Afrique: Jean Hélène (1953-2003), un journaliste fou d'Afrique

Il y a vingt ans, le 21 octobre 2003, Christian Baldensperger alias Jean Hélène, était assassiné en Côte d'Ivoire dans l'exercice de son métier de journaliste dont il se faisait une haute idée. Voici le parcours d'un homme qui eut plusieurs vies, l'itinéraire d'un reporter de RFI, fou d'Afrique, un continent dont il a relaté les soubresauts et à qui, finalement, il a donné sa vie.

Très jeune, passée l'enfance et le désir de devenir vétérinaire, Christian eut une obsession : quitter son Alsace natale, voyager, découvrir d'autres horizons, d'autres peuples. Ce qu'il fit très tôt, passant de longs mois au Canada ou voyageant en stop entre Montréal et l'Amérique centrale. Être sur la route finalement. À la façon de l'écrivain Jack Kérouac.

C'est cette envie irrépressible qui, après l'obtention d'un diplôme à l'école de commerce de Strasbourg en 1979, le mena à Paris où il suivit les cours d'une école de journalisme tout en se forgeant une culture dans le domaine des relations internationales et en s'initiant à l'histoire de l'Afrique. L'Afrique dont il parla beaucoup avec son parrain, un ancien administrateur colonial au Cameroun.

C'était aussi l'époque bohême, joyeuse, légère, d'un journal, Scoop Bidou Wapp, lancé par une bande copains apprentis journalistes. L'époque aussi des petits boulots, serveur à l'hôtel Lutetia, à Paris, et même de la figuration dans un film d'Alain Delon...

%

Au directeur de l'école qui lui proposait de pousser plus loin ses études, notre jeune Alsacien aurait répondu : « Non je veux de la latérite sur mes connaissances. » Une référence à cette substance rouge caractéristique du sol en Afrique. C'est avec ce genre de saillie que l'on se forge une légende. Bel objectif en tout cas qu'il ne va cesser d'atteindre durant ses deux décennies de journalisme. Mais, avant de marcher sur la latérite, Christian fit un crochet par Londres, avant de participer, en 1985, à l'aventure éphémère d'un quotidien Paris ce soir, dont il s'occupait des pages internationales baptisées « Nouvelles du monde ». À cette époque, Christian Baldensperger laissa la place à Jean Hélène en souvenir de sa mère disparue alors qu'il n'avait que 10 ans.

Après cette aventure dans la presse, Jean effectua un tour de la Méditerranée deux ans durant. Dix-sept pays traversés avec un passeport qui mentionnait une profession : serveur. Et un article pour L'Alsace, sur un de ses ancêtres qui vécut en Palestine, un aïeul qui repose au cimetière protestant de Jérusalem.

Grands reportages

En 1988, après ce périple sac à dos, Jean entra presque par hasard à RFI dont un ami lui avait vaguement parlé. Discrètement, mais avec la ténacité dont il sut toujours faire preuve, il s'imposa au sein de la rédaction. « S'il devait passer une nuit à faire un papier, il le faisait », dit un de ses anciens rédacteurs en chef.

Et c'est au moment où RFI lui proposa une denrée déjà rare à l'époque, un CDI, que l'appel du large l'incita à partir pour Nairobi et d'y devenir le correspondant du journal Le Monde. Nous étions en 1990 et Jean avait 37 ans. Il se mit alors à traiter l'actualité de l'Afrique de l'Est, non seulement pour le quotidien mais aussi pour Radio France internationale, en tant que pigiste à une époque cruciale, la fin de la guerre froide qui a quelque peu changé la donne sur le continent africain aussi.

Jean Hélène fut, dès lors, sur tous les fronts, au sens propre comme au sens figuré, rédigeant ses articles avec son style caractéristique fait de phrases courtes. Dans un camp de réfugiés en Ouganda, le 16 octobre 1990 par exemple: « Quelques marmites sont posées sur des feux. Du linge sèche sur l'herbe. Une jeune femme, assise sous un arbre, allaite son bébé. Elle a accouché en chemin, l'avant-veille. Son mari a été tué. Plus loin, quelques blessés somnolent ».

Écouter des reportages de Jean Hélène

Soudain, cette scène hallucinante... Un jeune milicien, kalachnikov en bandoulière, marche à découvert vers le front, tenant au-dessus de sa tête un évangile, hurlant des imprécations...

02:33 Écoutez des reportages de Jean Hélène

RFI Il alla en Somalie, où il eut le rare bonheur de rencontrer sa femme, Luigia. En Éthiopie, à Madagascar, au Soudan, au Burundi, au Zaïre pour ne citer que ces pays déchirés-là.

Et puis, il y eut le Rwanda en 1994. Le génocide dont il a, peu à peu, au fil de son implacable déroulement, montré l'ampleur dans ses articles et de ses correspondances pour RFI. Le 12 avril 1994 notamment : « De larges flaques de sang sèchent au soleil sur le parvis de l'église catholique de Gikondo. À l'intérieur, encore le sang et l'odeur de la mort. (...) Les secouristes du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ramassent dans les travées un adolescent au crâne ouvert par des coups de machettes »

Le paroxysme de l'horreur. « Là-bas, comme tous ses confrères, il a vu le mal absolu », dira le journaliste africaniste Stephen Smith.

Ces années 1990 furent pour lui celles des récits de guerres, de terreur, de bruit et de fureur. Il mena alors, plus que jamais, la vie d'un homme d'action, exerçant son métier au plus près de l'événement. Cela lui valut des ennuis, même une arrestation et un emprisonnement au Burundi, tout simplement parce qu'il était journaliste. Du travail, encore du travail. « Il était très dur avec lui-même », souligne Jean-Pierre Campagne qui a sillonné l'Afrique pour l'AFP.

L'Afrique de l'Est fut son premier terrain de reportage. Et le génocide rwandais l'un des moments forts de sa vie de reporter.

À lire aussi

Jean Hélène, une certaine idée du journalisme

Retour à RFI

Un jour parfois, il faut tourner la page. Jean l'avait compris en 1998, lorsqu'il quitta le Kenya et revint à Paris pour intégrer une bonne fois pour toute la rédaction de RFI. Dire que tout fut rose pour lui, à l'époque, serait exagéré.

Pas facile, en effet, de se faire une place dans une rédaction après des années de travail en solo. Mais son nouveau statut lui permit néanmoins de faire bon nombre de reportages. Au Burkina Faso par exemple où, ironie du sort, il relata la mort d'un journaliste assassiné, Norbert Zongo, et le deuil d'un pays tout entier.

En 2000, Jean Hélène devint le correspondant de RFI au Gabon. C'était un poste important qui lui permettait de rayonner dans toute l'Afrique centrale. Puis il revint à Paris deux ans plus tard afin de devenir chef du service Afrique de la radio alors que lui souhaitait rester quelques années encore à Libreville. « Je ne pouvais refuser ce poste », dit-il alors à ses amis. Il l'accepta plus par devoir que par envie, car Jean était tout sauf un homme soucieux de sa carrière. Seul, pour lui, comptait le reportage.

Nous étions en 2002 et la greffe ne prit pas. « Ce fut une année vide », dit-il. Il présenta alors sa démission. Elle lui fut refusée. La présidence de la radio lui demanda au contraire de partir pour la Côte d'Ivoire, dans un pays déchiré alors par une guerre civile. Il accepta cette mission et suivit en outre les conflits voisins, la guerre au Liberia, plongé dans le chaos, en attente du départ de Charles Taylor.

Jean Hélène, le journaliste qui a roulé sa bosse sur toutes les routes du continent, et pas seulement sur celles en latérite, l'homme qui vivait avec les Africains pour lesquels il avait un grand respect.

Le 21 octobre 2003, il y a vingt ans, il était à Abidjan, près du siège de la direction de la police nationale ivoirienne. Il était seul, le soir, attendant des nouvelles et la libération de onze militants politiques incarcérés. Il pensait qu'il devait être là pour raconter, raconter encore. Comme il le faisait depuis son premier reportage à Nairobi. C'est là qu'un policier l'a frappé et abattu froidement.

Restent aujourd'hui la voix, les reportages et les carnets de voyage de Jean Hélène. Carte de Presse n°62859.

01:28 Témoignages des opposants arrêtés que Jean Hélène tentait d'approcher quand il s'est fait tirer dessus

Frédéric Garat À lire aussiIl y a dix ans, l'assassinat de Jean Hélène en Côte d'Ivoire

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.