On a failli assister à l'évasion de prison la plus spectaculaire de tous les temps au Niger, dans la nuit de jeudi à vendredi de la semaine dernière, si l'on en croit le communiqué du gouvernement de la transition, avec la tentative de l'ancien président Mohamed Bazoum et de ses proches, de se faire la belle, alors que depuis le 26 juillet dernier, ils sont détenus dans la résidence présidentielle et surveillés comme de l'huile sur le feu.
Le scénario décrit par le porte-parole de la junte, le colonel-major Amadou Abdramane, est digne d'un film hollywoodien de série B, puisque le président déchu, son épouse, son fils, ses deux cuisiniers et deux de ses éléments de sécurité devaient tous être exfiltrés au milieu de la nuit, puis conduits à la lisière de Niamey, d'où ils devaient rejoindre le Nigeria à bord d'hélicoptères affrétés par « une puissance étrangère ».
Selon la version officielle, ce scénario n'a pas été déroulé grâce à la vigilance de certains éléments de la garde présidentielle, qui ont dû faire usage de leurs armes pour empêcher les fugitifs d'aller au-delà du périmètre de la présidence nigérienne.
Pour les partisans de Bazoum, les putschistes ont juste jeté de la poudre de perlimpinpin aux yeux de leurs compatriotes
Ces derniers auraient été réintégrés dans leurs cellules, et leurs complices arrêtés et placés en détention sans plus de précision sur leur nombre, leur identité ni leurs liens avec Mohamed Bazoum.
Selon les partisans et les avocats du président déchu, il s'agit d'un tissu de mensonges tissé par une junte souffrant à la fois d'un complexe de persécution et de troubles obsessionnels compulsifs, en somme un grossier montage qu'ils condamnent avec un certain sens de la rime : « Bazoum n'a rien à faire dans cette affaire ».
D'autres Nigériens et non des moindres ont montré leur scepticisme depuis que cette évasion présumée a été éventée, en se demandant comment une personnalité politique de la trempe de Bazoum qui rêve encore de diriger le Niger, a-t-elle pu se lancer, avec femme et enfant, dans une aventure aussi suicidaire, se sachant gardé par une soldatesque armée jusqu'aux dents.
Et tant qu'à faire, pourquoi prendrait-il le risque de chercher à rallier la banlieue de la capitale, probablement pour trouver refuge dans un dédalle de tôles ondulées, alors que des endroits de planque plus rassurants et plus confortables tels que les ambassades de France et des Etats-Unis se trouvent à un jet de pierre de son lieu de détention, en bordure du fleuve Niger ?
Ceux qui se posent toutes questions teintées de doute, estiment qu'il s'agit ni plus ni moins que d'une fuite en avant des militaires au pouvoir pusillanimes et particulièrement fébriles, qui se sont vu récemment enjoindre par la Justice de libérer sans délai le fils de Mohamed Bazoum, incarcéré avec ses parents à la résidence officielle du chef de l'Etat.
Pour les partisans de Bazoum, le Général Abdourahamane Tchiani et ses réformateurs de dimanche ont, avec cette histoire d'évasion cousue de fil blanc, juste jeté de la poudre de perlimpinpin aux yeux de leurs compatriotes qui sont en train de boire le calice du désenchantement jusqu'à la lie, depuis que la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a imposé au Niger des sanctions draconiennes suite à la rupture de l'ordre constitutionnel.
Qu'elle soit réelle ou fantasmée, la présumée tentative d'escapade de l'ancien président nigérien est une mauvaise publicité pour la junte
Et quand le porte-parole du gouvernement qualifie la cavale ratée de Bazoum et compagnie d' « attitude irresponsable », les partisans de l'ancien président se marrent de ce chameau qui se moque de la bosse du dromadaire, en rappelant au passage que c'est le putsch anachronique de juillet dernier qui a créé les conditions du désespoir et de la misère visibles partout au Niger, comme un poisson multicolore dans un aquarium.
Les putschistes, par contre, trouvent ces arguments à la fois aériens et ridicules, développés juste pour les discréditer auprès de l'opinion dans le but de favoriser le retour en piste du régime extraverti et prébendier animé par des démocrates de pacotille dont Mohamed Bazoum était le chef.
Et si ce dernier a tenté de fuir à ses risques et périls, c'est qu'il est convaincu que ce serait plus facile pour lui de retrouver son fauteuil s'il arrivait à s'extirper des griffes de ses tombeurs pour se retrouver à Abuja au siège de la CEDEAO, ouvrant ainsi la possibilité pour l'instance sous- régionale de fondre sur Niamey, de chasser la bande à Tchiani du pouvoir et de réinstaller le natif de la région de Diffa au trône.
En tentant de prendre la poudre d'escampette avec sans doute la complicité des éléments de la garde présidentielle qui lui sont restés fidèles, Bazoum a voulu accélérer le processus de déstabilisation de la transition qui est jusqu'ici resté dans les limbes, sans doute de peur que le président déchu ne soit utilisé comme bouclier humain en cas d'intervention militaire de la CEDEAO.
Si les troupes ouest-africaines ont participé activement au "dégommage" de Laurent Gbagbo en 2011 et à celui de Yahya Jammeh en 2017, c'est simplement parce que ceux qu'elles voulaient installer au pouvoir, notamment Alassane Ouattara et Adama Barrow, étaient en sécurité respectivement au luxueux hôtel du Golf à Cocody, et dans une villa cossue du quartier des Almadies à Dakar.
Il n'est donc pas exclu que ceux qui se comportent de manière intrusive et complotiste vis-à-vis des "ravisseurs" de Bazoum, veuillent mettre d'abord ce dernier à l'abri en tentant un coup de poker comme cette exfiltration ratée de la semaine dernière, avant de faire « tomber du feu à partir du ciel" sur Niamey.
En somme, tout est possible, et qu'elle soit réelle ou fantasmée, la présumée tentative d'escapade de l'ancien président nigérien est une mauvaise publicité pour la junte d'autant qu'elle vient apporter de l'eau au moulin de ceux qui pensent qu'il y a un manque évident de sérénité au sein de l'actuelle équipe dirigeante, d'autant que de l'aveu même du gouvernement, des éléments de la garde présidentielle ont participé à cette rocambolesque opération de sauvetage du "soldat" Bazoum.