Sénégal: Lutte contre le Tabac - Le Sénégal si loin, si près des objectifs...

20 Octobre 2023

L'adoption du décret portant application de la loi numéro 2024-14 du 28 mars 2014 relative à la fabrication, au conditionnement, à l'étiquetage, à la vente et à l'usage du tabac a soulevé un tollé général au Sénégal. Elle relance surtout le débat sur la lutte antitabac qui est loin d'être gagnée dans le pays.

Un secret de Polichinelle : le tabac tue. Et son usage ainsi que celui de ses dérivés comportent des risques énormes pour la santé de l'homme. Selon les spécialistes de la santé, notamment les pneumologues, le tabac peut provoquer des cancers de différente nature (cancer du poumon, de la gorge, de la bouche, des lèvres, du pancréas, des reins, de la vessie et de l'utérus). Tous, des tueurs silencieux.

Consciente des dangers de... mort imminente, la Ligue sénégalaise contre le tabac (Listab), sous la houlette de l'Alliance pour le contrôle du tabac en Afrique (Acta), ne baisse guère les bras. Avec tact et tactique, elle fait doucement mais sûrement son travail de veille et d'alerte antitabac, en contribuant de façon efficiente à la réduction de la morbidité et de la mortalité due au tabac au Sénégal. A cet égard, la Listab s'est insurgée contre l'adoption du décret portant application de la loi numéro 2024-14 du 28 mars 2014 relative à la fabrication, au conditionnement, à l'étiquetage, à la vente et à l'usage du tabac.

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Ce projet de loi examiné en « silence » en Conseil des ministres tenu au Palais de la République, vise à « réguler » les produits du tabac chauffé et les cigarettes électroniques. Mais la promotion de ces produits dérivés du tabac vise la jeunesse. Ils sont en vogue et existent en plusieurs variétés, selon Bamba Sagna, juriste et membre de l'Ong CTFK (Campaign for Tobacco Free Kids'). D'ailleurs, le mardi 10 octobre 2024 à Dakar, il avait fustigé, lors d'une conférence de presse, l'adoption dudit décret. « Cette loi est en train d'annihiler tout le travail qui a été fait dans le cadre de la lutte antitabac au Sénégal.

Puisqu'il fait la promotion de ces produits qui sont extrêmement dangereux. Nous avons vu le ministère de la Santé et en l'occurrence le Programme national de lutte contre le tabac (Pnlt). Si nous laissons ce décret passer, ce sera la catastrophe. Nous interpellons les parents d'élèves car ces produits sont maintenant présents dans les écoles. Ils ressemblent à des outils scolaires comme les feutres et clés USB ». Les parents sont avertis. Outre la Chicha et la cigarette qui tuent à petit feu, ces produits dérivés du tabac sont nuisibles et constituent un danger patent. Et les risques encourus sont énormes.

Lobbying de l'industrie du tabac

L'adoption du décret portant application de la loi numéro 2024-14 du 28 mars 2014 relative à la fabrication, au conditionnement, à l'étiquetage, à la vente et à l'usage du tabac est due à la pression des lobbyings du tabac, selon Djibril Wéllé. Le coordonnateur de la Listab n'y va pas par quatre chemins. Il dit, tout haut : « Nous avions eu des informations dans le passé.

L'industrie du tabac est d'abord passée par le ministère des Finances et le ministère leur a dit qu'ils ne sont pas habilités à donner les autorisations. Depuis quelques mois, nous étions au courant des agissements de l'industrie du tabac, sauf qu'on n'imaginait pas qu'au moment où on nous a isolé pour réviser la loi de 2014, on préparait ce coup ». C'est donc clair. L'industrie du tabac a manoeuvré pour faire passer ce décret de loi très « contesté » par les organisations de lutte antitabac. Et comme M. Wéllé, Bamba Sagna de l'Ong Ctfk y voit une « main intruse » de l'industrie du tabac : « Nous savons que l'industrie du tabac est impliquée. D'habitude quand on adopte un texte de loi ou un décret qui est en faveur de la lutte antitabac, le ministère se presse de diffuser ce texte.

Mais cette fois-ci, on a demandé que l'on ait une copie du décret mais on nous a dit que vous ne pouvez pas l'avoir. Ni l'Organisation mondiale de la santé (Oms) ni personne n'a à sa disposition ce texte. C'est une ingérence de l'industrie du tabac ». Pour contrer la loi, la Listab a saisi l'Oms et compte s'en ouvrir aux chefs religieux et candidats à la Présidentielle de 2024. Dans un souci d'équilibre, on a tenté de joindre les autorités compétentes pour avoir leur version. Mais, c'est l'omerta total. Aucune réponse. Aucune orientation. Ici, on adopte le silence radio...

Grâce à la lutte acharnée de l'Acta et des organisations de lutte antitabac, le produit a perdu la côte. Mais malheureusement, il continue toujours à briser des destins et détruire des vies. Les Etats sont conscients des graves dangers de santé publique que cause l'usage du tabac mais ils ne peuvent pas grande chose à cause de la pression des lobbyings du tabac. C'est parce que le tabac, ce produit nocif pour la santé de l'homme, apporte de la valeur ajoutée à l'économie des pays.

De l'avis de Meissa Babou, économiste et enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg) à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, au moment où tous les produits flambent, la cigarette, elle, ne bouge pas. Parce que, poursuit-il, des lobbys du tabac très puissants empêchent aux Etats de réagir. « Le marché du tabac est florissant et colossale. Le tabac est un produit à forte valeur ajoutée, il apporte beaucoup dans l'économie fiscale de l'Etat », soutient l'économiste. C'est pourquoi, conseille Meissa Babou, l'Etat a les moyens de s'enrichir fiscalement sur ces produits-là, en rendant difficile l'accès. Toujours est-il que le combat antitabac est loin d'être remporté... Comme qui dirait, si près, si loin !

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