Madagascar: Magazine - Projet d'aménagement à Toamasina - Faire place nette !

Le projet présidentiel « Miami », à Toamasina, consiste à réurbaniser le bord de mer. Conséquence : les petits marchands installés depuis des années ont été déplacés ou expulsés.

Jeudi 24 août au petit matin : les marchands démontent tristement leur échoppe sur la plage de Toamasina. Certains d'entre eux étaient installés sur le bord de mer qui longe la large avenue de l'Indépendance depuis une dizaine d'années. Mais la vague de la rénovation urbaine va submerger leur activité informelle. Le projet Miami est en route : aires de jeux, bars, restaurants, commerces, banques et hôtels voient déjà le jour sur le littoral. Ces travaux entraînent le déplacement des marchands vers un site provisoire, mis à disposition par la commune. Tout est allé très vite.

Pas de place pour tout le monde

Il n'empêche, les marchands déplacés craignent des lendemains sans toit. Beaucoup d'entre eux, qui vendent boissons, fruits, fritures ou coquillages depuis des lustres, dormaient sur place. Quelques fontaines sommaires et raccordements électriques étaient même installés. La question cruciale reste celle de leur relogement. Celui-ci devrait s'effectuer avant la fin de l'année. Pourtant, si on en croit un cadre du cadastre, « même il s'agit du plus grand projet de Toamasina après les routes et le gymnase, il n'y aura pas de place pour tout le monde ».

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Plus au nord, des entrepreneurs privés ont déjà bâti ce qui sera le nouveau front de mer de Toamasina, apportant, d'après les partisans du projet, une continuité moderne entre la ville, l'avenue de l'Indépendance et le port. Le PDG du groupe Gastro Pizza a ainsi investi dans la construction de 40 kiosques. Jo, le gérant d'un restaurant de l'enseigne, se réjouit de cette évolution, qui devrait, selon lui, attirer une autre clientèle.

Si le projet de « Réunification de la population », dit Miami, a été lancé par le président Andry Rajoelina, il revient à la municipalité de gérer la situation de ces marchands. Un rôle de médiateur en somme, entre l'État et la ville.Des réunions ont eu lieu à la mairie pour « maintenir le dialogue » entre les différents acteurs de ce qui, aux yeux du maire, ne constitue pas un véritable désaccord. Ramandimbison Jeannot, président de l'association des vendeurs, présent sur les lieux au moment du démontage, est lui mi-figue, mi-raisin : « Sur les 321 marchands recensés, la plupart sont en accord avec le projet. Même si tout le monde va perdre des clients et de l'argent...» De fait, même la mairie le reconnait, « certains devront changer d'activité ».

Un dédommagement aurait été évoqué, un accompagnement administratif et des formations pourraient être proposés. Mais ceux qui bénéficieront d'un nouvel emplacement devront payer une taxe de 16 000 ariary par an, afin que "tout le monde devienne acteur citoyen du développement ». La chef de service partenariat de la ville, Ramamonjisoa Tiana, assure que « l'ONG La fabrique des pratiques entrepreneuriales aidera les marchands à construire un dossier pour leur futur financement ». Joli discours, mais les regards croisés à Toamasina Beach, ou lors des réunions à la mairie, ne semblent pas refléter cet enthousiasme.

Plus loin sur la plage, les constructions de bois, les grandes roues de la fête foraine se remettent petit à petit debout. C'est dans cette zone d'incertitude, provisoire, que les marchands déposent leurs affaires, dans l'attente d'un avenir censé être plus florissant, à la fin du mois de décembre.

Chiansia, vendeur de boissons et de coquillages, est aujourd'hui contraint de démonter sa baraque à l'aide d'un pied de biche. Sa mère l'assiste et récupère chaque bout de bois. À deux pas d'ici, Nelly, café à la main, observe la destruction de la dalle de béton, impuissante. "Je suis triste de partir", exprime la jeune femme de 23 ans. Les marchands défilent entre les stands, chargés de débris. Les murs, les toits, les fondations, la fête foraine et ses manèges, tout doit disparaître. Deux jours plus tôt, des vendeurs ont manifesté pour montrer le mécontentement, en vain. Rakotonirina Nantenaina Henilala, maire de l'agglomération, rappelle que « cette minorité » était V sur la bande littoral, propriété de l'État. Le premier magistrat dit privilégier « l'intérêt de tous les habitants qui pourront ainsi flâner jour et soir, le long de Toamasina beach ».

CONDITIONS MÉTÉO, TRAVAUX SUR LE PORT... - Mauvaise pêche à Toamasina

Équipements et bateaux vétustes, changement climatique, inflation... Les temps sont difficiles pour les pêcheurs artisanaux de Toamasina qui pêchent et vendent de moins en moins de poissons.

À bord de sa pirogue, vers minuit, Anja, un jeune pêcheur, prend la mer. À environ 10 km des côtes, il jette ses filets. Après une longue nuit d'attente, il revient sur la terre ferme, dix heures plus tard, pour vendre la prise du jour, essentiellement de la sardine, sur les marchés. Ses revenus varient : entre 10 et 16000 ariary le kilo. La pêche dépend bien sûr des conditions météos, mais aussi de facteurs inattendus : les travaux d'extension du port maritime de Toamasina, qui durent depuis près de cinq ans, semblent avoir des répercussions. Si cette modernisation permet au port d'accueillir davantage de navires marchands et d'immenses porte-conteneurs, elle n'est pas sans impact sur l'activité des plus petits. « Il y a de moins en moins de poissons, déplore un pêcheur artisanal. Depuis les travaux, on doit se rendre plus loin de la côte pour pêcher. » Selon lui, la prise à chaque sortie en mer est passée de 40-50kg à 4 kg en l'espace de cinq ans ! Du coup, il débute bien plus tôt sa journée de travail, qui commence à 1h du matin et se termine à 14h, soit six heures de plus passées en mer. Cependant, selon le président de l'association Kimp Mada, Frédéric Rabenantoandro, « les poissons sont moins nombreux à cause de la pollution marine et de l'hiver, car ils se retirent dans des eaux plus chaudes ».

Les restaurateurs s'en sortent

Les restaurateurs, eux, se fournissent dans des circuits mieux organisés, avec des intermédiaires, comme l'association de la pêche artisanale et des armateurs, qui a bénéficié par le passé d'aides internationales. La Chine a ainsi fourni des filets, le Japon des panneaux solaires. « Nous vendons nos poissons aux marchands, aux restaurants français mais aussi aux particuliers de Tamatave, explique le président Bruno Vati. Au total, ce sont plus de 300 poissons pêchés par semaine ». Cette organisation permet de maîtriser les prix : en cinq ans, le kilo de poissons comme le thon ou le trois-dents serait seulement passé de 12 000 à 14 000 ariary. De quoi faire les bonnes affaires des restaurants, mais pas forcément d'Anja et des quelque 300 petits pêcheurs de Toamasina, qui aimeraient vendre un peu plus cher leurs prises.

CHRISTOPHE SERAPHIN, GARDIEN DU PHARE - Le rescapé de l'île aux Prunes

Le phare de l'île aux Prunes domine l'océan à 17 km des côtes de Toamasina. À la fin du 19ème siècle, les lépreux et pestiférés y étaient retenus en quarantaine. Aujourd'hui, c'est un camp de pêcheurs qui compte... un habitant permanent : le gardien du phare, seul survivant d'un naufrage.

Il n'aime pas s'étendre sur ce drame, qui a coûté la vie à ses deux frères et à plusieurs pêcheurs ; mais Christophe Séraphin, qui veille trois semaines par mois au bon fonctionnement du phare, ne peut s'empêcher d'en parler. « Nous étions en pirogue, la mer était mauvaise et notre rafiot a fini par couler. J'ai dû nager jusqu'ici, presque huit kilomètres. Eux ils n'ont pas réussi... », raconte le seul rescapé du naufrage.

Aujourd'hui, Christophe exerce toujours ce métier car la rémunération est conséquente, 600 000 ariary par mois selon lui. Mais il menace de démissionner si son employeur, l'agence portuaire maritime et fluviale de Toamasina, ne lui fournit pas une vedette, plus sure que les pirogues. « Je risque ma vie chaque fois que je viens ! » À son plus grand regret, son fils va certainement perpétuer la tradition familiale et devenir le prochain gardien du phare. « Je ne suis pas d'accord, j'ai peur car c'est un métier dangereux... Il a 18 ans et il fait des études, je lui souhaite un autre avenir », confie le papa de 37 ans.

Lui-même a remplacé son père, malade depuis un an. Il contrôle les panneaux solaires, met en route la machinerie tous les soirs. Même en période cyclonique, il ne craint pas l'océan, protégé par la barrière de corail. Une vie solitaire à laquelle Christophe s'est habitué : « Je vois ma famille, qui habite en ville, une fois par mois. Je passe aussi du temps avec les pêcheurs de passage sur l'île, j'aime bien aller plonger dans la mer ou pêcher ».

L'île de 2 km de long, où ont poussé d'imposants arbres, attire quelques touristes, qui peuvent monter les 300 marches de l'édifice et avoir une vue panoramique sur l'océan, et les baleines en cette saison. Le phare a été élevé de 1930 à 1933 par les colonisateurs français pour atteindre 66 mètres de hauteur. « C'est un repère pour les pêcheurs lorsqu'ils sont en mer, détaille Éliana qui nous a conduits jusque-là. Il produit trois éclats blancs en 25 secondes ».

L'île aux Prunes est un lieu sacré, où les soeurs lazaristes de l'époque, qui s'occupaient des malades, sont enterrées. « Si vous visitez le cimetière, il faut offrir du miel aux morts », précise la guide touristique. Il est en outre interdit de manger du porc ou d'ouvrir un parapluie sur place. En revanche, la baignade en palmes masque tuba est conseillée... sauf si la mer est trop forte. Héloïse BARET,

Ce reportage a été réalisé par une étudiante d'Infocom, de l'université de La Réunion, grâce au soutien financier de la Direction des relations internationales et de la Direction de l'orientation, de la formation et de l'insertion professionnelle. Huit apprentis journalistes ont passé à cet effet une semaine à Toamasina.

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