Burkina Faso: Hygiène en milieu scolaire - L'école de Saonghin vent debout contre la crasse des toilettes

16 Octobre 2023

Il est 9h 37mn à l'école primaire de Saonghin, dans la commune de Guiba. En grande enjambée, sa robe bleu et blanc flottant au vent, la petite Amzia Bonkoungou de la classe de CP2 dévale la piste d'une trentaine de mètres qui sépare sa classe du petit coin. Elle a juste le temps d'un regard furtif à notre endroit. Un petit couinement de la porte d'une latrine suivi d'un autre moins d'une minute après. Elle ressort une bouilloire d'eau en main qu'elle dépose à l'angle de la porte d'entrée.

Encore un coup d'oeil interrogateur par-dessus l'épaule puis elle s'avance vers un dispositif fait de fûts et de bassines le tout monté sur une plateforme en fer. Il en existe une paire. L'un et l'autre fixés côte à côte dans le sol. La jeune élève se dirige tout de go vers celle située à sa droite. Sur le blanc des fûts disposés en hauteur sont estampillés en noir ces écriteaux en lettres capitales : "GARÇONS" et "FILLES". Les mains suffisamment triturées au savon puis rincées, elle referme le levier du robinet du fût.

L'instant d'après, elle mime un battement d'ailes de ses mains humides puis file vers sa classe. Nous sommes le jeudi 5 octobre 2023 soit trois jours après la rentrée scolaire 2023-2024 dans cet établissement. La journée est dédiée à l'enseignant à travers le monde, mais c'est surtout un jour de classe ordinaire dans ce patelin situé à une dizaine de kilomètres de Manga, le chef-lieu de la province du Zoundwéogo et de la région du Centre-Sud. L'ombre de la petite Amzia disparait à peine qu'un autre élève arpente de nouveau la piste. De plus grande stature, les muscles déjà saillants, Rahim Ouédraogo est de la classe des doyens de l'école, celle de CM2.

A l'exception du fût utilisé, ses gestes sont identiques à ceux de sa cadette qui l'a précédé. « Non, ce n'est pas parce que vous êtes là, tous les élèves le font », répond-t-il, de sa voix baryton d'adolescent, quand nous osions une pique déguisée pour savoir si notre présence est la raison d'un tel comportement. Le jeune élève est d'ailleurs bien conscient de l'importance de ses gestes. « C'est pour éviter les maladies et les absences à l'école », soutient-il, comme citant une leçon bien assimilée.

Le sourire aux lèvres, lui aussi reprend le chemin d'où il est venu. Mais il n'y a pas que le comportement des deux élèves qui sort de l'ordinaire. Les toilettes elles-mêmes sont différentes de celles du commun des établissements scolaires. Ailleurs, agressives à la vue et à l'odorat, ici les nuisances olfactives et visuelles passent quasi inaperçues. Les odeurs qui titillent les sens sont l'humidité laissée par les derniers usagers et le savon au relent parfumé.

Malgré trois bonnes heures quasiment d'utilisation depuis le début des cours à 7 heures 30 minutes, les quelques rares traces de fèces sont des fins sillons ou de petites croutes bordant les trous de défécation. Pour ceux venus livrer la petite commission, chacun semble avoir mis du sien pour ne pas manquer la cible. Dans les cabines, on n'y voit peu, voire pas d'urine qui coule dans toutes les directions et agresse les capteurs nasaux du nouveau venu.

Le genre et le handicap non oubliés

10h. La cloche de l'école retentit vidant les 98 élèves de l'établissement des classes. Alain Traoré, directeur de l'école, nous propose une visite guidée des sanitaires. L'infrastructure est utilisée depuis l'année scolaire écoulée 2022-2023, après que les porteurs du projet l'ont réceptionnée et remis les clés à l'école. La structure d'ensemble de la petite bâtisse à la couleur ocre et aux ouvertures grisâtres est constituée de deux portes d'entrée et de cinq cabines. A l'intérieur, se trouvent les quatre premières cabines. La dernière, elle, est

placée sur une façade extérieure du bloc. On y accède par une rampe bordée de part et d'autre de haies ferrées et qui donne sur la piste d'arrivée. Mais à l'opposé des cabines internes, la porte de la cabine externe est close et scellée à l'aide d'un cadenas. « Cette cabine est réservée aux personnes en situation de handicap mais comme l'école n'en compte pas d'abord parmi ses effectifs, on ne l'a pas ouverte », relève le directeur. Dans la répartition, ajoute- t-il, les enseignants, les garçons et les filles ont chacun une cabine qui leur est réservée à l'intérieur du bloc. La quatrième cabine, elle, est la cabine "Gestion hygiénique des menstrues (GHM)" réservée aux filles en âge d'avoir leurs menstrues. La porte de celle-ci cependant est aussi sous verrou à l'aide d'un cadenas, faisons-nous remarquer. « Nous avons condamné la cabine GHM depuis l'année dernière parce que nous n'avions que de petites filles. Mais cette année, comme il y a de grandes filles au CM2, nous allons l'ouvrir », explique le directeur qui joint l'acte à la parole en sautant le cadenas.

Les bleus accompagnés et dirigés

Nous sommes maintenant dans les anciennes latrines à quelques mètres des nouvelles. Elles datent de 1994 comme le bâtiment principal de l'école. Sans toiture, les murs lézardés et noircis à l'usure du temps. Le directeur ne cache pas son ressenti. « Aujourd'hui nous, nous sommes contents de ne pas être contraints d'utiliser ces latrines. Tout était plein sauf une ou deux fosses où les élèves se débrouillaient comme ils peuvent.

Le comble c'est qu'on ne pouvait pas soulever la dalle pour vider et quelque fois, il y'avait même des reptiles ici », raconte-t-il, avant de nous conduire sur un chantier à proximité. Trois fosses sont réalisées et l'intérieur construit en briques pleines puis recouvert par des dalles en béton. « Ici ce sera un bloc de trois cabines pour les enseignants », dit-il avant de poursuivre, l'index dirigé vers un tertre de terre plus loin : « là-bas, c'est prévu un bloc de cinq cabines pour les garçons et comme cela, celui qu'on utilise aujourd'hui sera uniquement réservé aux filles ».

A proximité, des bruits s'élèvent au niveau des nouvelles latrines. Un groupe d'élèves a investi les lieux. « Fais comme cela », « non ce n'est pas comme ça qu'on fait », « ferme ». Le français se mêle à la langue locale, le mooré, dans les conversations. « Ce sont les nouveaux élèves que les anciens aident », explique le directeur sur les propos tenus. Les nouveaux, les bleus, sont peu nombreux, dit-il, mais ils apprennent rapidement parce qu'ils voient tout le monde se comporter pareillement et les autres n'hésitent pas aussi à leur montrer ce qu'il faut faire.

Quelques minutes s'écoulent et, de nouveau, d'autres conciliabules. Des voix fines cette fois-ci. Un usager semble avoir laissé de la boue dans une des cabines. Ces camarades l'interpellent. Certains de ces "policiers de bonnes pratiques" sont du club d'hygiène de l'école, créé au cours de l'année scolaire 2022-2023. Au nombre de douze, les membres du club ont reparti l'école en sections dont la responsabilité est attribuée à un certain nombre d'entre eux. « Il y a les latrines, les salles de classe, la cantine et la cour de l'école », détaille le président du club, Rahim Ouédraogo, chargé lui-même de la supervision de tous les groupes.

Surtout pas dans la nature !

Peu avant la fin de la récréation à 10h 30mn, des groupes de filles chargés d'eau qu'elles tiennent à deux par seau à l'aide d'un bâton prennent la direction du bloc des latrines. Le contenu de certains seaux est transvasé dans les fûts des lave-mains. D'autres seaux sont portés à l'intérieur pour la séance de nettoyage des cabines. Faouzia Ouédraogo de la classe de CM2, membre du club d'hygiène et responsable du volet propriété des latrines, est à la manoeuvre avec ses camarades.

Astiqués, les petits refuges d'intimité retrouvent leur éclat. Les carreaux qui recouvrent la dalle et une partie du mur dans les cabines luisent. L'odeur du savon avec la subtile senteur de citron emplit les locaux. "Que faites-vous de l'eau usée du dispositif de lavage des mains ?", demandons-nous à la meneuse du groupe. « On verse tout là-bas ». Elle pointe les vieilles latrines. Durant le ménage, sous l'ombre d'un arbre à proximité, quelques élèves font le pied de grue.

A voir l'attention portée au groupe de nettoyeuses et les mines quelque peu tirées, on ne se doute pas que certains ont l'envie pressante d'expulser un liquide ou un solide encombrant. A proximité s'étend un champ de mil aux hautes tiges dans lequel certains pourraient s'y refugiés, à l'abri de tout regard "pour se libérer", pour emprunter cet argot ivoirien. Mais c'est à croire qu'ils préfèrent endurer le supplice le temps qu'il faut. Le nettoyage ne s'éternise pas heureusement. Quelques-uns se détachent aussitôt de la bande en direction des bouilloires.

Il y a pire...

Avec les blocs en perspective, les élèves de l'école de Saonghin seront sans doute à l'abri de telle attente désagréable. Mais, ils peuvent déjà se réjouir aussi d'être relativement mieux lotis. Avec deux latrines dont une pour les garçons et une pour les filles, cela donne une moyenne de 1 latrine pour 49 élèves, juste légèrement au-dessus de la norme définie par le décret n°2019-0320.PRES /PM/MINEFID/MATDC/ MEEVCC/MS portant définition des normes, critères et indicateurs d'accès à l'assainissement.

Cette disposition institue comme norme dans les établissements, 1 cabine pour 40 garçons et 1 cabine pour 30 filles. Au niveau communal et provincial, la situation est encore peu reluisante, selon les données de la direction régionale de l'Education Préscolaire Primaire et non Formelle du Centre-Sud. Pour l'année scolaire 2022-2023, avec un total de 6 940 élèves et 24 latrines fonctionnelles dans l'ensemble des établissements de la Circonscription d'Education de bas de Guiba, le ratio est de 1 latrine pour 289 élèves. Au niveau provincial, le nombre d'élèves et de latrines fonctionnelles dans les établissements étant respectivement de 57 793 et 260, le ratio est de 1 cabine pour 222 élèves environ.

L'école de Saonghin a donc un meilleur sort. Le directeur en a pleine conscience. Mais, lil accuse aussi le mauvais comportement des usagers dans d'autres établissements qui mettent très vite hors d'usage leurs latrines dégradant davantage la situation. « Il y a des établissements même à Guiba ici où vous ne pouvez pas tenir quelques secondes dans les latrines à cause de toutes la crasse qui est dedans », dit-il, avant de féliciter son petit monde. « Vraiment, nous sommes fiers du comportement de nos élèves. Ce n'est pas seulement au niveau de l'entretien des latrines mais que ce soit au niveau de la cantine, les salles de classe, le forage et la cour de l'école, ce sont des cadres qu'ils travaillent à garder propres et sains », ajoute-t-il.

Championne « école propre » 2022

2022 Séverine Kaboré, enseignante de la classe de CP2, est chargée de l'assainissement. Elle travaille à mettre tout le monde au pas de la marche pour la propreté. Elle explique les raisons du succès comportemental au sein de l'école : « les choses ne se sont pas faites d'un coup. Au début ce n'était pas simple. Il a fallu d'abord des menaces envers certains récalcitrants puis nous sommes passés par des récompenses avec des bonbons et après, l'habitude s'est installée ». Elle ajoute également que l'ensemble des enseignants, l'association des parents d'élèves et la communauté avec le chef du village de Saonghin en tête ont aussi mis la main à la patte d'où les résultats engrangés.

« Il faut noter que le village de Saonghin est certifié FDAL (Fin de la Défécation à l'Air Libre, ndlr) depuis 2022. Et avec les sensibilisations, les enfants savent déjà ce qui est bien en termes d'hygiène et cela nous a aussi aidé », renchérit le directeur de l'école, Alain Traoré. En parlant de village certifié FDAL, le directeur fait allusion à ces villages où les habitants ne font plus désormais leurs besoins au grand air. Le processus se déroule en plusieurs étapes de sensibilisation pour aboutir à une prise de conscience collective et à cet engagement effectif de déféquer exclusivement dans les latrines.

A l'école du village, on s'applique à rester dans cet esprit. Et même au-delà en tenant bien la propreté des latrines et une règle de vie saine. Et, il n'y a pas que les enseignants qui apprécient cette attitude. L'école fait parler d'elle plus loin. En 2022-2023, l'établissement a été désigné champion d'un concours dénommé « école propre » qui a mis en compétition une dizaine d'établissements des régions du Centre-Sud et du Centre, dans le cadre de la mise en oeuvre du programme "Assainissement total piloté par les écoles" (ATPE).

L'école a raflé 97 points sur 100 prévus selon des critères liés à la propriété et l'hygiène. Elle a fait presque le grand chelem. Et elle ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Surtout que l'habitude s'est installée maintenant. Le soleil au zénith, la cloche retentit pour la fin des travaux de la demi-journée. Sacs au dos ou portés en bandoulière, les élèves se dispersent suivant les pistes menant dans les concessions. A 15 h, ils seront de nouveau de retour. Et côté hygiène, ce sera encore la routine.

Mamady ZANGO

mzango18@gmail.com

Le programme ATPE, une aubaine pour l'école

Plusieurs acquis de l'école de Saonghin en termes d'assainissement sont le fruit de la mise en oeuvre d u programme Assainis- sement Total Piloté par les Ecoles (ATPE), financé par l'UNICEF et mis en oeuvre au Centre-Sud par la Direction régionale de l'Eau et de l'Assainissement du Centre-Sud (DREA-CSD). Il s'agit d'une approche intégrée consistant à encourager les écoles à s'approprier les questions de leur hygiène et assainissement et à travailler dans l'optique de développer de façon durable de bons comportements en matière d'hygiène et aussi dans le domaine de la gestion hygiénique des menstrues des jeunes filles. Les blocs de latrines utilisés et ceux en perspective, les kits de lavage de mains, du savon, des kits de dignité pour les jeunes filles en âge de menstrues, des poubelles, des balais et d'autres équipements de nettoyage que s'est dotée l'école sont, entre autres, les fruits des interventions du programme ATPE.

M.Z.

L'école de Saonghin en attente de normalisation

Depuis sa création en 1994 à ce jour, l'école primaire de Saonghin n'est pas normalisée. Elle n'a pas encore reçu un effectif cumulé de 135 élèves minimum pour engager le processus de normalisation conformément aux dispositions en la matière, indique le directeur Alain Traoré. Cela contraint aujourd'hui l'établissement à fonctionner avec trois classes et à procéder à un recrutement biennal passant d'une année à l'autre de la première division à la deuxième division. Il s'agit des classes d'initiation (CP1, CE1 et CM1) pour la première division et les classes de consolidation (CP2, CE2 et CM2) pour la seconde division. L'année scolaire en cours est celle de la division 2.

M.Z.

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