Madagascar: Présomption au Beau chez les architectes

J'ai l'intime conviction que l'éducation au Beau prépare à un réflexe au Bien. Dans leur domaine, les architectes, censément avoir étudié l'histoire de l'art, bénéficient encore de cette présomption de beauté. L'Ordre des Architectes Malagasy célèbre ces jours-ci ses trente ans d'existence : cette longévité tranche cependant avec l'an zéro d'une école d'architecture reconnue qui n'a toujours pas vu le jour.

Dans une Chronique du 4 décembre 2012, je dénonçais toutes les formes de pollution : «La multiplication des constructions illicites dans Antananarivo pollue le paysage. Bien sûr, on ne pouvait pas rester indéfiniment et uniquement avec nos chères «Trano Gasy», mais (au moins) dans la partie historique de la Ville, les quartiers collinaires, une réelle volonté politique pouvait encore imposer un standard qui s'y conforme, plus ou moins». C'est là, l'ouverture ménagée à la créativité des architectes.

Si l'architecte tient un grand rôle dans une construction selon les règles de l'art, que penser, par contre quand l'architecte accepte de construire dans une zone non-constructible : les abords remblayés du bypass, par exemple. Que dire de l'architecte qui accepte de «redessiner» une construction installée, ponctuation acquise d'un paysage architectural et témoin de l'histoire urbanistique d'une ville : la façade de la Poste d'Antaninarenina, par exemple. Que comprendre de l'architecte qui accepte de «cacher» la perspective, tellement familière qu'elle en devient identitaire, d'un monument historique : l'immeuble commercial qui jouxte, depuis 2001, le temple bientôt bicentenaire d'Ambatonakanga, par exemple.

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À propos du complexe administratif d'Anosy-Ampefiloha, si le choix de remblayer une plaine inondable sera toujours contestable, il ne s'en dégage pas moins un parti-pris harmonieux de cet ensemble autour de l'Hôpital Ravoahangy-Andrianavalona, du Palais de Justice, de l'actuel Ministère des Affaires étrangères (qui devait être le siège du Sénat), de l'immeuble circulaire du Ministère de l'Éducation, de l'immeuble «patte d'éléphant». On devine une volonté de cohérence, un dessein/dessin de bâtisseur.

Il est de perspectives architecturales que ne devraient pas polluer des annexes rapportés. Comme ces bricolages autour du Palais de Justice. On atteinte, là, à la visibilité monumentale, qui fait toute la majesté de cet immeuble.

Dans une autre Chronique du 22 août 2019, je vantais cet art de la mise en perspective : «Ménager de la profondeur à l'espace, théâtralise avantageusement le paysage. C'est la fonction de la large avenue qui s'ouvre devant la gare de Soarano. C'est le rôle de l'avenue qui, si elle était libérée, dégagerait la belle perspective sur le palais d'Ambohitsorohitra depuis le terre-plein d'Antaninarenina. C'est l'utilité de la longue allée qui débouche sur la résidence présidentielle à Mantasoa. C'est l'objectif de l'interminable ligne droite qui laisse loisir d'admirer le palais d'Iavoloha au-delà de son corps de garde».

Que l'on agrandisse intempestivement des temples et églises témoins du 19ème siècle, et c'est un surcroît de fidèles qu'on n'éduquera ni à l'histoire ni à l'architecture. Sur les photos anciennes, l'actuel immeuble de la Haute Cour Constitutionnelle, qui fut l'hôtel du Secrétaire Général de l'administration coloniale, trônait dans la solitude altière de sa forte identité architecturale. Depuis, on lui a adjoint cette quelconque salle d'audience, tandis que l'annexe, très utilitaire, qui fait face au bâtiment du Faritany achève de gâcher la perspective. Que de nouvelles constructions ministérielles qui se soucient bien peu du Beau : faire utilitaire et fonctionnel, les deux désormais maîtres-maux d'ouvrage.

Énième redite : L'État administre, il lui a fallu des administrateurs civils. L'État finance, il lui a fallu des inspecteurs du Trésor. L'État construit, il lui faudrait un corps d'architectes. L'État a un patrimoine, il lui faudrait des inspecteurs des Beaux-Arts. L'État veille plus généralement à la Culture majuscule, il lui faudrait spécifiquement des administrateurs culturels.

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