Ile Maurice: «Normal election campaigning» aux frais de l'État - Delit pénal ?

La plupart des commentaires relatifs au jugement du «Privy Council» sur l'affaire Dayal - qui est venu confirmer le jugement de la Cour suprême - se sont surtout focalisés sur «le chèque en blanc» que les juges auraient donné aux partis politiques par rapport aux promesses électorales, mais ils ont négligé une dimension importante ; celle des autres délits sous des lois autres que la «Representation of People Act».

Une semaine après le jugement du «Privy Council» dans l'affaire Dayal, quel regard jetez-vous sur ce jugement et ce qu'il représente pour l'avenir ?

Ce jugement ne sera pas forcément considéré comme un landmark judgment dans la mesure où il confirme une jurisprudence existante. En effet, la jurisprudence mauricienne sur la contestation des élections adopte une approche plutôt restrictive, qui elle-même repose sur un cadre légal très restrictif prévu dans la loi de 1958, qui est basée sur une loi britannique encore plus ancienne. Selon cette jurisprudence, on ne peut contester l'élection d'un député que si celui-ci s'est rendu coupable de mauvaises pratiques telles qu'elles sont définies dans la loi de 1958. Celui ou celle qui conteste l'élection ne peut invoquer les pratiques ou les abus qui relèvent du parti auquel appartient le député, même si de surcroît, ce parti est au pouvoir pendant la campagne électorale et contrôle l'appareil d'État.

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Est-ce que cela veut dire que tout abus de l'appareil d'État par un parti au pouvoir pendant le déroulement d'une campagne électorale ne peut donner lieu à des sanctions ?

Ces abus de la part d'un parti politique ou d'un gouvernement ne peuvent pas nécessairement conduire à l'invalidation d'une élection dans le cadre d'une pétition électorale logée sous l'actuelle Representation of People Act. Mais la question qui se pose, c'est est-ce que ces abus peuvent faire l'objet de contestation aux termes d'autres dispositions légales, de codes de conduite ou encore de règles d'éthique qui ont pour consé- quence que les élections n'étaient pas free, fair and credible ? En ce qui concerne les dispositions légales, il me semble qu'on ait jusqu'ici occulté une dimension importante de ce qui a été dit par la Cour suprême et repris par le Privy Council. En effet, les juges ont estimé que les allégations relèvent en fait de «normal election campaigning».

Est-ce pour cela qu'elles ne peuvent justifier l'annulation de l'élection ?

Oui, pas sous les dispositions de la Representation of People Act qui sont très précises et plutôt limitatives. Mais dans le cas de la contestation des élections de la circonscription no 8 et en particulier de celui du député Pravind Jugnauth, ce finding des juges a toute son importance.

Il a été dit que puisque le Parlement n'avait pas encore été dissous, on n'était pas encore en campagne et donc, ce qui régit une campagne électorale ne pouvait s'appliquer. Or les juges ont estimé que les déclarations de Jugnauth relevaient de «normal election campaigning». Il faut souligner que c'est lui qui détenait la prérogative de dissoudre le Parlement et à moins qu'il ait décidé sur un coup de tête quelques jours plus tard de procéder à la dissolution, il savait que les élections étaient imminentes quand il a commencé son «normal election campaigning».

**Mais les juges ont dit que des promesses électorales se font dans le cours normal d'une campagne électorale et ils n'ont rien trouvé de mal... **

Oui, mais si le discours de Jugnauth le 1er octobre 2019 était un discours politique au cours duquel il avait fait des promesses qui sont faites dans le cadre d'une campagne électorale, comme l'ont déclaré les juges, alors la fête du 1er octobre était l'occasion pour celui qui allait dissoudre le Parlement quelques jours plus tard, soit le 6 octobre, et qui se porterait candidat aux prochaines élections de débuter sa campagne.

Donc, il y a eu début de campagne électorale et un discours éminemment politique qui contenait des promesses faites dans le cadre de «normal election campaigning». Or, cette fonction avait été organisée par le gouvernement. Des fonds publics ont été utilisés pour l'organisation de cette cérémonie. Ce sont des fonctionnaires qui étaient responsables de l'organisation de cet événement et qui ont géré tout le déroulement de cette manifestation. Les boissons et les repas servis ont selon toute probabilité été fournis par l'État.

On ne peut donc conclure que tout cela veut dire que ce qui, aux yeux de la justice, faisait partie d'une campagne électorale a été financé par les contribuables.

Il faut se rappeler qu'en 1975, la justice indienne avait invalidé l'élection de la toute-puissante Première ministre Indira Gandhi au motif que des fonctionnaires avaient été utilisés pour l'organisation de sa campagne électorale.

Quelles seraient donc les conséquences possibles de ce constat ?

Il n'appartenait pas aux juges de décider de cette question car ils devaient statuer sur une demande faite par le biais d'une pétition électorale. Mais d'autres autorités pourraient avoir le pouvoir, voire le devoir, d'examiner si l'utilisation de fonds publics pour un événement qui faisait partie de ce qui se fait normalement dans une campagne électorale, et où le clou de l'événement était un discours de campagne, donc un discours politique que les juges ont estimé comme faisant partie d'une campagne électorale, constitue une ou plusieurs infractions pénales.

Le Public Accounts Committee, le directeur de l'Audit et l'ICAC sont-ils habilités ou ont-ils l'obligation d'enquêter et de déterminer s'il y a eu abus de fonds publics ou misuse of public funds ? Est-ce qu'il s'agit là d'un cas de public official making use of his office or position for gratification aux termes de l'article 7 de la Prevention of Corruption Act ? Dans un pays où un président d'un corps paraétatique est condamné au pénal parce qu'il a autorisé un marchand de sorbet à opérer sur une plage alors qu'il détenait un permis pour travailler ailleurs, est-ce qu'une éventuelle mauvaise utilisation des fonds publics à des fins politiques devrait être ignorée par les autorités concernées ?

Mais justement est-ce que tout ça n'a pas déjà été jugé et décidé ?

Non, les juges en première instance et en appel devaient se prononcer sur des allégations faites par rapport au non-respect de certaines dispositions de la loi électorale qui aurait pu entraîner l'annulation de l'élection d'un député. Ils ont trouvé que les éléments de preuve avancés par le pétitionnaire n'étaient pas suffisants pour établir le non-respect de ces dispositions de la loi électorale. Mais la question que je me pose, c'est de savoir si d'autres autorités ont le devoir d'enquêter, à la lumière de ce qui a été dit par le judiciaire, sur le non-respect de dispositions prévues sous d'autres lois ou règles de conduite. Il ne s'agit pas pour ces autorités de déterminer s'il y a eu des infractions qui conduisent à l'invalidation d'une élection, mais qui constituent des infractions à d'autres règles qui régissent l'utilisation de fonds publics.

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