Ile Maurice: Privy Council - Annonciateur d'élections...

La semaine qui s'ouvre sera particulièrement cruciale pour le Premier ministre. D'abord, demain (NDLR: aujourd'hui), il se prépare à s'affranchir des ennuis de justice qui ont ponctué son parcours depuis juin 2015 avec l'affaire MedPoint. Encore une fois, son sort se retrouve lié au Judicial Committee of the Privy Council. Il s'agit, cette fois-ci, de la pétition du travailliste Suren Dayal, qui conteste l'élection du Premier ministre et de ses deux colistiers au scrutin du 7 novembre 2019 - un boulet qui a pris de l'ampleur, dans l'opinion, avec l'affaire Kistnen, et l'enquête préliminaire y relative. Le lendemain du verdict, soit mardi, Pravind Jugnauth aura à affronter la reprise parlementaire et un barrage de questions d'une opposition requinquée, cette fois-ci, sans l'expertise avérée de sir Bhinod Bacha.

Depuis son entrée en politique au milieu des années 90, Pravind Jugnauth a presque toujours été entouré par des partisans excités qui le poussent dans des directions pas toujours convergentes, pas toujours compatibles avec la justice. Ainsi, pour ne pas répéter les mêmes erreurs du passé, le MSM s'est vu contraint, en cette fin de semaine, d'émettre un communiqué pour se dissocier de ceux qui commencent prématurément à crier victoire par rapport au verdict de lundi, faisant ainsi un grossier remake de la terrible fuite du verdict dans l'affaire MedPoint. «Le MSM invite ces individus à se ressaisir et à faire preuve d'un minimum de respect pour l'institution qu'est le Privy Council.»

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Flash-back. En juin 2015, après avoir été reconnu coupable de conflit d'intérêts par la cour intermédiaire dans l'affaire MedPoint, Pravind Jugnauth avait sagement annoncé sa démission en tant que ministre de la Technologie. Cependant, autour de lui, l'on s'agitait beaucoup. Tout un cabinet ministériel avait transformé la cour intermédiaire en espace de meeting après le jugement défavorable - entravant le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le judiciaire.

Le conseil des ministres ne s'était pas fait prier pour blâmer le verdict des magistrats Ramsoondar et Neerooa, devant une foule de partisans déchaînés. «Nou pou manz ar zot, nou pa per zot !», encourageant - en vain - Pravind Jugnauth à ne pas soumettre sa démission du cabinet.

Le pire devait être atteint quand le Premier ministre d'alors, SAJ, devait sévèrement critiquer ce même jugement, qui condamnait nul autre que son fils pour conflit d'intérêts sous l'article 13(2) du PoCA. Showkutally Soodhun, jadis le président du parti soleil, avait lui aussi exhorté Pravind Jugnauth à ne pas démissionner du gouvernement. «Nous avons besoin de lui, pas juste au parti mais aussi au gouvernement.» Mais quelques minutes plus tard, Pravind Jugnauth devait démissionner. Avec raison et fracas.

Mai 2016, retournement de situation dans l'affaire MedPoint. Le jugement de la cour intermédiaire est renversé par la Cour suprême. Pas de conflit d'intérêts de Pravind Jugnauth dans la réallocation des fonds pour l'achat de la clinique MedPoint, statuent les juges. Ils soulignent que les magistrats de la cour intermédiaire ont eu une interprétation erronée de la loi («misdirections in law») en ce qu'il s'agit d'établir si l'ancien ministre de la Technologie avait agi en connaissance de cause ou s'il avait agi de bonne foi.

À son tour, le DPP s'en remet alors à la Cour suprême, réclamant l'autorisation de cette instance judiciaire de contester l'acquittement de Pravind Jugnauth devant le Conseil privé.

Pravind Jugnauth étant blanchi par la cour d'appel, le jugement de la Cour suprême pousse le leader du parti soleil au-devant de la scène politique, passant de son statut de député à celui de potentiel Premier ministre. On connaît la suite.

En accrochant son avenir politique au jugement de la Cour suprême, Pravind Jugnauth a voulu se la jouer démocrate. Le chef juge Kheshoe Parsad Matadeen et le juge Asraf Caunhye, dans leur sagesse, ont tranché et Pravind Jugnauth a ainsi marqué son retour au conseil des ministres par la grande porte.

C'est alors la jubilation au SunTrust où tout un chacun se bouscule pour être bien vu. Les partenaires du MSM ont salué le courage de Pravind. Idem pour tous les ministres et PPS. On sent que Pravind Jugnauth sera appelé à reprendre en main les rênes non seulement du parti soleil mais aussi celles du gouvernement. Son sort ne dépend plus de la justice, mais de son père, qui se fait vieux. Le retour en force de Pravind Jugnauth va chambouler pas mal de choses sur le plan politique, tant au sein de l'alliance Lepep qu'au sein de l'opposition...

Cela n'avait duré que quelques fractions de seconde, mais l'image, immortalisée par le photographe de l'express, Yudish Ramkhelawon, restera dans les annales et dans les archives. Le baisemain, coutume ancienne, venait d'être remis au goût du jour par... Roshi Bhadain. Ce geste revêt une importance certaine. Historiquement, on retient l'image du vassal qui baisait la main de son seigneur au Moyen-Âge, et du croyant qui baise encore aujourd'hui l'anneau épiscopal. Puis, au fil des siècles, c'est devenu une pratique plus répandue, moins secrète. Et les hommes, en société, ont commencé à baiser la main des femmes en signe d'hommage...

Le fameux baisemain de Roshi Bhadain à Pravind Jugnauth après le jugement de la Cour suprême dans l'affaire MedPoint, en 2016.

Ce lundi 25 février 2019 est une date que le MSM n'oubliera jamais. Elle marque, coup sur coup, deux victoires politiques majeures non seulement pour le parti au pouvoir et la famille Jugnauth, mais aussi pour le pays en entier. Que le Premier ministre ne traîne plus le boulet MedPoint (grâce au spectaculaire U-Turn de l'ICAC de Navin Beekarry) et que sir Anerood Jugnauth, le dernier survivant de la conférence de Lancaster House (1965), ait pu arracher un avis favorable de la Cour internationale de justice sur l'excision des Chagos, s'avèrent des avancées historiques. Le gouvernement a de quoi célébrer. En toute légitimité.

Sur le plan personnel, celui qui a hérité du surnom peu honorable de PM «l'imposte», sort revigoré de cette affaire qui dure depuis au moins neuf ans. Aujourd'hui il peut entamer son année électorale avec sérénité alors que son principal challenger, Navin Ramgoolam, répond, lui, encore de deux charges criminelles devant la justice. Certes, l'interprétation unanime des cinq Law Lords ne peut pas effacer la dimension politique du rachat de la clinique de la famille Jugnauth, ou, encore moins, les nombreux autres scandales qui émaillent la présente législature, mais au moins le Privy Council décante la situation et nous permet de passer à autre chose.

Dommage collatéral sur le plan des institutions : le bureau du Directeur des poursuites publiques de Me Satyajit Boolell et la commission anticorruption de Navin Beekarry ont croisé le fer devant les yeux ahuris des juges britanniques.

En 2019, les scènes de liesse après le verdict favorable (au MSM) du Privy Council avaient donné le signal du départ de la campagne électorale du MSM - et ce, en attendant le Budget 2019- 2020 et l'inauguration du Metro Express.

Dans 24 heures ou presque, l'on verra comment le MSM et Pravind Jugnauth vont accueillir le verdict du Privy Council, quatre ans après l'affaire MedPoint. C'est clair qu'il va déterminer, comme celui de MedPoint, l'issue des prochaines élections et l'avenir de Pravind Jugnauth. Les stratèges vont s'attarder sur le verdict sans entrer dans les détails du jugement qui pourraient embarrasser.

Et alors que Xavier-Luc Duval se prépare à déstabiliser le Premier ministre avec une PNQ percutante, ce dernier serait déjà sur un petit nuage, prêt à saluer le Rule of Law et les Law Lords... avant de choisir quand affronter l'électorat. Va-t-il battre le fer tant qu'il est chaud... alors que l'été nous toise ?

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