Le Dr Claude Grange, chef de service pendant 22 ans d'une unité de soins palliatifs en France, qui a aidé à mettre en place l'unité de soins palliatifs Mère Marie Augustine à la Clinique Ferrière, est à Maurice actuellement. Co-auteur du livre «Le Dernier Souffle : Accompagner la fin de vie» avec Régis Debray, il a été un des conférenciers du premier congrès régional sur les soins palliatifs organisé, samedi, par la clinique Ferrière de Bon Secours et la Société des Médecins et Dentistes de l'École française. Le point sur ces soins avec lui.
Comment de médecin généraliste devient-on spécialiste en médecine palliative ?
J'ai été médecin généraliste pendant 20 ans dans les Yvelines en France, à 60 km de Paris, et j'ai été confronté à la mort de mes patients. C'était catastrophique car je ne savais pas quoi dire, quoi faire. Puis, j'ai suivi la formation en médecine palliative et celle-ci m'a transformé en tant que médecin et en tant qu'homme. À ce moment-là, je n'ai eu de cesse de mettre en place une unité de soins palliatifs à l'hôpital où je travaillais et je l'ai dirigée pendant plus de 20 ans.
La médecine palliative fait-elle partie intégrante de la médecine ?
J'estime qu'il y a quatre médecines : la première est la préventive, qui est un peu oubliée. C'est tout ce qu'il faut faire pour éviter d'être malade. La seconde est la curative, qui a fait énormément de progrès, qui guérit de plus en plus mais qui est devenue un business dans certains pays. Puis vient la médecine rééducative pour les personnes qui ont eu un accident de santé et qui vont devoir se rééduquer pour retrouver leur mobilité et leurs fonctions. C'est une médecine courageuse.
La dernière est la médecine palliative, qui est un peu mal aimée. Je dis que tant qu'un médecin peut guérir, il a le devoir de le faire mais on ne peut guérir toutes les maladies et quels que soient les progrès de la science, on sait que l'on va tous mourir. Je ne comprends pas l'insistance de certains médecins qui continuent à faire des traitements agressifs et coûteux en sachant très bien qu'ils ne pourront pas guérir le malade. C'est se prendre pour plus que Dieu.
Comment en êtes-vous arrivé à mettre en place l'unité des soins palliatifs à la Clinique Ferrière ?
J'ai contribué à la mise en place de cette unité de soins palliatifs avec le Dr Jean Michel Cholet, il y a trois ans. À La Réunion, j'avais rencontré le médecin mauricien Vicky Naga, gériatre et médecin en soins palliatifs et il voulait rentrer à Maurice. C'était l'homme idéal pour assurer la prise en charge de cette unité. Il s'est entouré d'une super équipe que j'ai formée en soins palliatifs, à savoir les Drs Maëva l'Enclume et Anne-Sophie Jérome, la psychologue Safia Adamjee et les infirmières.
Avec le Dr Naga, cette équipe assure la prise en charge, le savoir-faire et le savoir-être. Je constate au bout de deux ans, cette unité a du mal à se développer comme elle le devrait car certains médecins ont des réticences à adresser leurs patients en fin de vie alors que la médecine palliative c'est prendre en charge ces malades, les accompagner le mieux possible pour le temps qu'il leur reste à vivre et que ce temps leur soit le plus confortable possible.
Sur quoi repose la médecine palliative ?
Elle repose sur trois principes que je peux résumer en : je t'empêche de souffrir, je ne t'abandonne pas et je fais des choses pour toi. Même si le malade est vulnérable, il a le droit à la parole pour dire ce qu'il souhaite ou pas. Souvent, c'est la famille qui décide pour lui en croyant bien faire et elle n'écoute que les médecins. Ces derniers devraient avoir le discernement pour se dire : okay, on traite tant que l'on peut guérir et quand on ne peut plus, on réfère aux collègues des soins palliatifs.
Que pensez-vous à l'aide active à mourir ?
L'aide active à mourir est sujet à un grand débat actuellement en France mais je ne suis pas d'accord. Pourquoi on en est là c'est parce que des familles ont vu leurs proches mourir dans des conditions inacceptables et dans des douleurs épouvantables. Elles nous disent plus jamais cela, elles en viennent à réclamer une piqûre pour que ça s'arrête. Leur combat est légitime mais la solution n'est pas bonne.
Quelle est la solution ?
La solution ce sont les soins palliatifs.
Depuis la création de l'unité des soins palliatifs de la Clinique Ferrière, vous êtes revenu tous les ans pour l'évaluer. Sur quels critères vous basez-vous ?
Sur la base de ses résultats. Nos meilleurs agents sont les familles dont les proches en fin de vie ont été accompagnés. Le bouche à l'oreille a fait que l'on vienne ici, où il y a la gentillesse, la bonne prise en charge, l'empathie, l'humanité. Des critères qui sont très importants, surtout dans ces moments de fin de vie. Mais comme je l'ai dit, cette unité pourrait mieux fonctionner. Il faut de l'honnêteté, de l'éthique et se dire qu'il faut guérir tant que l'on peut mais qu'à un moment donné, quand on ne peut plus rien, il faut référer à ses collègues. Ce n'est pas normal de garder un malade en fin de vie aux soins intensifs qui sont coûteux pour les familles. Celles-ci se ruinent alors que la mort va arriver malgré tout. Les médias ont un rôle à jouer et doivent éduquer les gens pour qu'ils optent pour une médecine de confort pour leur proche en fin de vie, qui a le droit de ne pas souffrir et de mourir dans la dignité.
Pourquoi est-ce si important d'accompagner les malades en fin de vie ?
L'accompagnement est un fondement de l'humanité depuis la nuit des temps. Il y a les rites et les rituels qui accompagnent un malade en fin de vie avant et après sa mort. Une société qui ne peut plus prendre en charge ses mourants n'est plus une société. L'unité des soins palliatifs de la Clinique Ferrière offre aussi le côté spirituel, quelle que soit la religion du mourant. En sus d'améliorer les conditions de sa mort, le personnel infirmier lui montre qu'il est important, qu'il est au centre. On lui fait une haie d'honneur, on allume une bougie pour lui, on lui met une petite musique.
Les soins palliatifs devraient-ils être offerts par tous les centres de soins ?
Il faut une démarche palliative partout, que ce soit dans les cliniques, les maisons de retraite, les hôpitaux, car on meurt partout. La démarche palliative c'est mettre le malade au centre, c'est lui qui doit être informé de son état de santé et lui qui doit décider. Or, dans la réalité, on lui ment et il est seul avec sa peur de mourir. Avoir une démarche palliative partout passe par la formation. Ici à l'unité des soins palliatifs Mère Marie Augustine, nous avons un centre de formation.
Certes mais l'empathie ne s'apprend pas.
Ce n'est pas vrai. En voyant les infirmières faire, on peut faire de même. Mais toutes les situations ne sont pas les mêmes. Certaines sont plus complexes que d'autres et l'unité des soins palliatifs Mère Marie Augustine a plusieurs offres : (a) les consultations avec le Dr Naga ou ses collègues à l'unité des soins palliatifs de la Clinique Ferrière (b) cette équipe peut se déplacer jusqu'au domicile du malade (c) le malade peut venir en day-care à l'unité des soins palliatifs (4) quand la situation est trop compliquée, cela peut être l'admission à l'unité des soins palliatifs. Ici, c'est le confort que nous visons. On empêche le malade en fin de vie de souffrir. On soulage sa douleur physique, sociale et spirituelle. Il existe aussi une fondation Mère Marie Augustine pour participer à la prise en charge financière des personnes nécessiteuses.
Pourquoi avoir co-écrit le livre «Le dernier souffle : Accompagner la fin de vie» avec le philosophe et journaliste Regis Debray ?
J'ai perdu un bébé de la mort subite du nourrisson et j'ai écrit un premier livre intitulé Médecin de l'inguérissable. Regis Debray et moi nous nous sommes rencontrés et avons sympathisé. Il a trouvé que je faisais un métier très humain et il est venu visiter mon unité des soins palliatifs et après, nous avons décidé d'écrire ce livre. Nous avons pris deux ans pour le faire et il est paru en France en mars.
À qui s'adresse-t-il ?
À tout le monde pour leur dire que l'on n'a qu'une vie, que la médecine a des limites et qu'un jour, on va tous mourir, que ce soit de cancer, de maladie dégénérative ou autre ou simplement de vieillesse et qu'il faut être pris en charge par des équipes qui savent faire de l'accompagnement en fin de vie. Quand on aime une personne, on refuse qu'elle meure dans des conditions épouvantables alors qu'il y a la médecine de dernier secours. Nous sommes cette médecine de dernier secours.