Dans un contexte où le développement des chemins de fer est redevenu une priorité pour les pays qui l'avaient négligé, comment financer les projets y relatifs ? C'est tout l'intérêt du Forum international qui s'est ouvert, hier, à Diamniadio, à l'initiative de l'Union internationale des chemins de fer (Uic) et de la Société nationale des Chemins de fer du Sénégal (Cfs). À l'évidence, l'Afrique veut accrocher le bon wagon après l'avoir laissé filer.
Certains pays africains se sont-ils finalement rendu compte qu'ils ont eu tort de délaisser les chemins de fer au profit des routes ? On peut le penser au regard de l'intérêt qu'ils portent à nouveau à ce moyen de transport qui, par le passé, a joué un rôle prépondérant dans l'urbanisation de certaines villes et le développement de l'économie locale des zones traversées et desservies. Un intérêt si marqué que la question du financement des projets ferroviaires est devenue une préoccupation pour ces pays et les pousse à réfléchir sur la meilleure manière d'en décrocher. C'est certainement pour les y aider que l'Union internationale des Chemins de fer (Uic) organise, depuis hier, à Diamniadio, en partenariat avec la Société nationale des Chemins de fer du Sénégal (Cfs), le Forum international sur le financement des projets ferroviaires en Afrique. Cette rencontre, une première mondiale, s'inscrit dans la dynamique continentale qui a vu notamment la Commission de l'Union africaine prendre plusieurs initiatives relatives à la relance des chemins de fer et les ministres africains responsables des transports adopter l'Agenda 2063 pour le développement du rail en Afrique et dont le Réseau ferroviaire intégré à grande vitesse en Afrique (Rifa) est l'un des projets phares.
À Diamniadio donc, durant les deux jours que durera ce forum, il s'agit pour les compagnies ferroviaires, les organismes publics et privés, les partenaires au développement venus du monde entier de discuter des opportunités et des défis liés à ces financements. Lors de la cérémonie d'ouverture présidée par le Premier ministre Amadou Bâ, le Directeur général de la Cfs, Malick Ndoye, a rappelé ô combien les chemins de fer jouent un rôle vital dans le développement économique, la connectivité régionale et le développement durable du continent africain. À l'en croire, ce forum offre une plateforme unique pour partager des idées, établir des partenariats et concrétiser des projets permettant, entre autres, d'accélérer l'intégration africaine. Cependant, il a tenu à souligner que « les financements des projets ferroviaires en Afrique peuvent être complexes et nécessitent une approche globale ». C'est pourquoi Malick Ndoye a émis le souhait qu'au sortir de cette rencontre, « des solutions globales soient trouvées pour redynamiser les chemins de fer sur l'ensemble du continent ».
Le Premier ministre Amadou Bâ n'en dit pas moins. Lui aussi reconnaît que le financement des infrastructures ferroviaires constitue un défi majeur en Afrique, aussi bien au niveau national qu'au niveau continental. En effet, selon lui, dans la marche vers l'émergence, la construction et/ou la réhabilitation de lignes des chemins de fer, ainsi que le développement des corridors et l'acquisition de matériels roulants sont essentiels. Or, ajoute le Chef du gouvernement sénégalais, « la plupart de nos États sont confrontés, en cette période, à de fortes contraintes budgétaires, assorties de difficultés pour trouver les ressources financières nécessaires à la réhabilitation des lignes, à la construction de nouvelles infrastructures, à l'entretien régulier des réseaux ferroviaires et à l'acquisition de matériels roulants qui répondent aux normes et au confort requis ». Sans compter, fait-il remarquer, le débat sur la rentabilité des investissements dans le secteur ferroviaire qui ne milite pas en faveur d'un financement. Pourtant, de l'avis d'Amadou Bâ, la rentabilité des investissements publics ne doit pas être analysée à l'aune de la seule rentabilité financière. Il croit fermement que « tout investissement dans le ferroviaire, accompagné de mesures adéquates, renforce la productivité à moyen et long terme de nos économies ». Pour appuyer ses propos, le Premier ministre rappelle que « sans le rail, le monde n'aurait pas atteint son niveau actuel de croissance économique ». En définitive, Amadou Ba estime qu'un chemin de fer performant engendre toujours des bénéfices économiques multiples avec un impact positif sur le niveau des activités portuaires, une accessibilité vers les régions enclavées, une réduction de la facture énergétique.
Plaidoyer pour un train « épine dorsale de l'économie en Afrique »
Après la cérémonie d'ouverture, les participants au forum de Diamniadio sur le rail ont échangé sur le rôle que ce type de transport de masse doit jouer dans le développement du continent, en adéquation avec l'Agenda 2063 de l'Union africaine. « Le ferroviaire est la colonne vertébrale de l'économie. Notre objectif est la promotion du ferroviaire comme épine dorsale du réseau de transport intégré africain », a souligné Taoufik Boufaied, vice-président de l'Union internationale des chemins de fer (Uic) et président de l'Union africaine des chemins de fer. C'est conscient de cela que l'Union africaine des rails a été créée afin de promouvoir les transports ferroviaires avec pour mission « de rechercher, d'assurer l'unification et le développement des services ferroviaires ». Malheureusement, comme le reconnaît son président, l'association est tombée dans une certaine léthargie avant que les membres ne décident de la relancer après une assemblée générale extraordinaire. Pour l'atteinte de l'objectif de développement des chemins de fer, Taoufik Boufaied n'a pas manqué de pointer du doigt les goulots qu'il faudra lever au préalable. Ils ont pour noms : le déficit de ressources humaines, le besoin de formation, mais aussi le financement. C'est pourquoi, à ses yeux, la tenue de cette première réunion est un virage important dans le développement du service ferroviaire en Afrique.
L'Afrique ne constitue que 6% du réseau ferré mondial
Dans la même veine, M. Boufaied a souligné que le secteur ferroviaire a longtemps souffert du déficit d'investissement, mais aussi du sous-investissement dans la réhabilitation de l'existant. Ce qui constitue une perte énorme pour le continent africain, un véritable blocage qui empêche au secteur ferroviaire de jouer pleinement son rôle dans le développement économique du continent. « Le secteur a longtemps souffert de sous-investissement en matière de réhabilitation, de standardisation et d'extension. Il y a eu une faible densité du réseau panafricain et sa couverture territoriale ne constitue que 6% du réseau ferré mondial pour un continent représentant environ 20% de la surface terrestre et abritant près de 17% de la population mondiale », a dit Mohamed Rabie Khlie, vice-président de l'Uic et président Uic Afrique. Résultat : « 40% de perte en productivité ». D'où l'urgence de « repositionner le rail en tant qu'épine dorsale de la mobilité durable au sein du continent et de le rendre plus fiable, plus viable, plus efficace, plus compétitif, plus digitalisé et plus abordable ». Mais pour cela, il faut résoudre l'équation du financement des projets ferroviaires qui constitue, pour M. Khlie, « le noeud gordien pour assurer la compétitivité » de nos économies. Mais cette question ne peut être résolue par les États eux seuls, il faut aujourd'hui diversifier les sources de financement, « accélérer la recherche de financements auprès des bailleurs, mais aussi développer les partenariats public -privé », a-t-il préconisé.