Vingt-trois ans après l'adoption d'une résolution historique du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, leur présence fait toujours cruellement défaut aux tables de négociation, a déclaré mercredi le Secrétaire général António Guterres.
Lors du débat annuel du Conseil sur la résolution 1325, il a appelé les pays à « combler d'urgence le fossé entre la rhétorique et la réalité » par des actions concrètes dans les domaines de la participation, du financement et du leadership.
« Sur les 18 accords de paix conclus l'année dernière, un seul a été signé par un représentant d'un groupe ou d'une organisation de femmes. Les femmes ne représentaient également que 16 % des négociateurs ou des délégués dans les processus de paix menés ou co-guidés par les Nations Unies », a ajouté le chef de l'ONU.
L'impact de la guerre sur les femmes
M. Guterres a souligné que les contributions des femmes sont nécessaires dans un monde qui est au bord du précipice en raison des conflits qui font rage, de l'escalade des tensions, des coups d'État, de la montée de l'autoritarisme, du chaos climatique, de la menace nucléaire et d'autres crises.
« Là où les guerres font rage, les femmes souffrent. Là où règnent l'autoritarisme et l'insécurité, les droits des femmes et des filles sont menacés. Nous le constatons partout dans le monde », a-t-il affirmé, évoquant les situations en Afghanistan, en Haïti, au Soudan, en Ukraine et la récente escalade au Moyen-Orient.
« Les femmes et les filles font partie des nombreuses victimes des atrocités brutales commises par le Hamas », a-t-il déclaré devant une salle du Conseil pleine à craquer. « Les femmes et les enfants représentent plus de la moitié des victimes des bombardements incessants sur Gaza. Des dizaines de milliers de femmes enceintes luttent désespérément pour accéder aux soins de santé essentiels ».
Exclusion et ras-le-bol
M. Guterres a demandé que le programme pour les femmes, la paix et la sécurité soit pleinement mis en oeuvre dès maintenant « parce que les femmes en ont assez d'être tenues à l'écart des décisions qui façonnent leur vie ».
Les femmes réclament des actions concrètes, a-t-il poursuivi, la première étape étant d'assurer leur présence dans les pourparlers de paix. Il a encouragé les gouvernements qui soutiennent la médiation des conflits à fixer des objectifs ambitieux pour la présence des femmes dans les équipes de négociation.
Pour ce faire, le chef de l'ONU a également souligné la nécessité de « mettre l'argent sur la table », en déclarant que « si nous voulons être aux côtés des femmes qui impulsent le changement, si nous voulons soutenir les femmes qui endurent les conflits, si nous voulons éliminer les obstacles à la participation et si nous voulons que les organisations de femmes obtiennent des résultats, nous devons payer pour cela ».
© UNICEF/Ahmed Elfatih MohamdeeUne experte de l'UNICEF sur l'exploitation et les abus sexuels informe des personnes déplacées à un point de rassemblement à Wad Madani, dans le centre-est du Soudan.Financement et représentation équitable
Il a exhorté les pays à allouer 15 % de leur aide au développement à l'étranger à l'égalité des sexes, et un minimum de 1% aux organisations de femmes qui se mobilisent pour la paix. 15% du financement de la médiation doit également soutenir la participation des femmes.
Les gouvernements devraient également soutenir l'objectif des Nations Unies de réunir 300 millions de dollars d'ici à 2025 pour le Fonds pour la paix et l'aide humanitaire des femmes par le biais de sa campagne « Investir dans les femmes ».
Enfin, les femmes doivent bénéficier d'une participation pleine, égale et significative à tous les niveaux de la prise de décision en matière de paix et de sécurité, ainsi que dans la vie politique et publique.
« Cela signifie qu'elles doivent être équitablement représentées au sein des gouvernements, des cabinets et des parlements nationaux et locaux », a-t-il déclaré.
M. Guterres a également appelé à l'adoption d'une « législation solide et complète » pour lutter contre la violence à l'égard des femmes, que ce soit en ligne ou dans la vie réelle, et pour mettre fin à l'impunité dont jouissent les auteurs de ces actes.
Sima Bahous, la Directrice exécutive d'ONU Femmes, a présenté le dernier rapport du Secrétaire général sur la résolution 1325, qui révèle que l'année dernière, 600 millions de femmes et de filles vivaient dans des pays touchés par un conflit, soit une augmentation de 50% depuis 2017.
Crise au Moyen-Orient
Elle a également mis l'accent sur la crise actuelle en Israël et à Gaza, où des femmes et des enfants des deux camps ont été tués.
De nombreuses femmes et de nombreux enfants figurent parmi les plus de 1.400 Israéliens tués par le Hamas et des femmes font partie des quelque 200 otages capturés par les militants palestiniens. Plus de 6.000 personnes ont été tuées à Gaza, dont 67 % de femmes et d'enfants.
ONU Femmes estime qu'il y a maintenant des centaines de nouveaux ménages dirigés par des femmes à Gaza, tandis que plus de 690.000 femmes et filles ont été déplacées.
« Mais permettez-moi d'être claire : tout acte de violence à l'encontre des femmes et des filles, y compris la violence sexuelle, est condamné sans équivoque, indépendamment de la nationalité, de l'identité, de la race ou de la religion des victimes », a déclaré Mme Bahous.
Victoires et avertissements
Le rapport de l'ONU fait état d'un déclin de la participation significative des femmes dans tous les domaines de la paix, mais il fournit également des exemples de réussite, en particulier au niveau local.
Mme Bahous a ainsi énuméré des exemples de réalisations féminines, notamment la conduite de négociations transfrontalières fructueuses pour garantir l'accès à l'eau et à l'aide humanitaire, l'obtention de la libération de prisonniers politiques, la prévention de conflits tribaux non résolus et la médiation de cessez-le-feu locaux.
La participation des femmes aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies a également augmenté au cours de l'année écoulée. Ces Casques bleues ont mis en place des tribunaux mobiles pour condamner les auteurs de violences sexistes, ont contribué à la libération de femmes et de jeunes filles enlevées par des groupes armés et ont accompli d'autres réalisations.
« Ces exemples devraient nous inspirer », a-t-elle déclaré, tout en avertissant qu'à mesure que les opérations de paix se retirent des pays, la capacité des Nations Unies à surveiller et à protéger les droits des femmes devient plus limitée.
Une exposition interactive montée à l'extérieur du siège des Nations Unies à New York donne vie au sujet de la réunion du Conseil de sécurité.
Les 50 grands portraits de femmes qui ont participé à des opérations de maintien et de consolidation de la paix rappellent avec force qu'il est urgent d'agir davantage pour que les femmes participent aux efforts visant à mettre fin aux conflits et à instaurer une paix durable.
Mme Bahous a mis en exergue 5 propositions d'action concrètes afin de faire du débat public « un jalon, et non une simple réitération ».
Pas de femmes, pas de paix
La Présidente du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a également informé le Conseil, déclarant que les développements au Moyen-Orient et ailleurs étaient « un rappel choquant de la rapidité avec laquelle les conditions humanitaires peuvent se détériorer ».
Mirjana Spoljaric Egger a exhorté les belligérants à « conserver un minimum d'humanité » et à respecter le droit international humanitaire, qui garantit une protection égale aux civils, aux combattants, aux prisonniers de guerre et aux personnes blessées au cours des hostilités.
Elle a attiré l'attention sur les aspects sexospécifiques des conflits, un sujet qu'elle avait déjà abordé lors d'une précédente intervention devant le Conseil, notant que « de nombreuses violations à l'encontre des femmes ne sont pas documentées et continuent d'être considérées comme un effet secondaire inévitable de la guerre ».
Elle a demandé que des mesures soient prises pour prévenir et combattre les violences sexuelles, promouvoir l'obligation de rendre des comptes et veiller à ce qu'elles soient toujours considérées comme des crimes de guerre au regard du droit international.
Le CICR travaille également avec des experts juridiques et militaires pour comprendre comment les opérations militaires affectent différemment les femmes et les filles, car ce sont souvent elles qui s'occupent des enfants, des malades et des personnes âgées, ce qui affecte leur capacité à fuir le danger.
Enfin, la Croix-Rouge « constate chaque jour » que la participation significative des femmes à l'économie et à la société profite à l'ensemble des communautés et améliore les perspectives de paix.
« Il y a cent étapes vers la paix, et les premières sont toujours humanitaires », a déclaré Mme Spoljaric Egger. « Sans la contribution directe des femmes, sans la reconnaissance de l'impact sexospécifique des conflits armés sur les femmes et sans la reconnaissance du rôle des femmes dans tous les aspects de leur société, les réponses à la paix ne seront pas à la hauteur et ne permettront donc pas d'atteindre la vérité, la stabilité et la sécurité ».
L'espoir de la Colombie
La diplomate brésilienne Glivânia Maria de Oliveira a apporté des nouvelles positives de Colombie, où les femmes ont participé aux négociations entre le gouvernement et le plus grand groupe rebelle du pays, l'ELN, qui ont abouti à un cessez-le-feu bilatéral de six mois à partir du mois d'août.
Mme de Oliveira a représenté son pays lors des pourparlers, notant que « davantage de femmes étaient également présentes en tant que constructrices et promotrices de la paix ».
Elle a rappelé que les négociations antérieures entre les autorités colombiennes et le groupe rebelle des FARC, qui ont mis fin à quelque 50 ans de conflit, comportaient également une « dimension de genre » qui s'est reflétée dans l'accord de paix de 2016.
En conclusion, elle a rendu hommage « aux femmes colombiennes courageuses qui ont affronté les horreurs de la violence, de la douleur et de la perte », ainsi qu'aux femmes déléguées à l'Assemblée générale des Nations Unies.