Entre Etats africains et mouvements sportifs nationaux, les conflits sont fréquents. C'est le cas du Sénégal qui connaît des relations conflictuelles entre le mouvement sportif et les pouvoirs publics qui délèguent leurs pouvoirs.
La presse a rapporté le cas du conflit entre l'Etat et la Federation sénégalaise de football en 2006, poussant la Fifa a proposé un comité adhoc chargé de normaliser les relations entre ces deux entités. Elle a également fait échos de la dissolution de la Fédération de basketball en 2013 suite à des fraudes sur l'âge des joueurs. Il y a eu en outre le cas des difficultés liées à la répartition de subventions de l'Etat aux fédérations.
Les causes de ces conflits sont diverses. Il s'agit principalement de celle liées à l'omniprésence des pouvoirs publics dans la gouvernance du mouvement sportif et à la dépendance financière très forte des fédérations aux financements publics.
Nos recherches portent sur la gouvernance du sport, le droit et la sociologie du sport. Nous avons réalisé une étude sur ces conflits qui minent le sport sénégalais. Notre étude fait le diagnostic de ces conflits et propose quelques solutions.
Immixtion de l'Etat dans les affaires fédérales
L'immixtion de l'État dans les affaires fédérales se manifeste généralement à travers le principe de cogestion prévu par la loi portant charte du sport et la question de la cooptation de certains membres des fédérations par les pouvoirs publics.
La cogestion implique une délégation de pouvoirs de l'État aux fédérations. La délégation de pouvoir est un titre d'accès à la mission de service public. Elle ne dessaisit pas l'autorité publique. Ce faisant, la responsabilité de la pratique sportive relève conjointement de l'État, représenté par le ministère des Sports, et du mouvement sportif national. Ce modèle de gestion partagée entre le mouvement sportif et l'Etat souffre souvent de l'aspiration du mouvement sportif à garder son autonomie.
La cooptation est un mode de recrutement consistant à désigner des membres des instances dirigeantes d'une association par une voie autre que l'élection. L'effet apparent recherché est d'assurer une plus grande efficacité et une indépendance de la structure en raison de la qualité particulière des personnes choisies. Par contre, l'effet latent attendu de la cooptation est de domestiquer la structure par la fidélité de celle-ci aux pouvoirs publics.
La cooptation et la cogestion sont contestées par les acteurs du mouvement sportif. De l'avis des acteurs du mouvement sportif, elles remettent en question l'autonomie de celui-ci. Il en est de même des questions financières.
Dépendance financière des fédérations
Le financement soulève des oppositions liées à des enjeux de transparence, de dépendance des fédérations des fonds publics et au remplacement du fonds de relance par les conventions d'objectifs. Le fonds de relance alloué annuellement avait été créé en 1978. Ce fonds permettait à l'Etat, à travers son budget, de financer les fédérations et de contribuer à la formation des cadres, des sportifs, l'achat de matériels, etc.
Suite à la campagne de la Coupe du monde de football en 2002, où le Sénégal était parvenu à se hisser en quart de finale, un audit de l'Etat avait entraîné l'arrestation de plusieurs dirigeants sportifs. L'Etat était devenu plus regardant sur les subventions qu'il accordait.
En 2008, le fonds de relance a été supprimé avec l'avènement de Daouda Faye comme ministre des Sports. La signature de conventions d'objectifs a conditionné l'obtention de subventions pour les fédérations.
Or, la suppression du fonds de relance au profit des conventions d'objectifs n'est pas acceptée par les acteurs du sport même si le nouveau système recèle des avantages certains en termes de transparence et d'efficacité puisque les financements accordés par l'Etat aux fédérations dépendent d'objectifs définis à l'avance.
Proximité conflictuelle
Il convient de noter que l'État et les fédérations n'ont pas les mêmes représentations, les mêmes croyances. L'État, s'adossant au principe de cogestion déclinée dans sa charte du sport de 1984, ne veut pas être laissé à la marge de la gestion des affaires sportives. Ce qu'il manifeste dans le suivi des affaires sportives à travers le ministère des Sports (qui a délégué ces activités aux fédérations).
A travers les politiques sportives qu'il élabore, le ministère imprime des orientations qui peuvent se traduire par une forte immixtion dans les affaires fédérales. Ce qui entre souvent en opposition avec le principe d'autonomie dans ces fédérations. Deux logiques, deux systèmes de représentations s'opposent dès lors et ne peuvent trouver solutions qu'à travers des arrangements précaires.
La cooptation qui est imposée par les pouvoirs publics, refusée par la Fédération de football par exemple, est la manifestation la plus ostensible de cet état de fait. Les autres fédérations du fait de leur dépendance financière très forte de l'Etat restent soumises au principe de cooptation.
Au plan organisationnel, les deux organisations sont différentes. L'État est une personne morale de droit public avec pour mission principale de prendre en charge le service public du sport. Il passe par le moyen de la délégation de pouvoirs pour confier la gestion et le développement du sport au mouvement sportif. Mais dans le même temps, il garde la prérogative régalienne d'élaboration de la politique sportive.
Les fédérations, par contre, sont des personnes morales de droit privé disposant d'une autonomie. En cas de difficulté de collaboration avec l'État, ce dernier peut avoir recours au retrait de la délégation de pouvoirs comme cela été le cas en 2013 dans le basketball, suite à la fraude sur l'âge de certaines joueuses sénégalaises.
Néanmoins, ce retrait de la délégation et la mise en place d'un comité de normalisation va à l'encontre de l'action du mouvement sportif international qui peut, s'il le juge nécessaire, sanctionner l'État qui aurait tendance à s'immiscer dans les affaires fédérales.
Le mouvement sportif n'a pas atteint un degré de professionnalisme suffisant pour diversifier ses sources de financement. Il dépend donc largement des pouvoirs publics à travers les subventions et les infrastructures que ces derniers mettent à sa disposition. Ce qui crée des points de ruptures puisqu'il n'est pas possible de réclamer son autonomie alors qu'au même moment on n'arrive pas à assurer son autofinancement.
Réseaux de connivence
Au niveau des réseaux, les fédérations s'insèrent dans le mouvement sportif national, puis international en opposition à l'État, garant des affaires nationales internes.
En réalité, la cogestion et le principe de cooptation, au-delà des questions d'autonomie du mouvement sportif, ont fini d'installer des réseaux très étroits, de connivence, entre les responsables du ministère des Sports et les dirigeants sportifs. Ce qui favorise des actions complices qui ne sont pas forcément dans l'intérêt du développement du sport, mais au service d'intérêts personnels.
De plus, le personnel du mouvement sportif, qui n'a pas forcément une formation académique, est de plus en plus présent au ministère des Sports. Autrement dit, les dirigeants du mouvement sportif qui ont leurs systèmes spécifiques de pensée et d'action parviennent à se hisser à des niveaux de responsabilité élevés au ministère des Sports. Ce qui ne facilite pas une action efficace des pouvoirs publics sur les fédérations délégataires. Cela peut certes éteindre les sources de tensions et de contradictions, mais, ce n'est pas forcément efficace pour le débat contradictoire à même de soutenir la performance sportive.
Que faire?
Evidemment, en s'appuyant sur le modèle mandat-mandataire au plan formel, il est possible de trouver des oppositions puisque l'État délègue des pouvoirs au mouvement sportif. Au-delà de cette dimension, l'existence d'un système de coordination trans-organisationnel permet de dépasser des oppositions, souhaitables, puisque d'elles dépendent le contrôle public et les possibilités de performance sportive.
En conséquence, à la place de hiérarchie ou de relations mandats-mandataires, des arrangements institutionnels se créent à travers des réseaux qui parviennent à dépasser les points de rupture.
Ces réseaux trans-institutionnels entre le ministère des Sports et les fédérations montrent que les parties prenantes dans lesdits réseaux sont celles-là qui participent aux compétitions sportives. Aussi, dans ce cadre, écartent-elles les autres parties intéressées par les activités sportives, et parviennent, de ce fait, à atténuer les conflits entre elles-mêmes.
En conséquence, selon nous, la forte immixtion de l'État dans les affaires fédérales et le principe de cooptation dans le choix des dirigeants sportifs doivent connaître leur épilogue car ils conditionnent l'effectivité de l'autonomie du mouvement sportif sénégalais.
Source de tensions, le financement du mouvement sportif doit évoluer et tendre vers des modèles d'autofinancement adossés au spectacle sportif ou générés par les organisations sportives elles-mêmes. Le financement public impose des contreparties et est limité.
Enfin, les réseaux trans-organisationnels, qui permettent aux acteurs du mouvement sportif d'être au ministère des Sports, créent des connivences et des complicités qui limitent les conflits.
Djibril Diouf, enseignant-chercheur, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Cheikh Tidiane Tine, enseignant-chercheur, Université Cheikh Anta Diop de Dakar