Sénégal: Culture fourragère et élevage en milieu urbain - Les bons et mauvais points d'une alternative

Les travaux de pose de la conduite principale de l'usine de dessalement d’eau de mer à Dakar, dans le quartier des Mamelles, en septembre 2020.
15 Octobre 2023

Le foin ne règne plus en maître dans l'alimentation du bétail.

Dans les mangeoires, les cultures fourragères sont en train de gagner de plus en plus de place.

La faute à une qualité défectueuse du foin et surtout à des prix relativement élevés. Mais même si le potentiel des alternatives est énorme, des défis sont encore à relever.

Dans l'entretien du bétail, le foin est sans doute l'aliment indispensable, mais le plus problématique. En plus d'être cher, il est difficile de trouver la bonne qualité qui se définit, selon un éleveur, comme « un foin vert et sans poussière ». La question se pose avec acuité, surtout en milieu urbain, où l'élevage a pris, ces dernières années, des proportions jusqu'ici insoupçonnées

. C'est ainsi que les cultures fourragères sont apparues comme une alternative crédible au foin.

À Dakar, le sac de paille d'arachide ne se vend pas à moins de 5.000 FCfa, quelle que soit la saison. Dans certaines zones, il coûte jusqu'à 10.000 FCfa.

Mais en plus d'être cher, Moustapha Fall, éleveur, constate que la qualité n'y est plus. C'est ce qui a, sans doute, poussé Abou Kane à se tourner résolument vers les cultures fourragères. Il est le président de l'Alliance pour le développement et l'amélioration des races (Adam) et de la fédération nationale des acteurs de la filière ovine (Fenafo).

« La paille d'arachide coûte cher et constitue une bonne partie des coûts de revient, il est impératif de trouver une alternative », dit-il, sans détours. M. Kane a trouvé la parade. « Je fais l'ensilage du sorgho. Cela me revient à moins de 30FCfa le kg, alors que le kg de paille d'arachide coûte près de 300 FCfa. Alors que le sac de paille d'arachide ne dépasse pas 15 Kg et coûte près de 5500 FCfa.

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Et l'ensilage (méthode de conservation des fourrages) est beaucoup plus nutritif parce qu'il n'est pas séché. Il permet d'économiser l'aliment concentré, le "ripass", qui coûte excessivement cher. Avec les fourrages, on économise aussi sur le granulé.

Et l'on alimente mieux », dit-il, comme pour expliquer son revirement. Moustapha Bèye tient une bergerie à Ouagou Niayes. Jadis grand adepte de la paille d'arachide, il ne veut plus en entendre parler. « Un jour, j'ai acheté dix sacs de foin. C'était de très mauvaise qualité. Tous mes moutons étaient enrhumés, tellement le foin était de mauvaise qualité. C'est ainsi que mon vétérinaire m'a mis en contact avec un vendeur de luzerne. Depuis lors, je ne touche plus à la paille d'arachide et mes sujets sont en très bonne forme », dit-il.

« Depuis plus d'un an, je ne touche plus à la paille d'arachide »

À Dakar où l'élevage a fini d'être une activité à part entière, surtout avec l'éclosion des moutons de race, on n'imaginait pas, il y a quelques années, se passer du foin.

Mais l'explosion de son prix du a tout chamboulé.

Selon Dieng, vendeur d'aliments de bétail à Hann Mariste, depuis plus de cinq ans, le sac n'a pas été vendu à moins de 5000 FCfa. Si l'on en est arrivé à ce prix exorbitant du foin, explique Cheikh, c'est parce que des personnes étrangères à la profession d'éleveur ont envahi le créneau, alors que par le passé, seuls les éleveurs achetaient le produit pour la consommation du bétail.

Certains « businessmen » peuvent se permettre aujourd'hui d'acheter de grandes quantités de foin qu'ils ne vendent pas tout de suite, attendant une augmentation des prix.

Cheikh Samb en fait partie. Il y a un peu plus d'un mois, il déchargeait près de 200 sacs qu'il a soigneusement rangés et recouverts d'une bâche dans une maison en chantier.

Il explique le business modèle qui fait le malheur des éleveurs. « Juste après l'hivernage, je me suis déplacé dans une localité dans la région de Tambacounda. Après achat du foin et les frais de remplissage, le sac me revient autour de 2000 FCfa. L'autre frais, c'est le transport. À partir de 100 sacs, je paye 500 FCfa l'unité », détaille-t-il. Si Cheikh brave la canicule et les nombreuses tracasseries, c'est que la rentabilité de cet aliment de bétail est réelle.

Il peut écouler sac, qui lui revient à 2500 FCfa au maximum, à 5000 voire 6.000 FCfa. Cette ruée vers le business du foin a eu pour conséquence de rendre le produit introuvable.

Même si on le trouve, il est dans un état dégradé, perdant presque toutes ses valeurs nutritives, se plaint Mame Mor.

« Les périodes où le sac de foin était vendu à 3000 FCfa sont révolues. Depuis que des businessmen véreux ont envahi le secteur, c'est la croix et la bannière », peste-t-il.

Promouvoir l'entrepreneuriat fourrager

Pour Abou Kane, président de l'Adam, le défi qui se pose, c'est la disponibilité du produit en quantité. C'est pourquoi il encourage les acteurs de l'élevage à davantage s'y intéresser à la culture fourragère. «

Ceux qui le peuvent doivent y aller. Parce que ce sont eux les grands consommateurs de foin.

C'est eux qui renchérissent les coûts de production.

S'ils se tournent vers la culture fourragère, même le prix de la paille d'arachide va baisser. Il faut faire comprendre aux gens que c'est un business.

L'entrepreneuriat fourrager est rentable. Il faut le promouvoir», a-t-il insisté.

Aujourd'hui, révèle-t-il, des Sud-Africains sont venus investir le créneau au Sénégal. Ils sont à l'intérieur du pays où ils cultivent et revendent aux éleveurs sénégalais. « Le kg est à 200 FCfa à Dakar, alors que le prix de revient ne dépasse même pas 40 FCfa.

Si l'on commence, on peut produire sur cinq ans pendant lesquels on ne fait qu'arroser et entretenir. Ils ont le monopole du marché.

Il faut attirer des entrepreneurs sur le créneau pour couvrir les besoins et baisser les prix », a-t-il plaidé.

Cependant, même si le potentiel est énorme, les exigences le sont aussi.

Selon Abdou Kane, cultiver de grandes surfaces exige un équipement roulant comme les tracteurs, les semoirs, du matériel pour la récolte... Et ils coûtent des millions de FCfa, dit-il.

L'État à la rescousse

Ce sont ces contraintes qui ont d'ailleurs poussé les éleveurs à solliciter l'appui de la tutelle, justifie Issa Saka, premier vice-président de l'Adam.

D'ailleurs, soutient-il, l'État est en train d'aménager des zones d'élevage intégrées.

« L'idée pour nous est de nous positionner sur ce marché. Car nous avons des membres hors de Dakar. Si nous avons ces espaces, nous pouvons les rentabiliser et investir dans la culture fourragère et fournir à d'autres. Il faut qu'on aille dans le monde rural et essayer d'améliorer l'élevage extensif. Si l'on change de paradigmes, on peut contribuer au développement de l'élevage », explique M. Saka.

Parallèlement, indique le vice-président, l'association compte mettre en place une coopérative et créer sa propre minoterie.

« Ces produits coûtent cher et souvent les niveaux de qualité ne sont pas au rendez-vous », constate Issa Saka.

Éleveur de race depuis plusieurs années, Pape Sarr voit le foncier comme son plus gros obstacle. Mais il compte le contourner en s'associant avec les propriétaires de terres en milieu rural.

L'ensilage prend de l'ampleur

À côté des cultures fourragères, une autre est en train de faire son bonhomme de chemin. C'est l'ensilage de maïs, de sorgho... Abdoulaye Seck est déjà dans le créneau.

Aujourd'hui, avec le sac de 28 kg vendu à 5000 FCfa, il fait de bonnes affaires.

En plus d'être riche, dit-il, l'ensilage a l'avantage d'être disponible toute l'année.

« Le sac de foin à 10.000 FCfa, c'est inadmissible. Tout le monde est en train d'explorer d'autres alternatives. Et l'on se rend compte que les prix sont toujours aussi élevés », déplore-t-il.

Même si au début les éleveurs hésitaient à adopter les nouvelles options, il reconnaît que les choses évoluent très bien.

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