Ile Maurice: Les bombes égarées et les leçons de l'histoire...

Après l'absence de réponse aux «Private Notice Question» et «Prime Minister's Question Time», mardi, concernant les Chagos et Agaléga, nous sommes en droit de penser que nous avons non seulement perdu ces parties de notre territoire, mais également que c'est nous qui financerons l'acquisition (de l'Inde) de coûteux remorqueurs, sans recevoir de paiement pour l'utilisation de la «base militaire» d'Agaléga.

De plus, il est préoccupant de ne pas savoir s'il y a des armes nucléaires aux Chagos, voire s'il y en aura à Agaléga.

Même si ces armes ne sont pas utilisées comme armes, les accidents restent toujours une possibilité.

Cela offre une occasion de revenir sur les accidents nucléaires survenus par le passé dans le monde, en particulier sur les cas de bombes égarées. Notamment «l'incident de Palomares»...

Les années soixante : nous sommes en pleine guerre froide et en pleine escalade dans la production de bombes nucléaires, malgré un air de détente après le retrait par les Soviétiques de leurs missiles de Cuba. Il faut dire que les missiles balistiques intercontinentaux en étaient encore à leurs premiers balbutiements du côté des Américains, les Soviétiques ayant déjà pris une certaine avance dans ce domaine.

L'armée de l'air américaine comptait donc davantage sur ses bombes nucléaires transportées par les bombardiers B-52 et qu'elle voulait tenir prêtes au largage n'importe où et n'importe quand, dans le cadre de l'opération Chrome Dome.

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Douze bombardiers B-52 devaient donc rester en l'air de manière permanente et à tour de rôle.

Comment assurer le vol continu sans avoir besoin d'atterrir pour refaire le plein ? C'est ainsi que commençait le ravitaillement en vol par un Boeing KC-135A-BN Stratotanker.

Le 17 janvier 1966, un B-52 avec à son bord quatre de ces bombes thermonucléaires, chacune étant 75 fois plus puissante que celles utilisées contre les Japonais en 1945, avait décollé de la Caroline du Nord pour faire le tour de la Méditerranée avant de revenir aux États-Unis.

Il se faisait ravitailler au-dessus du village de Palomares, en Espagne, par un Stratotanker qui avait décollé d'une base militaire américaine située dans le sud de l'Espagne lorsque les deux avions entrèrent en collision.

L'avion ravitailleur s'embrasa avec son stock de carburant et ses quatre membres d'équipage.

Le B-52 fut également touché et se brisa en plusieurs morceaux. Trois de ses membres d'équipage furent tués, les quatre autres ayant pu sauter en parachute.

Et les bombes ? Par chance - on n'a pas trop bien compris pourquoi - elles n'explosèrent pas en vol, mais deux d'entre elles explosèrent violemment en touchant le sol, leurs parachutes ne s'étant pas déployés, et elles dispersèrent du plutonium estimé à 4,5 kg sur 250 hectares à Palomares, ainsi que de l'uranium de qualité militaire.

La troisième bombe atterrit doucement grâce à ses parachutes sans exploser. Elle fut récupérée intacte.

La quatrième bombe, en revanche, descendit tranquillement avec ses parachutes mais fut portée par le vent vers la mer Méditerranée, où elle plongea à 869 mètres de profondeur.

Après 80 jours de vaines recherches secrètes, l'armée américaine accepta finalement de recevoir l'aide d'un pêcheur aux crevettes andalou qui indiqua le lieu exact de la chute. Et la bombe fut récupérée.

Le pêcheur Francisco Simó Orts, devenu un héros national, sera connu comme «Paco el de la bomba» ou «Paco, le type de la bombe».

Et après ? Et aujourd'hui ?

Washington ne communiqua pas sur les effets des deux premières bombes explosées et se contenta de faire un «nettoyage» rapide «en laissant 50 000 mètres cubes de terre contaminée» sur place.

Ce ne sera qu'en 2015 que le gouvernement américain signa un accord avec les Espagnols dans lequel les premiers s'engagèrent à prélever quelque 50 000 mètres cubes de terres contaminées et les expédier sur le sol américain par voie maritime.

Le dictateur Francisco Franco s'était montré plutôt compréhensif et même «complice» avec les Américains jusqu'en 1975.

Les Espagnols pleurent toujours la perte de ces terres contaminées, jadis couvertes de plantations de tomates.

Le tourisme, lui, est mort depuis 1966, même si l'ambassadeur américain de l'époque, Angier Biddle Duke, et quelques ministres espagnols piquèrent une tête dans l'eau pour tenter de prouver qu'il n'y avait aucun danger radioactif. Un petit détail important : ils le firent sur une plage située à 15 km du lieu d'impact des «bombas» .

Seuls 100 villageois furent examinés en 1971, et sur les 714 personnes qui le furent ensuite, «124 avaient un taux de plutonium dans les urines supérieur au minimum détectable».

Le secteur de l'immobilier dans lequel l'Espagne se lança en 2008, et qui causa en partie sa crise financière, en subit également les effets.

La côte d'Almeria fut déclarée inconstructible après la découverte d'un taux d'américium largement supérieur au maximum autorisé, et une partie de ses habitants doit se faire tester deux fois par an.

Les Américains maintiennent que ce sont les explosifs non atomiques qui ont explosé, pas les engins nucléaires, lors de ce qu'ils qualifient toujours comme le «Palomares Incident».

Mais on n'y croit pas trop, surtout quand on voit le cratère causé par l'explosion, comme le décrit le journaliste espagnol Jose Maria Herrera qui a visité les lieux malgré les barrages érigés tout autour.

L'accident de Thulé

Le 21 janvier 1968, un autre bombardier B-52 décolle de Plattsburgh Air Force Base, New York, toujours dans le cadre de l'opération Chrome Dome , qui vient pourtant il y a deux ans de connaître une catastrophe en Espagne.

Le bombardier emporte quatre bombes à hydrogène dans sa soute et prend la direction de Thulé au nord du Groenland.

Dans le ciel groenlandais, le troisième copilote, ne pouvant supporter le froid, augmente l'arrivée d'air chaud venant des moteurs et prend un deuxième coussin pour mieux se reposer, et qu'il installe un peu trop près de l'arrivée d'air.

La forte chaleur finit par enflammer le coussin que les extincteurs ne peuvent éteindre.

Le feu se propage très vite et le commandant ordonne l'abandon de l'avion.

Six membres d'équipage s'éjectent mais le septième qui n'avait pas de siège éjectable essaie de sauter directement avec son parachute. Mais il est blessé mortellement durant cette tentative.

L'avion sans pilote continue sur sa route et s'écrase près de la base de Thulé. Il est dit officiellement que si les «high explosive components» des quatre bombes ont explosé, répandant des matières radioactives «over a large area, in a manner similar to a dirty bomb» , il n'y a pas eu d'explosion nucléaire, cela grâce aux «weak links» intégrés. Et que c'est l'incendie déclenché par les 100 tonnes de carburant du bombardier qui a fondu la banquise provoquant l'effondrement de l'épave de l'avion et des «munitions» vers le fond océanique...

Les recherches pour retrouver les sept membres de l'équipage ont été difficiles dans cette contrée glaciale où la température descendait jusqu'à -60 degrés centigrade.

Et, encore une fois, les Américains ont boudé au début l'aide précieuse des Danois, notamment du spécialiste Jens Zinglersen, avant d'accepter que ce dernier les mène aux bons endroits.

Les sept membres de l'équipage ont pu alors être retrouvés vivants.

Le «Project Crested Ice» connu comme «Dr Freezelove», probablement en souvenir du film Dr Strangelove, fut ensuite lancé pour enlever les débris de l'accident ainsi que de la neige et glace contaminées.

Même si le Pentagone a déclaré que les quatre bombes ont été «détruites», la BBC conclut en 2008 qu'une des quatre ogives nucléaires dort toujours au fond de l'océan glacial près de Thulé.

Zone sans nucléaire et cancer

Les Américains qui ont appelé cet événement l'accident «Broken Arrow» (et non incident, comme pour Palomares), n'ont jamais reconnu la perte de cette quatrième bombe.

Les travailleurs à Thulé, eux, ont formé en 1986 l'association Foreningen For Straaleramte Thulearbejdere après qu'un nombre alarmant de cancers liés à l'exposition aux radiations a été noté. 2 400 Danois furent ainsi indemnisés.

En 1990, le scandale Thulegate révéla que des armes nucléaires avaient été stockées et transportées au-dessus du Groenland, cela en violation de la «politique de zone sans nucléaire du Danemark» décrétée en 1957. «À ce jour, six armes nucléaires furent perdues et n'ont jamais été retrouvées, y compris dans l'explosion du sous-marin russe Kursk en 2000» , nous rappelle la Revue Histoire.

Questions : s'il a été plutôt aisé de cacher aux Espagnols et aux Danois l'explosion de bombes nucléaires sur leur vaste territoire, pourrait-on le faire pour un petit territoire ?

Si les Américains ont, depuis, perfectionné leurs systèmes de sécurité relative à un éventuel accident atomique, qu'en est-il des autres nations qui ont commencé à faire joujou avec cette arme ? Y aura-t-il des armes nucléaires à Agaléga ?

Fiction et réalités

On se rappelle d'un des derniers films avec Bourvil, mort en septembre 1970, et tourné en 1969, «L'Arbre de Noël».

L'histoire s'était inspirée de «l'incident de Palomares» et on y voit le jeune Pascal, 10 ans, subir l'irradiation d'une bombe atomique tombée en mer au large de la Corse.

Il en mourra quelques mois plus tard. Bourvil, lui, mourra réellement d'un cancer du sang à l'âge de 53 ans. Et il en souffrait déjà lors du tournage du film.

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