Adja Aïda Cissé a consacré toute sa vie à la terre. Son amour pour l'agriculture a commencé depuis le bas-âge.
Aujourd'hui, elle est à la tête du Réseau national des femmes rurales du Sénégal qui regroupe plus de 6.000 membres à travers le pays.
À la veille de la Journée mondiale de la femme rurale qui sera célébré demain, Le Soleil est allé à la rencontre de cette femme, actrice de développement, très engagée pour la défense des agricultrices du monde rural.
La première personne que nous avons rencontrée au garage de Darou Khoudoss nous conduit directement au domicile de Adja Aïda Cissé.
La dame est très connue dans cette commune de la zone des Niayes, située non loin de Tivaouane. « Ce n'est pas loin, elle habite juste derrière », dit notre guide.
Il était déjà 13h en cette journée du jeudi 12 octobre 2023.
Le soleil est au zénith. Les rayons solaires qui tapent sur ce village d'agriculteurs poussent certains habitants à se réfugier à l'ombre des arbres.
Au domicile de la présidente du Réseau national des femmes rurales du Sénégal, quelques jeunes sont devant la porte.
Ils fuient la chaleur accablante du jour. La maitresse des lieux est à l'intérieur.
Malgré la chaleur, elle s'est enfermée dans le bâtiment pour suivre une réunion en ligne.
La femme agricultrice est bien au fait des technologies de l'information et de la communication.
À l'aide de son téléphone portable, depuis son Darou Khoudoss, elle est en contact avec plusieurs femmes partout à travers le monde. « Donnez-moi quelques minutes, le temps de terminer ma réunion en ligne. Nous préparons la Journée de la femme rurale », dit-elle gentiment avant de retourner dans sa chambre. Quelques minutes après, elle ressort, direction son champ situé non loin du village.
Adja Aïda Cissé n'est pas une agricultrice comme les autres.
Avec la forte chaleur, il demande à son fils qui lui sert de chauffeur de sortir le véhicule. Une rutilante 4x4. « Ce véhicule, je l'ai acheté grâce à l'agriculture », dit-elle avec un brin de fierté.
Cependant, ce n'est pas tout. L'agriculture a tout donné à cette militante du développement local. Avant d'acheter une voiture, elle a d'abord construit une maison à étage dans leur vaste demeure à Darou Khoudoss où elle vit avec son ancienne coépouse, Mbène Seck et leurs enfants. Un immeuble de deux étages bien carrelé.
« La terre ne ment pas ». Cet adage, Adja Aïda Cissé l'a bien compris.
« L'agriculture est le moteur du développement.Le meilleur rendement pour les femmes du monde rural est la terre », croit fermement Mme Cissé qui a hérité l'amour de la terre de son père.
Ce dernier, bien qu'originaire du Cayor, habitait à Mbourokh, un village situé dans le département de Mbour. La famille cultivait le mil, l'arachide et beaucoup d'autres variétés.
C'est dans cet univers familial qu'a grandi Adja Aïda Cissé. Malgré les études, elle allait au champ pendant l'hivernage. Malheureusement, elle n'a pas pu aller loin.
Elle s'est arrêtée après le Certificat de fin d'études élémentaires (Cfee) avant de rejoindre sa grande soeur à Mbour. Quelques années plus tard, elle s'est mariée et a rejoint le domicile conjugal à Darou Khoudoss, un village de la zone des Niayes où le maraichage est très développé. Depuis 1972, elle continue ses activités de maraichage.
Grâce à son niveau d'études, parce que trouver une femme qui avait le Cfee à cette époque était une chose très rare, Adja Aïda Cissé s'activait dans les organisations de femmes.
Elle a mis en place beaucoup de groupements féminins dans cette commune qui compte 68 villages et une centaine de hameaux. « C'est ce qui m'a permis d'intégrer le Réseau national des femmes rurales », se souvient-elle.
Plus de moyens de production pour les femmes
À Darou Khoudoss, l'accès à la terre est aussi difficile pour les femmes à cause des us et coutumes.
La localité se trouve aussi dans une zone minière. C'est pourquoi, il est devenu très difficile pour les femmes d'avoir de la terre.
D'ailleurs le souhait de Adja Aïda Cissé est que les sites miniers déjà exploités soient remis en état pour être redistribués aux femmes qui ont besoin d'espace pour développer leur maraichage.
À défaut, un déclassement d'une partie de la forêt de Darou Khoudoss pourra permettre aux femmes d'avoir du foncier pour y pratiquer le maraichage. Même si certaines cherchent désespérément de l'espace, Adja Aïda Cissé dispose, elle, de 2 hectares de terre. Le site se trouve non loin de son village.
Elle y a déjà creusé un puits, mais elle fait face à un problème d'eau. Le liquide précieux est insuffisant pour emblaver toute la superficie. « C'est difficile pour moi de le mettre en valeur. Je n'ai pas de moyens de production. Donc il faut que nous ayons des moyens de production », plaide-t-elle.
Le problème d'accès aux moyens de production concerne toutes les femmes rurales. C'est pourquoi la présidente du réseau veut profiter de la Journée de la femme rurale, célébrée le 15 octobre de chaque année, pour mener le plaidoyer.
Cette année, elle sera fêtée dans la région de Kaffrine. Une occasion pour Adja Aïda Cissé de plaider encore la cause des femmes rurales.
Son combat, depuis plusieurs années, est l'accès des femmes au foncier. Surtout que ces dernières représentent plus de 80% des agriculteurs.
Malheureusement, elles n'ont pas accès souvent à la terre. Beaucoup d'entre elles sont obligées de louer ou d'acheter pour posséder un lopin.
Quand il s'agit d'hériter de son papa ou de son époux, la femme est toujours lésée. Cela s'explique par le gap énorme qui existe entre les lois et la pratique autour du droit foncier des femmes. Un retard qu'il faudra très vite rattraper.
Sécuriser la terre
C'est ce combat qui a surtout poussé Adja Aïda Cissé à adhérer au Réseau national des femmes rurales du Sénégal (Rnfrs) mis en place depuis 2002. C'est finalement en 2022, après 20 ans dans cette organisation, qu'elle a été portée à la tête comme présidente.
Le Réseau nationale des femmes rurales regroupe aujourd'hui plus de 6.000 membres réparties dans les 14 régions du Sénégal. Il compte aussi 40 fédérations.
« Dans chaque région, nous avons un point focal qui y représente le réseau », explique-t-elle.
Le Rnfrs est membre de l'Alliance nationale femmes et foncier (Anff) qui regroupe plusieurs acteurs partageant une vision commune des droits fonciers des femmes et oeuvrant pour « un Sénégal où les hommes et les femmes sont conscients de l'importance du respect des droits des femmes en termes d'accès à la terre ». « C'est la terre qui permet aux femmes de mieux entreprendre, de cultiver pour vivre et faire vivre leurs familles.Nous invitons les chefs de village, les sous-préfets et les autorités étatiques à accompagner les femmes à avoir accès à la terre », plaide Mme Cissé.
Cependant, elle rappelle qu'avoir accès au foncier ne suffit pas. Il faut mettre en valeur la terre et bien la sécuriser. « Cela demande beaucoup de moyens dont les femmes ne disposent pas », renseigne-t-elle.
Agricultrice, actrice de développement et conseillère municipale, Adja Aïda Cissé est connue grâce à son implication dans la cause des femmes.
Depuis 2002, elle a fait plus de 12 pays en Afrique et dans le monde pour défendre la femme rurale.
Pendant qu'elle est sur le terrain, sa coépouse, Mbène Seck, troisième épouse de son défunt mari, assure la gestion de la maison.
Les coépouses ont toujours cheminé ainsi, même quand leur défunt époux était en vie.
Elles continuent de vivre en parfaite harmonie et dans l'entente cordiale. « Aïda Cissé est ma grande soeur. Il n'y a jamais eu de rivalité entre nous. Quand notre époux est décédé en 1996, nous avions de petits enfants, mais Aïda Cissé a couvé tout le monde », témoigne son ancienne coépouse devenue aujourd'hui sa belle-soeur.
« Elle aide toutes les femmes de Darou Khoudoss et du Sénégal. Elle cherche des financements, de l'engrais, des semences, rien que pour accompagner la femme rurale. Nous lui souhaitons longue vie », ajoute-elle.
Le rêve de Adja Aïda Cissé est d'arriver à un Sénégal où les hommes et les femmes ont le même droit d'accès à la terre.