Au Niger, cela fera trois mois ce jeudi que les militaires ont renversé le président Bazoum et pris le pouvoir. Le 28 juillet, le général Abdourahamane Tiani accédait à la présidence du CNSP, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie. Mais très vite, une grande partie de la communauté internationale s'est élevée contre ce coup de force. Elle ne cesse de réclamer le retour à l'ordre constitutionnel, ce que refusent toujours les militaires. Résultat : le pays est depuis début août sous sanctions de la Cédéao, tandis que l'Europe et les États-Unis ont coupé leur aide.
91 jours après le coup d'État, plus le Niger s'enfonce dans la crise, plus la junte durcit le ton contre ceux qui contestent son autorité. Le jeudi 19 octobre, elle a accusé Mohamed Bazoum d'avoir tenté de s'évader, sans apporter de preuves tangibles. Plusieurs figures de l'ancien pouvoir sont derrière les barreaux, les partis politiques sont eux suspendus. Poursuivie notamment pour intelligence en relation avec une puissance étrangère, la journaliste Samira Sabou a été détenue 8 jours au secret début octobre.
Un raidissement qui s'explique sans doute par la dégradation de la situation économique. Le nouveau pouvoir a été contraint de réduire le budget national de 40 %, avec la crainte à terme de ne plus pouvoir payer les salaires des fonctionnaires. Conséquence : nombre de projets sont à l'arrêt, comme la construction du barrage de Kandadji. Le pays est en parallèle confronté à des difficultés d'approvisionnement en raison du blocus imposé par la Cédéao.
« La pénurie s'installe de plus en plus »
Face à cette situation, la junte tente de faire venir des vivres du Burkina Faso, non sans difficultés. « Avec la dégradation de la situation sécuritaire, ça devient de plus en plus compliqué d'escorter des camions, explique l'économiste Ibrahim Adamou Louché. Tout cela fait en sorte que ça commence à peser sur le stock de la population, analyse-t-il. Le stock local, les gens continuent à y puiser mais naturellement, il ne va pas durer éternellement. Et on sent de plus en plus que ça commence à devenir tendu. La pénurie s'installe de plus en plus dans de nombreux foyers. La situation se complique et les gens commencent véritablement à s'interroger sur les jours à venir ». À côté de cela, l'inflation, elle, ne cesse d'augmenter.
Pour tenter d'enrayer cette situation de crise, les militaires jouent plus que jamais sur la fibre nationaliste. Un fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie a récemment été lancé. Pour tenter de l'alimenter, les autorités n'hésitent pas à actionner tous les ressorts patriotiques, comme en témoigne ce reportage diffusé sur l'ORTN, la télévision nationale, dans lequel l'on voit le général Tiani accueillir « une jeune patriote (de 8 ans) » qui a elle-même, affirme l'ORTN, « volontairement » contribué à ce fonds « à hauteur de 825 francs CFA puisés de ses frais de récréation ».
En l'espace d'une petite semaine, selon le quotidien gouvernemental, 150 millions de francs CFA auraient été récoltés, soit un peu moins de 230 000 euros. Une goutte d'eau dans l'océan de dépenses du pays.
Vers une reprise des discussions avec la Cédéao ?
Face à cette situation alarmante, la junte commence à faire des appels du pied à la Cédéao. Dimanche, le général Mohamed Boubacar Toumba, ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, n'a pas écarté l'idée d'une reprise des discussions avec l'instance sous-régionale. « Nous nous sommes là pour faire le dialogue, a assuré le ministre au micro de notre correspondant Serge Daniel, que cela puisse vous surprendre, c'est peut-être nous qui sommes des hommes de dialogue, ce n'est plus la Cédéao qui a bandé les muscles et qui veut attaquer le Niger. Mais ce qui est certain, c'est qu'une telle entreprise serait périlleuse pour la Cédéao. Nous voulons plutôt avoir leur solidarité en venant combattre ce terrorisme parce qu'il ne faut pas qu'ils oublient que le Niger est un verrou. Aujourd'hui, créer le désordre au Niger, c'est aussi recevoir ces terroristes à leurs frontières. »
La junte est-elle réellement prête à revenir à la table des discussions ? Oui, assure le chercheur ivoirien Arthur Banga. « Je pense que des contacts ont été pris par le biais du Togo et par le biais de certains chefs traditionnels avec le Nigéria, avance-t-il avant d'ajouter : « La junte peut reprendre les négociations avec la Cédéao parce que même si aujourd'hui elle s'est un peu disqualifiée, elle reste quand même l'acteur incontournable. Même si c'est un acteur en panne d'inspirations et en panne de solutions. »
En panne de solutions car mise en difficulté par un Bola Tinubu (le président en exercice de la Cédéao) « englué dans ses problèmes internes » au Nigeria, décrypte une source diplomatique qui peste contre l'inaction d'Omar Touray, le président de la commission de l'organisation sous-régionale.
Pour reprendre la main, des chefs d'État de région militent pour l'organisation rapide d'un nouveau sommet. Les États-Unis, eux, entendent toujours peser dans les discussions, à en croire notre source. Et pour cause, Washington n'a nullement l'intention de quitter le pays, comme l'a assuré au Financial Times Judd Devermont, le directeur des Affaires africaines au conseil de sécurité nationale américain.