Ile Maurice: «You're doing the same thing you did in the past»

Mois d'octobre animé pour la communauté chagossienne. D'un côté, réunion virtuelle passionnée entre des Chagossiens de tous mouvements confondus et un haut officiel du ministère britannique des Affaires étrangères sur les négociations Maurice-Royaume-Uni. De l'autre, Olivier Bancoult, leader du Groupe Réfugiés Chagos, qui n'a pas décroché le Prix Nobel de la Paix cette année, a été sur le sol américain pour leur réclamer réparation et une compensation financière pour l'expulsion du peuple chagossien.

«Lecombat continue. Never Give Up!» Le Mouvement réunionnais pour la paix et le Comité solidarité Chagos - deux mouvements de l'île soeur à l'origine de la candidature, en janvier du Groupe réfugiés Chagos (GRC) au Prix Nobel de la Paix - sont déçus. Mais ils ne baissent pas les bras après que le titre n'ait pas été décerné au groupe d'Olivier Bancoult cette année. Plus que déterminés, ils ont annoncé, dans un communiqué durant la semaine, rempiler pour l'édition de 2024.

Un leitmotiv qui rappelle la perpétuelle lutte, pacifique surtout, d'une communauté chagossienne, quoique divisée, pour ses droits humains fondamentaux. Un demi-siècle s'est écoulé depuis que des Chagossiens, réduits aux termes dégradants de «Tarzans or Man Fridays whose origins are obscure» par de hauts officiels britanniques dans des documents officiels datés de 1966 et 2009, tel que révélé par Wikileaks par la suite, ont été déracinés de leur terre natale, sur l'insistance des Américains pour que les États-Unis puissent opérer une base militaire à Diego Garcia.

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Olivier Bancoult, qui depuis l'âge de quatre ans, n'a plus été autorisé à retourner vivre à Peros Banhos où il est né, était justement sur le sol américain, la semaine dernière. Le leader du Groupe réfugiés Chagos (GRC) y a rencontré des membres du Congrès. Il réclame des excuses et des réparations, dont une compensation financière, au gouvernement américain pour l'exil forcé du peuple chagossien de sa terre natale. Cette mission a d'abord été répercutée dans le Washington Post , grand quotidien de la capitale américaine et l'un des titres les plus influents au monde.

De retour au pays, Olivier Bancoult, face à la presse à Pointe-aux-Sables, jeudi, en a remis une couche, indiquant qu'une lettre officielle sera adressée à l'administration de Joe Biden pour réitérer cette requête soutenue par Human Rights Watch dans son rapport de février où il est écrit que «le Royaume-Uni et les États-Unis doivent payer des réparations pour leur crime contre l'humanité en expulsant les Chagossiens de leur terre» . Une copie de la lettre du GRC sera aussi transmise au secrétaire général des Nations unies, António Guterres.

Pendant ce temps, Maurice et le Royaume-Uni en ont pour encore des «mois de négociations» sur la souveraineté des Chagos et le relogement des Chagossiens. C'est en tout cas ce qu'a déclaré Vijay Rangarajan de l'Overseas Territories Directorate pour le Foreign, Commonwealth and Development Office, aux Chagossiens, tous mouvements confondus (GRC, Chagossian Voices, Chagos Asylum...), qui ont participé à une troisième «engagement meeting» virtuelle organisée par le Royaume-Uni, le 3 octobre, après celles de février et de mai. Rangarajan de préciser: «... Over the next months, not years. If things work as this is negotiation, so it's not certain (sic), we'll come closer to an agreement (sic). We continue to negotiate as fast as we can.»

Le directeur général chargé de l'Afghanistan, du Pakistan, des Territoires d'Outre-mer, du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord au sein du ministère britannique des Affaires étrangères, a fait état de «long and complex technical issues» , avec «tout de même du progrès accompli par rapport à l'environnement, le relogement et l'opération de la base». Sans toutefois entrer dans plus de détails. Ces «engagement meetings» ont pour but de répondre aux questions de la communauté, qui, rappelons-le, n'est toujours pas à la table des négociations entamées depuis bientôt une année (en novembre) par les deux États. Ce que les Chagossiens continuent de déplorer.

Bernadette Dugasse a d'ailleurs entré une demande de révision judiciaire des négociations Port-Louis-Londres devant la Haute cour britannique et réclame une participation en bonne et due forme des Chagossiens et de leurs descendants à ces discussions les concernant directement. Née Nourrice à Diego Garcia en 1956 avant que son père, un Seychellois, ne soit forcé de retourner vivre aux Seychelles, en 1958, Bernadette Dugasse, qui était l'une des participantes à l' «engagement meeting», le 3 octobre et dont la démarche est soutenue par le Seychelles Chagossian Committee de Pierre Prosper, a partagé son inquiétude. «You're doing the same thing you did in the past and then you will tell us we always come back to the past. Are we going to be shocked, surprised?» , a-t-elle déclaré.

Ce à quoi Vijay Rangarajan a répliqué que les autorités britanniques «essaient de les tenir informés» . Auparavant il s'est excusé qu'il n'y ait pas eu de consultation avec la communauté avant le début des négociations. D'où ces «engagement meetings» comme il les appelle pour «des échanges importants de vos points de vue pour les négociations». Sauf que la majorité des participants lui ont fait part de leur frustration que la communauté n'est pas à la table des négociations. Que 50 ans après son exil forcé de sa terre natale, la communauté est toujours ignorée et exclue. L'un des participants s'étonne que Maurice n'organise pas de telles consultations avec la communauté dans son ensemble.

Bernadette Dugasse a aussi été rejointe dans ses propos par Jean-François Nellan de Chagossian Voices qui, lui, a décrié le fait que le Royaume-Uni et Maurice continuent d'ignorer le peuple autochtone. Issu de la troisième génération de Chagossiens, avec une grand-mère native de Diego et un grand-père né à Peros Banhos, cet analyste financier chez Rolls Royce, en Angleterre, a été plus loin, affirmant qu'il ne souhaite pas voir Maurice prendre le contrôle des Chagos. Rangarajan a alors répondu avoir entendu différents points de vue à ce sujet. Jean-François Nellan a proposé un survey pour trancher la question.

Une autre voix chagossienne a fait ressortir ceci : «If the outcome of the negotiation does not satisfy the majority, we'll still fight. We won't give up. The first step is the judicial review. These two states can't get away with human rights issues when discussing sovereignty. The will of the Chagossian people is to continue to fight for their rights.»

Une autre préoccupation soulevée lors de cette session de questions-réponses concerne la citoyenneté britannique. Des Chagossiens souhaitent savoir si leur citoyenneté et leur passeport britannique seront repris, si jamais les îles Chagos sont rétrocédées à Maurice. «Catégoriquement faux de croire que le gouvernement britannique reprendra la nationalité britannique ou le passeport. La question n'est pas à l'ordre du jour» , a rétorqué Vijay Rangarajan.

Au moins deux participants ont alors demandé que le Foreign Office publie un communiqué sur son site à ce sujet pour que tous ceux concernés puissent en être rassurés. Vijay Rangarajan a alors dit qu'il va essayer et a demandé du temps. Auparavant, il a spécifié que 6 600 requêtes pour la citoyenneté britannique et British Indian Ocean Territory (BIOT) ont été reçues de la communauté.

Le Chagossian Support Package de Rs 2 milliards (40 millions de livres) annoncé par le gouvernement britannique en 2016, pour, dit-il, améliorer les conditions de vie des Chagossiens où ils se trouvent, a aussi été évoqué par Rangarajan. «Le montant n'a pas été utilisé jusqu'à présent. Nous verrons comment toute la communauté peut en profiter, dans l'éducation par exemple» , a souligné le haut officiel britannique. Rappelons que seulement 1 % de ce montant a été dépensé par le Royaume-Uni jusqu'ici pour l'organisation des Heritage Visits dans l'archipel et pour des cours d'anglais.

La Cour internationale de justice a statué que la création du BIOT était «illégale» et que Maurice est le souverain légitime de l'archipel des Chagos. Le tribunal a appelé le Royaume-Uni à «mettre fin le plus rapidement possible à son administration continue de l'archipel de Chagos» , lui ordonnant de coopérer avec Maurice pour permettre le retour des Chagossiens. Les négociations entre les deux États, toujours selon le haut officiel britannique, est d'essayer de mettre en oeuvre la résolution de 2019 de la Cour internationale de justice, tout en maintenant l'opération de la base américaine à Diego Garcia. Une quatrième «engagement meeting» est prévue, a conclu Rangarajan.

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