Ile Maurice: Le désert

Les chiffres de l'emploi sont encourageants, car le chômage est en baisse constante. Cependant, les réalités du terrain sont autres. Les employeurs peinent à recruter, malgré les salaires attractifs. Ils se tournent de plus en plus vers les étrangers pour s'assurer que leurs affaires continuent à tourner. Tour d'horizon du marché...

Il n'y a pas si longtemps, les employés étrangers - étudiants ou travailleurs migrants - étaient dans des secteurs bien définis, comme la boulangerie ou le service dans les restaurants. Aujourd'hui, ces employés sont partout : dans les supermarchés, les hôtels et les magasins. «Il est faux de dire que c'est de la main-d'oeuvre pas chère. Cela coûte aussi cher, voire plus cher, d'avoir recours aux étrangers», confie un patron de restaurant.

Parcours du combattant Ce jeune entrepreneur d'une trentaine d'années devait ouvrir son restaurant cette semaine. Il a commencé le processus de recrutement il y a plus d'un mois. Alors qu'il a commencé à payer le loyer, il n'est toujours pas opérationnel car il n'a pas trouvé d'employés. Le processus s'est avéré plus compliqué que prévu. «Parmi la cinquantaine de candidats qui m'ont contacté, j'ai remarqué que plusieurs personnes, surtout dans la tranche d'âge de 25-35 ans, préfèrent simplement ne pas travailler.» Il cite l'exemple d'un candidat qui avait répondu à son annonce pour faire du pain, pendant les heures de service. Après avoir répondu à l'annonce, il s'est désisté avant même l'interview.

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Trois semaines après, l'entrepreneur le contacte à nouveau. Il n'avait toujours pas trouvé de travail. «Je lui ai proposé un salaire de Rs 25 000. Il a refusé.» Il rajoute avoir contacté plusieurs autres candidats qui l'avaient contacté après plusieurs semaines, mais tous ont refusé, malgré les hausses proposées, alors qu'ils n'avaient toujours pas trouvé d'emploi. D'ailleurs, il affirme que 75 % des candidats qui l'ont contacté pour une interview ne se présentent pas pour l'exercice sans prévenir.

Sur les réseaux sociaux, les commentaires «Interested» ont plu, mais aucune démarche pour l'appeler et se renseigner ; il y a ceux qui envoient leurs coordonnées mais ne donnent aucune suite. «J'avais eu un candidat qui devait venir. Il n'est pas venu, et trois jours après, il m'a contacté pour me dire qu'il a eu une offre plus intéressante.» Puis, quelques jours plus tard, il appelle à nouveau pour lui dire que le travail qu'il a eu ne lui plaît pas et qu'il aimerait être reconsidéré pour le poste. «Je lui ai proposé Rs 30 000 et une allocation de performance de Rs 5 000, excluant le transport. Il était d'accord. Mais le lendemain matin, il était tombé malade et depuis, plus de nouvelles.» Ou encore, il y a ceux qui proposent de travailler en freelance.

Selon lui, il y a beaucoup de candidats dans la restauration qui ont travaillé sur des paquebots de croisière. L'un d'eux lui a expliqué qu'il a travaillé sans arrêt pendant sept mois et gagné environ Rs 60 000 mensuellement, pourboire compris. Ceux-là, explique-t-il s'attendent à avoir le même salaire. Sauf qu'il est impossible de payer un chef ce prix-là, d'autant que les conditions de travail ne sont pas les mêmes. «Déjà, légalement, il ne pourra pas travailler toutes ces heures. Nous parlons de deux conditions d'emploi totalement différentes, mais beaucoup ne comprennent pas cela.»

Il mentionne aussi un candidat intéressé, qui avait été chef dans un hôtel. «Mais il a préféré un emploi dans un autre hôtel, pour un salaire moindre que ce que je lui avais proposé. Dans son cas, c'était une question de prestige, ce qui est compréhensible.» Aujourd'hui, alors qu'il devrait déjà être opérationnel, il n'a pu employer que deux aides en cuisine. Désespéré, il a entamé des démarches pour recruter des travailleurs étrangers, mais le procédé est long et complexe.

6 000 postes vacants dans le privé

Le Labour Market Survey 2023, réalisé par le ministère du Travail, confirme qu'il y a 6 000 postes vacants dans le secteur privé. Qu'est ce qui rend le recrutement difficile ? Pradeep Dursun, Chief Operating Officer (COO) de Business Mauritius, estime que les conditions de marché dictent l'emploi. En ce moment, il y a plusieurs facteurs qui rendent l'exercice difficile.

Premièrement, il semble qu'il existe un décalage entre l'offre du marché et les attentes de ceux qui recherchent du travail. «Aujourd'hui, ceux qui sont en quête de travail sont beaucoup plus exigeants. Par exemple, les emplois de bureau sont favorisés par rapport au travail manuel» , avance-t-il. Ce point est repris par l'entrepreneur cité plus haut. Il avance que les skilled workers sont de plus en plus rares, raison pour laquelle même un salaire plus élevé que la moyenne pour la catégorie ne suffit pas pour les attirer.

Cet avis est partagé par Ajay Beedassy, entrepreneur et président de la SME Chamber, qui va plus loin en affirmant que même les postes d' unskilled workerssont difficiles à remplir. «Il y a de nombreuses offres pour des postes comme storekeeper. Mais nous avons remarqué que les jeunes ne sont pas intéressés, même avec un salaire important. Raison pour laquelle les entreprises se tournent vers la main-d'oeuvre étrangère.» Une autre raison qui rend le recrutement difficile, dit-il, est que de nombreux jeunes ne veulent pas débuter au bas de l'échelle pour ensuite gravir les échelons. «Kouma zot komansé, zot rod gro post ek gro saler. Mais il faut de l'expérience pour aspirer à cela.»

Ravish Pothegadoo, directeur de l'agence de recrutement, Talent on Tap, revient sur un autre problème. En ce moment, la demande pour la main-d'oeuvre est plus grande car les employeurs recherchent aussi des saisonniers en prévision de la fin de l'année. De plus, certaines entreprises anticipent déjà des démissions au début de l'année prochaine. Mais sa lecture des choses sur le problème de recrutement est différente. Certes, le salaire compte, mais la nouvelle génération ne s'arrête pas là. «Les autres conditions doivent être attrayantes. Par exemple, ils cherchent un équilibre entre leur vie personnelle et professionnelle.»

Cette difficulté à recruter, dit-il, entraîne une surcharge de travail pour ceux déjà dans l'entreprise, ce qui rajoute une pression supplémentaire. «Puis, il y a le fait que le higher management fait la sourde oreille. De ce fait, l'employé ne se sent pas valorisé et préfère quitter l'environnement.» Ravish Pothegadoo rajoute qu'aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, la réputation des entreprises est encore plus fragile, ce qui a un impact sur leur capacité de recrutement.

L'exode

Par ailleurs, Pradeep Dursun vient de l'avant avec l'exode des jeunes, au-delà des paquebots de croisière, qui a un impact conséquent sur le marché local. «Il y a une frénésie à aller chercher ailleurs pour le moment. Le Canada, par exemple, recrute massivement depuis quelques années» , dit-il. Les chiffres de l'émigration ne sont pas officiellement disponibles, mais toutes les agences de recrutement confirment la tendance. En juin dernier, Shezad Joomaye, Business Development Manager d'Arrivals Canada, une entreprise spécialisée dans l'émigration, expliquait à l'express que le secteur du tourisme était en grande demande et que les cuisiniers, chefs, sous-chefs et les réceptionnistes étaient très recherchés, précisant que le recrutement se faisait même sans diplôme. Les autres secteurs en demande, et qui risquent tôt ou tard de créer une tension dans ces domaines à Maurice, sont les infirmiers, aides-soignants ou encore, les mécaniciens. Le domaine du bien-être commence aussi à prendre de l'ampleur, ce qui fait que des professionnels comme les thérapeutes et masseurs, entre autres, commencent à s'envoler pour d'autres pays. Ces départs créent un vide sur le marché, ce qui fait que les restaurants, cliniques et spas, entre autres, se trouvent devant un nombre très limité de personnes avec les connaissances nécessaires pour faire tourner leur commerce.

Megane Fabre, directrice de Strategic HR Solutions, confirme la tendance. «Il y a eu un départ massif de travailleurs manuels, attirés par de meilleures conditions de travail, meilleurs salaires et meilleures conditions de vie. Donc, le peu qui reste trouve le travail compliqué.» Mais ce n'est pas tout. Elle avance aussi que les recrutements doivent se faire au bon endroit. «Par exemple, on ne va pas poster une annonce pour un kitchen helper sur LinkedIn» , dit-elle.

Kenny Ravatte, 21 ans : «travailler pour avancer...»

Mais tous les jeunes ne sont pas dans le même panier. Kenny Ravatte, «helper» au port, est âgé de 21 ans. Cela fait trois ans qu'il est employé comme contractuel. «Je n'ai pas eu de difficulté à trouver un travail. Mais le travail en soi est difficile» , confie-t-il. Son job principal est de débarquer les conteneurs de poisson. Cela peut aller jusqu'à 25 tonnes de poisson à débarquer ou embarquer à quatre ou cinq personnes. Lorsqu'il arrive sur son lieu de travail à 7 h le matin, il ne sait jamais quand il finira. «Cela peut aller jusqu'à 19 heures» , dit Kenny. Mais le travail n'est pas constant. Il y a des semaines où il travaille six jours, d'autres, cinq jours. «Il y a aussi des fois où il n'y a pas de travail. Je reste à la maison en attendant l'appel de mon contracteur.» Cependant, malgré la pénibilité du travail, il ne rechigne pas et s'y colle. Il ne se plaint même pas. «Il me faut de l'argent. J'ai des soucis à la maison, et je ne peux pas ne pas travailler» , explique le jeune homme, sans vouloir en dire davantage. Ce qui lui donne la force d'avancer, c'est que depuis qu'il a commencé à travailler, il a pu avancer. «Sa inn bien ed mwa bes bann problem la. Samem mo kontinié.»

Christine, 21 ans, diplômée au chômage depuis trois mois

Elle fêtera ses 22 ans le mois prochain et continue à songer à son avenir incertain. Pourtant, Christine estime avoir un bon niveau d'éducation. Mais elle n'arrive pas à trouver un emploi qui lui plaît, malgré les entretiens qui s'enchaînent. Elle a une licence en comptabilité et finance d'une université étrangère et elle est rentrée au pays en août. Depuis, elle est au chômage. «Pas par envie mais par dépit. Les emplois proposés et les conditions attachées ne sont pas attrayantes. C'est frustrant de voir que nous sommes amenés à dépenser des centaines de milliers de roupies pour nos études pour, au final, se voir offrir un salaire de base de Rs 17 000 à Rs 18 000.» Puis dit-elle, le système d'embauche est dépassé. «Il y a des annonces pour des postes vacants qui sont très intéressantes mais, une fois le CV envoyé, l'application soumise, vous n'entendez plus rien. Il peut se passer des mois et des mois avant d'obtenir un entretien. Finalement, il faut passer par un deuxième entretien avec tout un panel de personnes, faire des tests d'entrée, qui sont longs et pénibles. J'attends toujours des retours de certaines sociétés depuis août. Je ne sais même pas si ma candidature a été retenue. On a l'impression que les postes vacants il y en a oui, mais qu'il faut tout de même un coup de pouce ici et là pour qu'on vous donne votre chance...»

Zoom sur les caractéristiques des chômeurs au deuxième trimestre de 2023

Sur les 38 100 chômeurs, 15 600 étaient des hommes (41 %) et 22 500 des femmes (59 %).

· 56 % des chômeurs étaient célibataires, dont 83 % d'hommes et 38 % de femmes. · Parmi eux, 56 % n'avaient pas le SC ou l'équivalent, et 3 900 n'avaient pas passé le PSAC ou le CPE. · 80 % cherchaient un emploi depuis moins d'un an. · Près de 29 % cherchaient un emploi pour la première fois. · 48% étaient inscrits au Bureau de l'emploi. · 11 % des chômeurs étaient chefs de famille. · 15 % vivaient dans des foyers sans personne employée. · 34 % des chômeurs avaient entre 16 et 24 ans. De plus, 7 100 jeunes âgés de 16 à 24 ans, célibataires, cherchaient leur premier emploi. Parmi eux, 4 300 possédaient une qualification inférieure au SC.

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