mettre en avance la dimension compétition de la SNC qui, bien-sûr, révèle d'excellentes créations, mais ne permet pas de découvrir les originalités qui n'ont pas encore accès à la SNC.

Je souhaite que la jeune génération travaille vraiment à valoriser les cultures en péril. Il s'agit par exemple des Kouroumba dont j'ai tantôt parlé, des Pana en pays San, des Tieffo que nous avons mis sur la sellette à la SNC 2012, des Wara dans les zones de Niansogoni et Néguéni, des Blé dans la commune de Loumana. Toutes ces communautés sont minoritaires et peu connues.

Leur voix ne porte pas sur le plan national et ce n'est pas bon. Voilà pourquoi nous parlons de promotion de la diversité culturelle. La SNC doit travailler à mettre cela en avant si nous devons construire une nation. La compétition permet certes, de hisser le Burkina Faso à un niveau international. Mais il faut également qu'elle travaille à consolider les acquis culturels, à souder les communautés culturelles de ce pays.

S : Pensez-vous qu'on puisse revenir à cette ancienne SNC comme dans le temps pour permettre de mettre en lumière les cultures en péril ?

D.B : La direction générale de la SNC est normalement une direction artistique de l'évènement. A mon humble avis, on ne peut pas organiser pareil évènement en étant assis à Bobo-Dioulasso. Il faut aller sur le terrain, connaitre les différents acteurs. L'administration de la SNC doit travailler à mettre beaucoup en avant la possibilité du contact direct avec les acteurs. Cela leur permet d'une part, de connaitre les réalités du terrain, et de l'autre, de découvrir les opportunités qui peuvent permettre à chaque édition d'avoir un ressort nouveau.

Ce que vous amenez de nouveau est un élément qui peut consolider le crédit de la SNC. Sinon la compétition de façon mécanique ne mène nulle part. Il faut que cette dimension soit prise en compte et je pense que le caractère tournant des semaines régionales de la culture est un élément fondamental.

Il revient maintenant aux dirigeants de voir. On évoque souvent les problèmes de ressources financières, mais tout est question d'organisation et il faut travailler de sorte que la direction générale soit animée par des gens qui ont le même niveau d'information et de connaissance. Cela veut dire que dès qu'un maillon de la chaine n'est pas disponible, les autres puissent continuer le travail sans problème. Mais si les acteurs ne vont pas sur le terrain, cela sera compliqué.

S : La SNC a enregistré de nombreuses réformes institutionnelles ces dernières années. Que pensez-vous de ces réaménagements ?

D.B : Comme tout évènement d'envergure, la SNC a connu beaucoup de péripéties. Déjà à Gaoua 1984 à la IIe édition de l'évènement, il y a eu des couacs. Le clash est parti de la question des compétitions dans les disciplines dites traditionnelles. Cela a nécessité un séminaire en 1985 qui a permis de redéfinir les disciplines et de redimensionner la compétition jusqu'à l'édition 1994 où nous avons dû organiser un séminaire pour revoir les questions d'organisation pratique de l'évènement.

Ce qui a amené la nouvelle formule comme la restauration. A partir de 1997, il y a eu d'autres réformes, ce qu'on a appelé la nouvelle philosophie qui a remis en cause la compétition dans les disciplines dites traditionnelles. Malheureusement, cette disposition n'a pas donné aux artistes l'élan que l'on souhaitait parce que le niveau de la création avait commencé à baisser. La conséquence est que l'accueil du public avait commencé à être mitigé. Cette expérience a été vécue sur deux éditions, 1998 et 2000.

A l'issue de ces deux éditions, on a dû organiser un séminaire en 2003 pour le redimensionnement de la SNC. Ce qui nous a permis de redéfinir les disciplines. Avant, nous avions ce que nous appelions les musiques traditionnelles qui regroupaient les instrumentistes, les vocalistes, les choristes. Nous avons éclaté cette discipline en trois, pour aller beaucoup plus sur la réalité du terrain et cela nous a permis de déterminer les vedettes de la chanson traditionnelle, les choeurs populaires et la musique traditionnelle instrumentale.

« Vedette de la chanson traditionnelle », pour mettre en exergue les virtuoses de la voix dans nos traditions. Ensuite, nous avons institué la « musique traditionnelle instrumentale » parce que nous savons qu'il y a des virtuoses des instruments dits traditionnels et il faut les mettre en exergue. Et le « choeur populaire », pour mettre en exergue la possibilité de chanter en choeur qui pourrait évoluer progressivement vers la polyphonie.

C'est la même chose que nous avons fait avec ce qui s'appelait les arts de la scène moderne qui étaient pratiquement une discipline quelque peu globalisante. Quand on dit art de la scène, ça regroupe plusieurs disciplines et c'est assez compliqué. Le théâtre est un art de la scène moderne, le jeu d'orchestre en un aussi . Nous avons créé ce que nous avons appelé la création chorégraphique. C'est différent de la danse contemporaine. C'est une discipline qui s'adressait aux jeunesses urbaines.

Il s'agissait de permettre à cette jeunesse d'exprimer ses problèmes en s'inspirant de la chorégraphie. C'est-à-dire les danses traditionnelles, les signes et les symboles de la danse traditionnelle et des instruments de musique traditionnelle pour exprimer ses préoccupations d'aujourd'hui. Ce qui a donné de grands spectacles comme les « Enfants de la rue » avec le groupe « Dankan » ou encore les « Enfants soldats ».

Cette discipline a eu vraiment un parcours assez intéressant. Donc, la Direction des arts du spectacle et des lettres qui organisait au début l'évènement, est devenue un secrétariat permanent de la SNC pour ensuite devenir un secrétariat technique et une direction générale de la SNC à ce jour. Mais nous espérons que ces changements institutionnels donnent plus de tonus et d'énergie à l'organisation de l'événement parce que les défis d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier. Il faut que la structure comprenne qu'il y a des défis et des enjeux majeurs. La perception administrative des choses simples ne peut donc pas permettre de relever ces différents défis. Mais nous sommes optimistes.

S : Vous avez dirigé la SNC et ensuite travaillé à la Maison de la culture. La fusion de ces deux entités est-elle une bonne option ?

D.B : La Maison de la culture n'est pas venue ex-nihilo. Elle est le fruit des requêtes que nous avons soumises à l'édition 2002 quand nous avons rencontré l'autorité qui était venue pour la clôture. C'est à cette occasion nous avons posé le problème d'avoir une salle de spectacle professionnelle qui valorise davantage les créations de nos artistes parce que le Théâtre de l'amitié de Bobo-Dioulasso commençait à devenir désuet. Alors, promesse ne nous a pas été faite à l'époque.

Il nous a été dit qu'on réfléchirait à notre demande. C'est à l'issue de l'édition 2008 de la manifestation, à la clôture qu'on nous a signifié qu'il fallait enfin trouver un espace pour la réalisation de la salle de spectacle que nous souhaitons depuis. Grâce à la diplomatie du ministre Filippe Savadogo à l'époque, nous nous sommes adressés à la mairie qui a déterminé le grand rond-point de Sarfalao et depuis les choses sont allées assez vite. Donc la Maison de la culture est pratiquement née dans l'élan de la SNC.

Que ces deux structures soient arrimées aujourd'hui, cela ne m'étonne pas. C'est l'inverse qui posait problème parce que la Maison de la culture en tant que structure gérée posait beaucoup de problèmes. Mais avec la SNC, il y a déjà un espace professionnel qui permet de valoriser les créations mais également aux activités d'être permanentes après les SNC. Parce que l'inter-SNC est un gros problème.

Il faut travailler à valoriser les créations et permettre aux communautés d'être permanemment en activité car quand la création artistique n'est pas présentée, cela pose un problème à l'artiste. Donc la Maison de la culture et la SNC, c'est la même entité. Il faut connaître l'histoire de ces deux structures pour comprendre pourquoi cela a été fait parce que quand nous l'avons réalisée, l'option a été d'en faire un Etablissement public de l'Etat (EPE).

Mais en réalité, certains responsables du département ont dit que sa gestion devrait être confiée à la SNC. La décision a été prise sous le ministre Karim Sango à la sortie des états généraux de la SNC qui ont décidé de la fusion de ces deux entités. Maintenant, il faut que la Maison de la culture soit un tremplin extrêmement important pour la SNC. S : Que faut-il faire pour que cet attelage soit une réussite ? D.B : La chose la plus importante, c'est la question de la gestion. Il faut bien s'organiser pour assurer la permanence des activités sur cette espace.

En la matière, l'équipe qui gérait la Maison de la culture a fait un excellent travail parce qu'elle était une des structures les plus viables du département. Ce qui veut dire que l'habitude de la fréquentation est acquise. Il reste maintenant à travailler à fidéliser ce public et à diversifier les activités pour que les ressources soient décuplées afin que la SNC puisse s'adosser à quelque chose de conséquent. Tout va se résumer à une question de management des hommes et de vision.

S : Avec du recul, pensez-vous que la SNC sous sa forme actuelle est appropriée pour la valorisation de la culture burkinabè ?

D.B : Sur cette question, je ne vais pas être très ferme parce que les activités comme la SNC ne sont pas forcément une question de diplôme. C'est une question de conviction et de passion. Quand on aime la chose, on réalise des merveilles. Donc tout est une question d'hommes. J'espère que ceux qui sont aux commandes de la SNC travailleront premièrement dans un esprit d'humilité, de modestie et de complémentarité.

Quand vous gérez un événement de ce genre, plus vous parlez, plus on vous écoute. Mais si vous avez la capacité d'écoute, vous apprenez plein de choses qui vous aident à vous organiser et à atteindre des performances. Il faut être humble, aller vers les gens pour acquérir beaucoup de choses. Dans nos cultures, celui qui s'abaisse obtient tout. Il faut accepter plein de choses pour que l'événement puisse grandir car le Burkina culturel a beaucoup de choses à révéler.

On n'a pas encore révélé le tiers de ce que ce pays a comme potentialités culturelles, et cela urge. Plus on traîne, plus les choses s'étiolent à la base. Il faut travailler à remettre les gens en confiance. Je prends un exemple avec le balafon Sénoufo à Koloko, Sifarasso, etc. Ce balafon n'est pas suffisamment vu à la SNC. Le balafon Nabnégué de la région de N'Dorla, Fanberla, Yanberla, Morlaba, etc. Mama Konaté l'a mis peut-être en exergue et c'est tombé dans les oubliettes.

Nous avons eu la chance de participer aux éditions du Triangle du balafon à Sikasso. Mais quand on amène certains artistes, les autres pays sont hébétés. Par exemple le Burkina Faso est la nation du balafon mais le balafon n'est pas très visible à la SNC. Nous avons au moins 20 variantes du balafon et on n'en a pas fini. Il y a plein de choses à faire mais il faut que les gens quittent les bureaux pour aller à la découverte de ces valeurs. Et ça, il faut aimer sinon, des problèmes d'essence, de motocyclettes, de véhicules, de frais de mission vont se poser à vous. Et dès que cela rentre en ligne de compte, vous ne bougez pas et quand vous ne bougez pas, rien ne vient à vous.

S : Peut-on valoriser la culture burkinabè sans y associer les religions traditionnelles ?

D.B : Les religions traditionnelles ont une particularité. Elles sont comme l'argent qui n'aime pas qu'on fasse du bruit autour de lui. Donc nos religions dites traditionnelles n'aiment pas trop le boucan. Quand le boucan s'y invite, les supercheries et les arnaqueurs commencent à entrer en ligne de compte. C'est comme la médecine traditionnelle, elle ne se monnaie pas. Mais dès que l'argent a commencé à s'y introduire, nous ne savons plus faire la différence entre le vrai et le faux. Sinon, tout ce que nous faisons dans le domaine du festival, il y a une senteur de religion traditionnelle qui ne dit pas son nom. Mais nous ne pouvons pas afficher ces choses. Si vous prenez les Pougélé, les Pougouli, les valeurs qu'ils ont, reposent sur quoi ?

La possibilité de réveiller un corps, de le mettre dans un véhicule pour que ses funérailles se passent au village. Vous prenez les San, quand quelqu'un meurt à Bobo-Dioulasso ici, on a l'autorisation de l'enterrer à Bobo en demandant l'autorisation de la terre de Bobo. Mais on a aussi la possibilité de prendre la terre de Bobo-Dioulasso, l'amener jusque dans le village d'origine du défunt et à l'entrée du village, on dépose cette terre, on prend la terre du village à l'entrée, on entre avec et c'est avec cette terre qu'on fait les funérailles du défunt.

C'est-à-dire que la terre de Bobo-Dioulasso a servi de relai pour ramener l'âme du défunt jusqu'à ses ancêtres. C'est pourquoi, je dis que la notion de terre dans nos traditions est fondamentale et on ne s'amuse pas avec. La chose que nous avons en partage, qui est sacrée, c'est la terre du Burkina Faso. Chaque communauté la célèbre et la magnifie à sa manière mais les communautés sont très solidaires. Le Gouin de Banfora ne va pas refuser que je prenne la terre de la tombe de mon frère à Banfora pour aller faire ses funérailles chez nous. Ce sont des choses essentielles que nous avons tendance à occulter ou à ignorer.

S : Parlant justement de la terre, nous assistons aujourd'hui à de nombreux conflits fonciers dont le règlement par la voie judiciaire aboutit difficilement. Quelle issue à ces conflits fonciers ?

D.B : Il faut interroger la tradition parce que dans aucune de nos traditions, il n'est permis d'avoir un conflit autour de la terre parce que les conséquences sont énormes. Je ne connais pas cette communauté qui autorise les conflits autour de la terre. Les San ne le feront jamais. Il faut interroger nos traditions pour avoir des réponses à ces questions parce que le foncier est sacré. Par exemple, si quelqu'un est en détresse et vient à moi en disant : Ah ! Monsieur Bitchibaly, je n'ai pas de quoi nourrir ma famille, puis-je avoir un lopin de terre.

Si je refuse de lui donner le lopin de terre, la terre me poursuit d'une manière ou d'une autre. Mais aujourd'hui, nous avons foutu la pagaille dans ce domaine et il faut revenir à la tradition. Il n'y a rien de plus clément, de plus solidaire et confortable que la terre. Mais c'est à nous de revenir à ces valeurs. Quand quelqu'un peut se permettre d'acheter des hectares pendant qu'à côté, il y a des gens qui n'ont même pas de lopin de terre pour nourrir ou loger leur famille, il y a de quoi revenir à nos valeurs.

Quand quelque chose se passe et vous jurez sur la terre, vous n'avez pas juré dans le vide, c'est extrêmement dangereux. Ces instruments, on peut toujours les utiliser, la terre du Burkina Faso est une terre unique. Elle n'a pas été falsifiée, elle existe et c'est sur cette terre que nous sommes. Il faut travailler à la valoriser et amener les enfants à comprendre que c'est la seule chose que nous avons en partage. Elle est sacrée et nous devons travailler à la protéger.

« On n'a pas encore révélé le tiers de ce que ce pays a comme potentialités culturelles »

S : La construction de la cité des artistes a été l'un de vos combats. Le projet est maintenant en cours d'exécution. Quelle appréciation en faites-vous ?

D.B : C'est un rêve et un très grand rêve parce que le problème d'hébergement des artistes pendant les éditions de la SNC a été constamment le casse-tête. On ne s'en sortait pas du tout et nous avons suggéré à l'autorité de nous aider à trouver un espace où on pourrait héberger enfin la majeure partie des participants. A l'époque, on avait d'abord pensé à l'arrière du stade Sangoulé-Lamizana sur sept hectares. Mais je ne sais pas quel a été le sort réservé à ce dossier. En définitive, c'est derrière Sarfalao que l'espace a été trouvé. Je félicite les autorités pour la volonté affichée à l'occasion de la dernière SNC.

Non seulement la première pierre a été posée mais aussi la volonté politique a été affirmée et cela est à féliciter. Si nous avons un espace qui accueille les artistes, cet espace en dehors de l'évènementiel de la SNC peut être mis à profit pour de nombreuses autres activités. Soit dit en passant, la SNC gagnerait à être appuyée par d'autres activités à Bobo-Dioulasso. Plus il y a des activités dans la ville de Bobo-Dioulasso, mieux ça va parce que chaque SNC mobilise plusieurs milliards F CFA dans la ville de Bobo-Dioulasso en 10 jours.

Toute activité artistique a une opportunité économique. On nous a fait croire que nous sommes un domaine marginal, improductif. Quand nous organisons la Semaine nationale de la culture, nous demandons le partenariat de certaines structures et industries de la ville qui refusent. Mais elles viennent avec leurs produits sur la foire et payent un stand pour se faire des millions. C'est donc comme un marché de dupes. Aujourd'hui, il faut de plus en plus parler de partenariat d'entreprise et non de sponsoring.

Nous avions engagé cela en 2012, c'est-à-dire parler de partenariat d'entreprise et si on va sur cette lancée, les choses peuvent être acquises pour la Semaine nationale de la culture. S : Quelle est la différence entre le partenariat d'entreprise et le sponsoring ? D.B : Le sponsor a toujours l'impression que c'est grâce à lui que ton activité se tient, alors que le partenaire d'entreprise se dit que tu lui offres la possibilité de valoriser sa production. Donc, vous êtes sur un même pied d'égalité. Et si vous êtes sur un même pied d'égalité, vous pouvez discuter des avantages que l'un et l'autre peuvent tirer de cette affaire. C'est un peu cela à mon humble avis et il faut vraiment qu'on travaille sur cette lancée.

S : Au Burkina Faso, les projets commencent bien, mais leur aboutissement est une autre paire de manches. Quel conseil donneriez-vous pour que la cité des artistes puisse aller à terme ?

D.B : Vous avez parfaitement raison, mais tout est une question d'organisation et de choix des hommes. Il faut des gens qui y croient, des gens qui savent que cette structure est très bénéfique pour l'ensemble de la nation et pour l'ensemble des acteurs culturels.

L'administratif seul ne suffit pas, il faut que la structure soit encadrée par des textes, mais il faut des hommes aussi qui croient en la structure et qui s'investissent. Je pense qu'une cité des artistes serait une très bonne chose pour l'ensemble des artistes de la région de Bobo-Dioulasso. Imaginez par exemple tous ceux qui viendraient pour des activités en dehors de la Semaine nationale de la culture. Ils auront probablement plus de facilités à la cité des artistes qu'ailleurs.

Les artistes quand ils viennent, ils mènent plusieurs activités, comme les master-class qui ne peuvent pas se faire dans les hôtels. C'est dans les centres que ces activités peuvent se mener. En plus de cela, la cité des artistes va booster le tourisme dans la région et insuffler une nouvelle dynamique à la création artistique. Donc s'il y a une cité, c'est un espace ouvert à l'ensemble de ces créateurs. Il y a ensuite, la vie économique autour de cet espace qui sera décuplée. Partout où vous créez une structure de ce genre, vous offrez de nouvelles opportunités économiques aux populations environnantes.

S : Avez- vous foi que la cité soit livrée dans les délais ?

D.B : Je ne peux pas le garantir. Ce sont des questions d'entreprises, parce que pour la Maison de la culture, on avait donné un délai d'un an, finalement on a mis trois ans pour avoir l'infrastructure. Donc nous ne pouvons pas garantir que l'infrastructure sera livrée dans les délais. Nous souhaitons seulement que les gens s'y mettent vraiment, entreprises, structures, maitres d'oeuvre, maitres d'ouvrage pour que les choses puissent aller assez vite.

« Aujourd'hui, il faut de plus en plus parler de partenariat d'entreprise et non de sponsoring. Nous avions engagé cela en 2012, c'est-à-dire parler de partenariat d'entreprise et si on va sur cette lancée, les choses peuvent être acquises pour la Semaine nationale de la culture »

S : Pour l'homme de culture que vous êtes, comment appréciez-vous les incessantes fusions et séparations des départements en charge de la communication et de la culture ?

D.B. : Je l'ai constamment dit, il y a de ces secteurs qui sont intimement liés. Est-ce qu'on peut dissocier la culture du monde de l'enseignement de base par exemple qui a été pratiquement le premier partenaire du ministère de la Culture aux premières heures de la SNC ? Les directeurs provinciaux de l'enseignement de base étaient les correspondants provinciaux de la culture. Parmi ceux qui connaissent mieux le pays dans ses tréfonds, il y a les enseignants. Ils sont d'ailleurs à la base de la création de nombreuses troupes.

De même, la communication et la culture sont des structures qui vont de pair. Une action culturelle sans une bonne stratégie de communication ne va nulle part. Donc l'arrimage normalement devrait permettre vraiment à ces deux secteurs de vivre intensément. Parce que le secteur de la communication profite de la création artistique et la création artistique profite de la communication. Dans les années 1998 par exemple, avec Mamoudou Ouédraogo, qui était ministre de la Communication et de la Culture, nous avons pu mener plusieurs actions qui ont été très visibles sur le plan national et à l'international, notamment, les Grands prix nationaux et les Caravanes du Sahel. Maintenant, tout dépend des individus mais nous, nous en avons bénéficié et je pense que si cela continue, ce serait une très bonne chose.

S : Bobo-Dioulasso est considérée comme la capitale culturelle du Burkina Faso. A ce titre, elle accueille de nombreux festivals en la matière. Quelles appréciations faites-vous de ces festivals ?

D.B : Ces festivals généralement sont pour la grande majorité liés à un individu et ne sont pas organisés dans l'esprit de grande envergure. Ils n'ont donc pas la portée que nous aurions espérée. Ce serait bien qu'il y ait beaucoup de festivals d'envergure de la SNC à Bobo-Dioulasso. Sinon il y a un foisonnement d'activités, mais ces activités n'ont pas une envergure. Il aurait fallu que ces différentes activités, que ce soit la Foire internationale de Bobo-Dioulasso (FIBO), le Festival Yellen, le Festival dans la rue de Djiguiya, et plein d'autres, soient d'une grande envergure pour que la ville vive, que le monde économique vive.

Cela permettra aussi aux artistes de renouveler leurs créations parce que tu ne peux pas amener la même création à dix festivals. Il faut régulièrement que tu puisses renouveler la création. Mais si tu n'as pas la possibilité de présenter la création, elle reste d'actualité pendant longtemps et cela ce n'est pas une bonne chose pour la création. Les festivals sont une très bonne chose pour la SNC mais il faut qu'ils soient professionnels et qu'ils aient de l'envergure pour mieux profiter aux acteurs culturels.

S : Comment expliquez-vous que la musique burkinabè n'arrive pas à s'imposer sur le plan international ?

D.B : Moi j'ai un jugement plus mitigé. Parce que dans les années 1980 jusqu'à 1990, sur le plan international, le seul groupe africain qui a fait le tour du monde, de Sidney à Melbourne en passant par l'Afrique du Sud, et qui est aujourd'hui à plus de 3 000 concerts à travers le monde, c'est bien Farafina. Ce groupe a rempli le stade Wembley de Londres en 1987. De plus, il y a le groupe de musiciens du quartier Bolmakoté de Bobo-Dioulasso qui a aussi fait le tour du monde.

Après eux, il y a des artistes qui se sont imposés et des lauréats de la SNC qui tournent aujourd'hui à travers le monde. Que ce soit Candy Guira qui est lauréate SNC, ou Kady Diarra aussi lauréate SNC, plusieurs artistes burkinabè tournent à travers le monde. Par exemple qui n'a pas connu en son temps le groupe Yeleen qui a beaucoup tourné dans le monde. La musique burkinabè, techniquement est très bonne. Malheureusement, notre dispositif social ne permet pas, ou plutôt le privé ne s'insère pas suffisamment dans la promotion des créations.

Les activités de l'Etat permettent de révéler les artistes. Mais est-ce que l'Etat seul a les possibilités de propulser les artistes ? Ça, je ne crois pas. Ce devrait être le rôle du privé qui, malheureusement, ne s'investit pas. Si vous prenez le Mali, la Côte d'Ivoire et même le Ghana, le privé joue un rôle primordial. Salif Keïta n'a pas été propulsé par l'Etat malien, il a été propulsé par un particulier et son succès est parti de son oeuvre Sôrô. C'est la même chose pour Oumou Sangaré.

Ce n'est pas l'Etat. Donc le privé au Burkina devrait mieux s'impliquer dans la promotion des créations artistiques. Le deuxième problème, ce sont les journalistes. Notre presse ne suit pas suffisamment les artistes. Quand il y a des tournées, la presse n'est jamais au courant. Les lauréats de la SNC tournent à travers le monde mais c'est notre presse qui n'est pas au courant. Imaginez par exemple que nous avons amené « Djiguiya du Houet » en Chine Taïwan en 1999 qui a rivalisé avec des troupes des cinq continents.

C'est cette troupe qui a été la révélation de ce festival. Ensuite, nous l' avons amenée à Expo 2000 en Allemagne où elle a pratiquement noyé tous les troupes qui étaient venues pour une création commune qu'un Canadien voulait réaliser. Donc nos productions sont bonnes techniquement mais nous ne sommes pas visibles.

Certains sont allés jusqu'au Brésil ou en résidence de création aux Etats-Unis sans qu'on le sache. Ailleurs, la petite sortie de l'artiste est commentée. L'autre problème, c'est que les animateurs des médias audio ne sont pas des professionnels du domaine. Ça, je le regrette. Ce ne sont pas des professionnels du domaine parce qu'un animateur radio doit être un meneur d'opinions. Si culturellement il n'est pas assis, il ne peut que faire la promotion de ce qu'il connait. Je vous donne un exemple tout simple.

A Bobo-Dioulasso ici, on organisait une manifestation appelée « Sidakata » et on sélectionnait les ensembles qui produisaient des oeuvres qui permettaient de mener un combat plus affirmé sur la lutte contre le SIDA. Des clips ont été réalisés pour les trois premiers lauréats et les organisateurs ont souhaité que les animateurs puissent être informés de ces clips pour en faire la promotion. Ils nous ont demandé de venir les aider à l'entretien. Nous y sommes allés.

On a présenté le clip de feu Adama Traoré. Alors, j'ai expliqué aux animateurs que de mon point de vue, c'est lui qui devait gagner parce qu'il a usé d'un argument traditionnel, culturel pour exprimer le combat. Il était dans la tenue des Korodouga. Traditionnellement, les Korodouga sont une communauté Sénoufo qui sort, fait des rites, s'exhibe et porte des tenues dévergondées, difficiles à regarder, pour exorciser le mal lorsque la société est en péril.

Le SIDA est une menace pour la société et cet artiste est allé déterrer le mythe du Korodouga pour exprimer sa création. Mais aucun des animateurs ne le savait. Pour dire que quand on n'a pas une bonne maitrise de sa propre culture, on ne peut pas en être l'acteur, on ne peut pas en être le diffuseur, on ne peut pas en être le promoteur, ce n'est pas possible. Ailleurs, les gens ont vite compris.

Par exemple au Mali, le président Modibo Keita a compris que les assises de l'école malienne devaient être la culture. Conséquence, l'une des premières structures créées a été l'Institut national des arts dont les produits sont les Bonkana Maïga qui ont écumé le monde entier. Mais chez nous jusqu'à ce jour, on n'a pas d'animateur formé dans une structure spécialisée pour faire ce travail. C'est dommage ! Si bien que les créations des artistes sont méconnues par celui qui doit en assurer la promotion.

S : Le Burkina vit une grave crise sécuritaire. Est-ce que les artistes, notamment les musiciens, jouent réellement leur partition dans cette lutte ?

D.B : Ils le font certainement mais ils peuvent le faire davantage. Parce que quand la nation est en péril, l'artiste doit se sentir le premier interpellé. Il n'y a pas de petit apport. Premièrement, ils doivent conjuguer leurs efforts et revisiter les traditions, la culture pour faire sortir les éléments, les valeurs et les substances qui peuvent permettre de construire. Tant que la nation est en péril, il faut qu'ils acceptent ce sacrifice et il faut qu'ils le fassent en permanence.

S : Le 13 avril 2023, le conseil des ministres a consacré la période allant de 18 avril au 18 mai de chaque année, à la célébration du mois du patrimoine burkinabè. Est-ce que cette initiative est opportune et suffisante ?

D.B : C'est déjà un énorme pas puisque cela interpelle. Cette période interpelle tout le monde sur la nécessité de travailler à valoriser et à préserver ce qui constitue le ciment de notre humanité. Cette période nous interpelle et nous amène à comprendre que le combat doit être perpétuel et permanent. La question du patrimoine n'est pas une question à la légère. C'est extrêmement important parce que quand vous perdez vos racines, vous avez tout perdu.

Les racines que l'on perd, c'est déjà la langue. La langue est un élément du patrimoine. L'école est un instrument de véhicule de la culture. Donc si vous prenez la langue des autres, vous prenez l'école des autres, vous êtes en train de saper votre propre culture. La notion du patrimoine est donc une notion complexe. Que l'on ait institué cette période, c'est une interpellation forte à la perpétuation, à la pérennisation du combat pour la préservation du patrimoine.

S : Dans la même lancée, le ministère en charge du tourisme a lancé le 16 juillet 2023, la première édition de la « Grande saison du tourisme interne ». Quelle peut être la portée d'une telle initiative ?

D.B : Elle est extrêmement importante. Vous savez, nous avons un problème. Le Burkinabè ne connait pas son pays. C'est notre plus gros problème. Moi j'en parle parce que j'ai eu la chance de travailler dans l'administration culturelle. J'ai fait beaucoup de tournées mais il y a de nombreux intellectuels et responsables qui ne peuvent pas parler du Burkina Faso. Quand vous ne connaissez pas votre pays, vous ne pouvez pas être un acteur majeur de son développement. L'une des meilleures façons de faire connaitre le pays, c'est d'insérer des éléments de connaissance du pays dans le système éducatif mais également susciter la découverte des valeurs de ce pays.

Une initiative de ce genre qui a été développée par l'Office national du tourisme burkinabè (ONTB), doit être encouragée parce que les questions du tourisme sont importantes. Le premier produit du tourisme, ce ne sont pas les attractions de la nature mais ce sont les hommes et leur culture. Tant qu'on ne comprend pas cela, on peut passer à côté des choses et c'est juste aller regarder les pics de Sindou et revenir.

Comment les Sénoufos et les Dioulas vivent-ils autour de ces pics ? Quel est le mythe qu'ils entretiennent avec les pics ? Si vous allez à Pala, quel rapport y a-t-il entre ce lac et les communautés qui y vivent ? Vous allez au pays San, quel est le rapport entre ces gens et leur habitat ? Par exemple le pays San a le meilleur grenier au Burkina. Toutes ces valeurs-là, ce sont les hommes et leur culture qui font le plus grand produit du tourisme.

C'est pourquoi les notions de tourisme et de culture sont très liées. La culture produit et offre des produits pour le tourisme. Et les premiers destinataires ne sont pas les étrangers mais les nationaux. Il faut travailler à intéresser les Burkinabè à leur propre pays, aux valeurs de leur pays, amener les enfants du pays à découvrir.

La dernière fois, j'ai amené les étudiants de l'ENAM (ndlr Ecole nationale d'administration et de magistrature) à découvrir le musée communal Sogossira Sanou à Bobo-Dioulasso. On y a trouvé deux tenues de chasseurs, des tenues de combats. Quand je leur ai expliqué, ils sont tombés des nues. L'histoire de ces deux tenues remonte au XIXe siècle. Il faut travailler à ce que l'enfant du Burkina Faso découvre son pays. C'est à cette seule condition qu'il sera fier de sa nation.

S : Aujourd'hui, l'incivisme est devenu une grande plaie pour le Burkina Faso. Quelles peuvent être selon vous les causes ?

D.B : Les causes de l'incivisme c'est l'école, l'école moderne qui a désarçonné tout notre tissu social en termes d'organisation. L'école ne nous a pas permis de comprendre que par exemple l'enfant qui va à l'école doit servir la communauté. L'école ne nous a pas permis de savoir que nous avons un héritage que nous devons valoriser, partager pour vivre en paix.

L'école nous a isolés individuellement. Donc la notion de patrie, de patrimoine, ce qui nous appartient tous a foutu le camp dès que nous avons adopté le système éducatif du blanc. Je regrette mais je le dis franchement, et il est temps de revoir les choses parce qu'à cette allure, personne ne va respecter les symboles de l'Etat. Les détenteurs des valeurs traditionnelles sont considérés comme des archaïques. Personne ne les prend en compte. Imaginez tout simplement les premières heures des indépendances. Au lieu de balancer nos meilleurs étudiants en Europe pour qu'ils aillent apprendre la pharmacie, la médecine, on aurait pu orienter nos bacheliers vers la découverte de notre patrimoine en matière de médecine traditionnelle.

C'est ce que l'Inde a fait, c'est ce que la Chine a fait, c'est ce que le Japon a fait. Pendant ce temps, les dépositaires du patrimoine chez nous sont en train de mourir avec leurs savoirs. Et aujourd'hui on veut revenir vers la médecine traditionnelle, alors que malheureusement, ces dépositaires sont presque tous partis. Ce n'est que des commerçants, pas tous mais beaucoup, qui exercent dans ce domaine. C'est la même chose pour l'agriculture, la conservation et la valorisation des sols. La fumure organique qu'est-ce que nous en faisons pour fertiliser nos sols ? Rien ! On préfère les engrais chimiques qui, lorsque vous les utilisez dans les champs, après le sol n'est plus exploitable. Aujourd'hui, on veut revenir à la fumure organique 60 ans après. Allez-y comprendre. L'école est notre plus gros problème en matière d'incivisme.

La notion de terre,de patrimoine n'existe dans la tête d'aucun enfant et il faut refonder l'école, réformer l'école en intégrant les valeurs essentielles qui constituent le ciment de notre société et vous allez voir que les choses vont changer parce que traditionnellement, on n'apprend pas, on ne devient pas quelqu'un pour soi-même, c'est pour la communauté. Tant qu'on n'aura pas insufflé cela à la jeune génération, nous allons à vau-l'eau.

S : Cela n'a-t-il pas été sciemment fait par le colon ?

D.B : Evidemment ! il faut être intelligent pour le savoir. Un vieux Famana me disait en 1974 que le Blanc ne peut pas être l'ami de quelqu'un. L'ancien colonisateur, après avoir asservi tes grands-parents et dominé tes parents, ne peut pas subitement devenir ton ami. Ce n'est pas possible ! C'est une méprise de croire que l'ancien colonisateur va vouloir votre bien, donc c'est nous qui n'avons pas été suffisamment intelligents pour reformuler notre école parce qu'à l'époque, on n'a pas compris que c'est l'école qui perpétue les valeurs culturelles et tant que l'école reste dans la forme occidentale, l'ancien colonisateur est tranquille parce qu'il est en train de façonner nos mentalités à la consommation de ses biens.

Regardez aujourd'hui. On consomme tout ce qu'il nous envoie. Les gens consomment mais on ne produit pas, et quand une communauté, un pays ne produit pas, il n'avance pas. L'école est notre plus gros problème et il faut que les intellectuels y pensent. Quand vous en parlez, ça écorche les gens mais il s'agit de l'avenir de l'ensemble, pas des individus. Il faut accepter de se remettre en cause. L'intellectuel n'est pas celui qui a des diplômes mais celui qui a la capacité d'analyser les situations et de pouvoir proposer des solutions qui peuvent permettre aux gens de s'émanciper. Ce n'est pas une question de diplôme ni d'école mais une capacité d'analyser les choses.

S : Quelle analyse faites-vous de la gestion du capitaine Ibrahim Traoré qui tente de réveiller les consciences ?

D.B : L'autorité d'aujourd'hui a pris conscience de beaucoup de choses, et c'est extrêmement important. Elle a pris conscience du fait que le péril est énorme, plus énorme qu'on ne le pensait. Elle s'est rendu compte qu'au-delà de ces périls, si nous voulons pérenniser l'Etat, il faut qu'on prenne des dispositions pour assurer notre autonomie. Quand tu n'es pas autonome, tu n'es pas libre. Et il faut travailler à assurer l'autonomie.

Je félicite les initiatives qui sont engagées pour amener les gens à comprendre que notre indépendance dépend de notre capacité à nous défaire de tout ce qui nous assujettit, tant du côté du ventre que du côté de l'intellectuel. Si vous avez souvenance, aux premières éditions de la SNC, l'art culinaire n'était qu'une discipline mineure mais de plus en plus nous en avons fait une discipline capitale. Et pour quelle raison ?

Parce que nous estimons que l'art culinaire participe de notre capacité à produire ce dont nous avons besoin mais surtout de notre capacité à transformer ces produits et les proposer à la consommation sur le plan national et international. L'art culinaire participe à la désaliénation des mentalités. Aujourd'hui, si vous allez sur les surfaces, vous constaterez que beaucoup de nos produits traditionnels sont transformés et proposés à la consommation. Cela est l'un des acquis de la SNC et je crois que les actions de l'autorité s'inscrivent dans une logique pareille.

Ce sont des actions à encourager. Il faut travailler à assurer l'indépendance de la nation à travers la production de ce dont nous avons besoin, afin de réduire, sinon annuler la dépendance de l'extérieur. On a tellement de possibilités de produire de la nourriture aujourd'hui dans ce pays, que ce soit le riz et autres, on a une multitude de possibilités de le faire. Mais quelqu'un, parce qu'il a les moyens, s'en va commander du riz moins cher en Taïwan, il l'amène et il inonde le marché parce que là-bas le riz séjourné n'est pas taxé.

Conséquences, il peut le vendre à un prix moins cher. C'est ce qui tue les producteurs nationaux. Donc il faut travailler à éviter ces choses pour que nous puissions vraiment nous sentir bien dans notre peau. Je ne chante pas les louanges de quelqu'un. C'est une logique que je soutiens et je dis ouvertement que ce qui est engagé, je le soutiens. Que ce soit l'investissement populaire, que ce soit les projets de réalisation d'infrastructures, que ce soit les actions de valorisation de l'aéroport de Bobo-Dioulasso qui est l'un des meilleurs en termes de piste de l'Afrique de l'Ouest mais qui a été ignoré pendant longtemps, tout cela participe dans une logique d'autonomie, de combat pour l'indépendance.

S : Le Burkina Faso traverse, depuis près de 8 ans, une crise sécuritaire sans précédent. Beaucoup d'efforts ont été fournis. Avez-vous foi que ces efforts finiront par payer ?

D.B : Oui j'ai foi que ça va payer à la seule condition que tous les Burkinabè se rendent compte de ce que nous vivons comme péril. Parce que croire que c'est l'autre qui est dans des problèmes est une grosse méprise. Si la case de ton voisin brûle et tu penses que c'est lui seul qui est dans des problèmes, ton tour viendra. Il faut que nous prenions tous conscience du péril qu'il y a. Les sacrifices qu'il faut consentir, qu'on accepte de les consentir pour que nous puissions arriver à bout de cette crise. C'est en cela que je crois que les élans qui sont engagés sont de bons élans. Et j'apprécie positivement les différentes contributions à l'effort de paix qui sont des actions positives. Et cela rassure quant à l'issue des combats sur le terrain.

S : Que faut-il faire pour plus d'efficacité ?

D.B : L'idée se trouve toujours dans notre capacité à nous entraider, à nous donner la main, à nous organiser. Quand on est organisé, il y a de nombreuses choses qu'on réalise.

S : Que pensez-vous des récents coups d'Etat ? D'abord le Mali, le Niger, le Burkina Faso et ensuite la Guinée et maintenant le Gabon ...

D.B : Ce ne sont pas des coups d'Etat pour des coups d'Etat !

Tout le monde sait que les populations de ces différents pays vivaient des situations pratiquement insoutenables, même si les causes diffèrent d'un pays à un autre. Ces coups d'Etat sont généralement des coups d'Etat salvateurs. D'ailleurs ce sont des prises de pouvoir qui ont été beaucoup plus supportées par les communautés. Que ce soit en Guinée, au Mali, au Burkina ou encore au Niger, ces coups de force ont été amplement soutenus par la population.

Vous savez, quand une communauté soutient une activité, cela veut dire que quelque part, l'activité entre dans ses options, dans sa vision des choses. Pour moi, je trouve que condamner de façon mécanique les coups d'Etat sans en chercher les causes, c'est une grosse erreur. Il y a plusieurs formes de coups d'Etat. Par exemple quand tu modifies ta Constitution pendant que tu es au pouvoir pour pouvoir y rester, est-ce qu'il y a pire coup d'Etat que cela ? Donc quand on ne respecte pas sa propre parole, on n'a pas le droit de critiquer l'autre quand il se bat pour l'émancipation de son peuple.

S : Pensez-vous que ces coups d'Etat puissent permettre de mieux lutter contre le terrorisme dans la sous-région ?

D.B : Bien sûr ! Parce que le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont confrontés aujourd'hui au même problème. Nous devons donc conjuguer nos énergies et nos efforts pour faire face à ce problème commun. Si nous conjuguons nos efforts pour faire face au péril, je crois qu'on a plus de chance de vaincre que d'agir individuellement. Et je salue l'Alliance des Etats du Sahel (AES) instituée entre les trois pays. C'est l'histoire qui se répète.

Car dans le passé, quand le Mandé était en péril, les différents chefs de la région ont conjugué leurs efforts pour faire face aux problèmes et ont réussi à vaincre ce péril. C'était la vision des choses de Soumahoro Kanté. En son temps, personne ne s'est arrogé le titre de chef. Ils ont décidé de se retrouver en tête à tête et ils ont discuté de la forme du pouvoir qu'il faut mettre en place pour préserver et se mettre à l'abri de tels périls à l'avenir. C'est cela qui a donné la première charte des droits de l'Homme, la Charte de Kurukan Fuga.

S : Quelle appréciation faites-vous de la politique française à l'égard de ces pays ?

D.B : La France n'a jamais joué franc jeu dans cette situation. Et moi je suis très heureux que nos autorités comprennent rapidement et décident d'agir autrement. Si vous regardez l'histoire de la France, elle n'a jamais gagné une guerre mondiale. Il a fallu toujours que les gens interviennent pour la sauver. La Seconde Guerre mondiale, il a fallu que nos ancêtres, l'Amérique et d'autres pays interviennent pour sauver la France.

Immédiatement après, elle a engagé une guerre coloniale en Indochine et elle s'est fait battre à Diên Biên Phu et près de 300 000 soldats français faits prisonniers par des troupes d'Indochine. Après cela, c'est encore une guerre coloniale qu'elle engage contre l'Algérie. Là également, elle est mise en déroute. Cette nation-là ne peut pas donner des leçons à qui que ce soit. Son histoire est têtue à telle enseigne qu'on ne peut pas du tout lui faire confiance.

Si vous l'avez remarqué, dès les premières heures des indépendances, la France a joué un jeu bizarre avec les dirigeants africains. C'est aujourd'hui, plus de 60 ans après, que beaucoup de fluidités apparaissent sur les signatures de pactes d'accords et autres avec ces pays. Imaginez qu'à l'époque, un seul chef d'Etat a pu dire non, Ahmed Sékou Touré. La France a tout enlevé jusqu'aux poteaux électriques en Guinée.

Donc cette France-là aujourd'hui ne peut être d'aucun apport pour nos Etats. C'est plutôt une nation qui vit comme le parasite des arbres. Elle est sur le dos de l'arbre et elle se nourrit de l'arbre. Aujourd'hui, ce qui lui arrive est tout à fait normal. Je crois que cela ne fait que commencer parce que tout le monde va s'en rendre compte et vraiment se débarrasser d'elle. La France court vraiment le risque de se retrouver comme l'une des nations les moins avancées d'Europe. Donc aujourd'hui le jeu de la France est connu et c'est un avantage pour nous. Avant, on ne le comprenait pas mais aujourd'hui c'est connu. Cette France-là ne peut pas être un partenaire pour nous. Je le regrette.

 

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