DOUALA/LONDRES/LAGOS — A en croire un spécialiste du paludisme, conseiller auprès de la principale agence sanitaire du continent, les concepteurs de vaccins doivent partager leur savoir-faire pour la production d'un vaccin innovant contre le paludisme, afin que les campagnes de vaccination soient aussi efficaces que possible auprès des populations africaines qui en ont le plus besoin.
« Nous devons parler du transfert de technologie et de la propriété intellectuelle », déclare Nicaise Ndembi, conseiller auprès du directeur général d'Africa CDC [Centres africains de contrôle et de prévention des maladies], à Addis Abeba, en Ethiopie.
« Les sièges de toutes les sociétés pharmaceutiques impliquées ne sont pas en Afrique, alors que la maladie concerne essentiellement ce continent », ajoute-t-il.
"Les sièges de toutes les sociétés pharmaceutiques impliquées ne sont pas en Afrique, alors que la maladie concerne essentiellement ce continent"Nicaise Ndembi, conseiller auprès du directeur général d'Africa CDC
Selon les chiffres de l'OMS, 619 000 personnes sont mortes du paludisme en 2021, dont 96% en Afrique.
Le vaccin R21/Matrix-M, mis au point par l'université d'Oxford et la société pharmaceutique Serum Institute of India, est le second vaccin contre le paludisme à être recommandé par l'OMS ; le vaccin RTS,S (Mosquirix) ayant reçu son approbation en 2021.
Ce nouveau vaccin pourrait palier un manque très important. Vu que les 18 millions de doses du vaccin RTS,S disponibles pour les campagnes de vaccination de 2023 à 2025, ne suffiront pas pour répondre aux besoins des pays où le paludisme est endémique, selon l'OMS.
« Ce second vaccin pourrait vraiment combler l'immense fossé entre l'offre et la demande », a indiqué Matshidiso Moeti, directrice de l'OMS pour la région Afrique, où près d'un demi million d'enfants meurent chaque année de cette maladie transmise par les moustiques.
Production d'un vaccin africain
En 2021, l'Union africaine a inauguré des Partenariats pour la production de vaccins en Afrique (PAVM), initiative coordonnée par Africa CDC et qui a pour objectif de produire localement 60% des vaccins dont la région a besoin d'ici 2040.
Nicaise Ndembi, d'Africa CDC, a déclaré qu'il était indispensable de partager le savoir-faire avec les 30 entreprises recensées dans le cadre de cette initiative « pour que nous puissions produire les vaccins et les mettre à la disposition de nos populations ».
Une partie du nom du vaccin, Matrix-M, se rapporte à une technologie brevetée, mise au point par la société américaine de biotechnologie Novavax pour augmenter la réponse immunitaire.
SciDev.Net a demandé à la société Novavax le 5 octobre si elle serait disposée à partager la propriété intellectuelle du vaccin avec les entreprises recensées dans le cadre des Partenariats pour la production de ce vaccin en Afrique. Mais SciDev.Net n'avait toujours pas reçu de réponse au moment de la publication du présent article.
De même, la société pharmaceutique Serum Institute of India a aussi refusé de dire si elle était prête à partager la propriété intellectuelle du R21/Matrix-M avec les entreprises africaines. De son côté, l'université d'Oxford n'a pas non plus répondu à cette question.
Coût
Le vaccin devrait coûter entre 2 et 4 dollars la dose, soit plus que le budget quotidien des populations les plus pauvres au monde, qui en ont aussi le plus besoin. L'OMS indique que ce coût est comparable à celui de certains autres vaccins conçus pour les enfants.
D'après les données de l'ONU, plus de 400 millions de personnes en Afrique sub-saharienne vivent avec moins de 1,9 dollar par jour.
Pour Adrian J. F. Luty, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), « disposer de deux vaccins pour le paludisme est un pas en avant non-négligeable. Ce sont des outils qui se rajouteraient à ceux dont on dispose déjà, à savoir les ACT, les MILDA et la chimioprévention...... ce qui rendrait l'avenir dans cette lutte encore plus prometteur ».
Au moins 28 pays africains ont l'intention d'utiliser les vaccins contre le paludisme recommandés par l'OMS, dans le cadre de leurs programmes nationaux d'immunisation. L'Alliance du vaccin (GAVI) a donné son accord pour fournir un appui technique et financier au lancement des campagnes de vaccination dans 18 de ces pays.
Le vaccin RTS,S sera livré dans certains pays début 2024, tandis que le R21 devrait être disponible à la mi-2024, selon l'OMS. L'agence de l'ONU a souligné que ces deux vaccins sont sans risque et qu'ils protègent efficacement contre le paludisme chez les enfants.
100 millions de doses
Le Serum Institute, la société pharmaceutique indienne qui détient la licence d'exploitation du R21, a une capacité de production de 100 millions de doses par an. Elle indique qu'elle en produira deux fois plus au cours des deux années suivantes.
L'OMS a recommandé le R21 après avis du Conseil consultatif stratégique d'experts sur la vaccination (SAGE) et du Groupe consultatif sur la politique de lutte contre le paludisme (MPAG), à l'issue d'une réunion qui s'est tenue du 25 au 29 septembre.
Le vaccin est maintenant soumis à un processus de préqualification à l'OMS pour qu'il puisse être administré dans le monde entier, le cas échéant. Une fois cette autorisation obtenue, il pourra être mis à disposition par le biais des programmes de vaccination du GAVI, auxquels chaque pays peut prétendre.
Peter Baker, vice directeur de la politique mondiale de santé mondiale et responsable de la politique au Center for Global Development, a déclaré que le vaccin, s'il est sélectionné, pourrait « changer la donne » dans la lutte contre le paludisme.
« Toutefois, cela va dépendre des ressources financières des pays où le paludisme est endémique et de celles de leurs donateurs, finances qui sont mises à mal depuis l'épidémie de la COVID-19. »
« Chaque dollar investi dans le R21 est un dollar qui n'est pas alloué aux mesures de prévention du paludisme a priori plus économiques, la fourniture de moustiquaires par exemple », soutient-il.
Il a ajouté qu'à l'avenir, les directives de l'OMS « devront éviter une approche unique, indifférenciée, et privilégier au contraire un soutien aux stratégies locales », en fonction des besoins et des budgets spécifiques des pays.
Quant à Adrian J. F. Luty, il affirme dans un entretien avec SciDev.Net que « prévenir cette maladie dans des zones à transmission saisonnière est une chose, la prévenir au même niveau dans des zones à transmission pérenne, même avec un vaccin (R21) disponible en quantité importante, restera un défi énorme ».
« C'est néanmoins un défi qui serait surmontable, mais le surmonter demandera des efforts supplémentaires considérables un peu partout dans le monde », conclut le chercheur.