Centrafrique: A l'aube de son second mandat, la Cour pénale spéciale accueille espoirs et frustrations

communiqué de presse

La Cour pénale spéciale (CPS) mise en place en République Centrafricaine a achévé ce 22 octobre 2023 son premier mandat. Malgré des progrès certains pour la justice, plusieurs obstacles entravent sa bonne marche. Les victimes, elles, alternent entre espoir et frustration.

Une promesse de justice

La création de cette Cour hybride, qui rassemble des juges tant centrafricains qu'étrangers et dont la mission consiste à poursuivre les responsables des crimes de droit international commis depuis 2003 dans le pays, avait suscité de grands espoirs parmi les victimes. Cette initiative rompait avec un climat d'impunité généralisée et la profonde déception populaire engendrée par l'acquittement de l'ex-chef de guerre Jean-Pierre Bemba par la Cour Pénale Internationale.

En avril 2022, trois ans et demi après son inauguration, la CPS a tenu son premier procès avec « l'affaire de Paoua ». Trois hommes ont été jugés coupables pour l'attaque de mai 2019 à l'encontre des villages de Koundjili et Lemouna, durant laquelle plus d'une trentaine de civils ont été exécutés et au moins six femmes et filles ont été violées. Actuellement 24 affaires sont en cours d'instruction et un deuxième procès est sur le point d'ouvrir.

Ce procès a certes été perçue comme une avancée, mais les victimes et leurs représentants espèrent encore beaucoup plus, estimant que jusqu'à présent, la CPS n'a appréhendé en grande majorité que des acteurs de second plan, tandis que les commanditaires principaux demeurent libres de leurs mouvements, parfois au coeur de la capitale, où il n'est pas rare de les voir fréquenter les lieux publics.

Des obstacles et des défis qui demeurent

Effectivement, l'exécution des mandats d'arrêt émis par la CPS rencontre des difficultés. Certes, les efforts déployés au cours des deux dernières années sous la pression à la fois de la Cour elle-même et de la société civile ont conduit à l'arrestation et la détention provisoire de plusieurs suspects, y compris celle retentissante le mois dernier d'Abdoulaye Hissène, ancien chef de guerre du FPRC. Cependant, de nombreux mandats d'arrêt restent sans suite. Et la population a encore en mémoire l'arrestation avortée du ministre Hassan Bouba en novembre 2021 qui, après avoir été appréhendé sur ordre de la CPS, avait été libéré par le gouvernement quelques jours plus tard sans aucune autorisation judiciaire.

Les obstacles rencontrés dans la poursuite de certaines personnes, qui semblent être de facto protégées, mettent en évidence l'immixtion du pouvoir exécutif dans les affaires de la Cour. A cela s'ajoute un manque d'indépendance de la Cour envers les Nations Unies, qui continuent de contrôler sa gestion administrative et financière, malgré les promesses répétées de lui donner toute son autonomie lorsqu'elle serait pleinement fonctionnelle.

Les enseignements à tirer du premier mandat de la CPS

Il est important d'établir un bilan après ce premier mandat pour garantir des progrès en matière de justice au cours des cinq prochaines années. Premièrement, tout doit être mis en oeuvre pour que la CPS soit pleinement indépendante, que ses ordres et décisions sont respectés et mis en oeuvre par les institutions compétentes. Cela doit passer par l'arrestation de tous les suspects qui font l'objet de mandats d'arrêt - par les forces centrafricaines ou les forces de la MINUSCA lorsque les suspects sont sur le sol centrafricain, par les autorités compétentes et extradés vers la Centrafrique lorsqu'ils ont fui à l'étranger. Cela passe également par la mise à disposition du soutien logistique et sécuritaire nécessaires à la conduite d'enquêtes dans des régions touchées par les violences, et le transfert des Nations Unies vers la Cour elle-même de la gestion administrative et financière de la Cour, sous la supervision du Greffe de la CPS.

Si la lutte contre l'impunité est, selon les mots du président en 2021, « la colonne vertébrale du quinquennat », cela devra se traduire pleinement dans les actes, sans réserve et sans traitement différentiel en fonction de qui est dans le viseur de la justice. La Cour Pénale Spéciale est actuellement le seul tribunal en mesure de s'attaquer aux affaires les plus difficiles. Ce, d'autant plus que le bureau du Procureur de la CPI a claqué la porteclaqué la porte en décembre dernier, en clôturant son enquête de manière soudaine et sans justification convaincante.

Deuxièmement, il est essentiel de déployer tous les efforts nécessaires pour améliorer la participation des victimes aux procédures judiciaires et pour renforcer leurs possibilités d'obtenir des réparations. Cela implique d'accroître la transparence des procédures judiciaires dès le stade de l'instruction, de manière à informer rapidement les victimes de leur droit à se porter partie civile. De plus, il faudra trouver une solution garantissant des ressources financières adéquates, que ce soit de la part de l'État centrafricain ou de ses partenaires, pour financer les réparations qui seront ordonnées dans les futures affaires. Certes, la question des réparations pour les victimes du conflit en Centrafrique requiert une réponse étatique plus large, dans un pays où chacune et chacun a subi des crimes dans sa chair ou a connu la perte d'un proche, de sa maison, ou a connu l'exil. Pour autant, les réparations judiciaires, dont les victimes des crimes ayant fait l'objet de condamnations par la Cour devraient bénéficier, font partie des attentes de la population envers la CPS.

Le cycle de l'impunité doit prendre fin en Centrafrique, les victimes ont droit à la justice, la vérité et la réparation. La CPS à l'aube de ce nouveau mandat est à un tournant décisif. Elle devra être capable d'accélérer la cadence de la tenue de procès, poursuivre les hauts commanditaires des crimes atroces, et placer les victimes au centre de ces procédures. La tâche de la CPS pour ces cinq prochaines années sera aussi grande que déterminante pour la justice dans le pays.

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