Entre «bombe» écologique, catastrophe sanitaire et terreau à la fois de désespoir et d'«espoir» suscité par le programme de restructuration/modernisation de Mbeubeuss, annoncé par le président de la République, Macky Sall, au lancement du Projet de promotion de la gestion intégrée et de l'économie des déchets solides (PROMOGED), le jeudi 24 juin 2021, les populations riveraines de ce qu'il reste du lac-point de chutes des ordures de la capitale sénégalaise endurent le martyre et attendent d'être relogées.
Seulement, l'espoir des habitants cohabitant avec cette décharge géante, située dans la commune de Malika, en banlieue de Dakar, semble s'amenuiser car ils ne trouvent plus d'interlocuteurs. Pendant ce temps, les reptiles et les eaux polluées continuent d'envahir leurs habitations.
Mbeubeuss, la grande décharge des ordures ménagères de la capitale sénégalaise, nichée dans la commune de Malika, en banlieue de Dakar, a fini par céder son nom au cours d'eau voisin, appelé aujourd'hui «Lac Mbeubeuss». Sa proximité avec la plateforme semble expliquer son degré de pollution très élevé. Les fortes précipitations enregistrées et les rejets des eaux usées, notamment par le canal dans le lac, sont à l'origine du sinistre des populations de Thodd Ba, Diamalaye 2 et Extension, Darou Salam. A cela s'ajoutent «les eaux des trois bassins reliés au canal. Alors qu'ils sont faits pour conserver de l'eau», déplore un riverain.
Bref, coincée sur une superficie de plus de 200 hectares à la périphérie de Dakar, sur le lac du même nom, la décharge de Mbeubeuss suscite le désespoir des populations riveraines, leur vie étant polluée par les eaux usées, les odeurs pestilentielles et les fumées qui se dégagent du méthane qui brûle en tout temps, ainsi que de l'insécurité... Cependant, l'espoir est aussi nourri, même si, en plus d'une large communauté de milliers de récupérateurs communément appelés «bujumanes», les populations attendent toujours l'effectivité du programme de restructuration/modernisation de Mbeubeuss, promis par le président de la République, Macky Sall, lors du lancement du Projet de promotion de la gestion intégrée et de l'économie des déchets solides (PROMOGED), le jeudi 24 juin 2021.
Et le quartier Thodd Ba, qui est un îlot replié sur lui-même, en est un exemple. Les maisons et les terrains nus sont engloutis par les eaux usées. Les fumeurs de cannabis squattent les lieux. La Police effectue des descentes inopinées, à la recherche des délinquants. A notre passage, une camionnette fourgon de la Police s'est enlisée dans la boue. «Les jeunes viennent ici pour fumer de l'herbe prohibé. Mais ils n'ont jamais agressé des gens, nous les résidents et ceux qui travaillent sur ce site, les récupérateurs, appelés "bujumanes" (recycleurs), un mot à connotation péjorative», en langue locale wolof pour désigner ces «fouineurs» dans les ordures, explique-t-on.
TOUT EST CORVEE ET MISERE A THODD, UN QUARTIER DE MBEUBEUSS OU LES GENS VIVOTENT
Le sinistre et l'insécurité ont beaucoup pesé sur les activités et la vie des résidents. Tout est corvée et misère à Thodd. Dans ce quartier, à l'image de beaucoup de zones du pays, les gens vivotent. Mais la situation s'est exacerbée avec les inondations enregistrées ces dernières années. «L'arrivée des pluies n'a pas arrangé les choses, les activités sont au ralenti. Les prix des matières ont subi une baisse considérable», a révélé un recycleur.
Les filles du Daara, l'école coranique (internat) de la localité, triment dur pour se procurer de l'eau. L'unique puits où s'approvisionnent les résidents est menacé par les eaux polluées qui remontent en surface. «Il faut voir ces filles tous les matins venir chercher le liquide précieux. Vous ne pouvez qu'être consterné. Le chemin est boueux. Elles se déplacent, munies de leurs récipients, avec beaucoup de difficultés. En plus, il y a des serpents», témoigne Gana Fall, un membre du Collectif «And Aar Sunu Gox» dont la maison se situe tout près du puits.
Le tapis herbacé très fourni empiète sur le lac. Des bâtiments en ruines sont le lit des tas d'immondices et des reptiles. Ils offrent un décor piteux. Les dégâts sont considérables. «Ces terres, nous les avons obtenus après de durs labeurs. Aujourd'hui, les eaux ont envahi littéralement toutes nos maisons», déplorent les habitants. Sur les berges, les champs de légumes côtoient les habitations.
SUSPICIONS AUTOUR DE L'IDENTIFICATION, RECENSEMENT ET DEDOMMAGEMENT DES SINISTRES
Quitter la zone inondée, cela n'agrée pas ces pères de familles nombreuses. Dans certains ménages, on peut dénombrer 12 personnes. «Nous n'avons pas où aller. Nous avons tout perdu. Allez louer une maison quelque part en ville, c'est impossible ! La caution que le bailleur vous demande de payer avant de vous installer, c'est au minimum 600.000 FCFA. Nous n'avons pas ces moyens financiers. La mesure pour dédommager les victimes est discriminatoire. Les gens ont préféré nous laisser sombrer, l'écrasante majorité des habitants est dans la misère», a déclaré un sinistré, la gorge nouée.
«Parmi nous, les plus chanceux ont bénéficié d'un dédommagement de PROMOGED. Certains ont été contraints de quitter les lieux. Car ils ne pouvaient plus tenir face à la furie des eaux», a déclaré un habitant de Diamalaye 2.
Jusqu'à nos jours les populations attendent désespérément un soutien des pouvoirs publics, en vain. Pourtant, «lorsque nous avons bouché la canalisation, le ministre auprès du ministre de l'Eau et de l'Assainissement, chargé de la Prévention et de la Gestion des Inondations, Issakha Diop, en compagnie des autorités locales, nous a rencontrés pour nous supplier qu'on accepte de déboucher le canal. Nous avons cédé. Depuis lors, personne n'est venu s'enquérir de l'état de la situation». Auparavant, «il n'y avait jamais d'inondation ici, à Malika», a déclaré le président du collectif, par ailleurs maçon, Sangue Mbacké. L'association «And Aar Sunu Gox» compte 200 membres. Les victimes sont tous des démunis.
PRESSION FONCIERE ET PRATIQUE DU MARAICAGE MALGRE L'INTERDICTION DE L'AGRICULTURE SUR PLACE, DU FAIT DE LA POLLUTION
Sur les berges du lac, les champs maraîchers côtoient les habitations. Le degré de pollution du cours d'eau reste encore méconnu. Les prélèvements effectués, après analyse, montrent qu'une agriculture bio ne pouvait être pratiquée. Le risque de contamination des produits étant réel, ces produits maraîchers constituent un véritable danger dans nos plats. Cette étude avait été faite dans le cadre du projet.
La pression foncière est aussi une réalité dans ce quartier flottant. Sory Ba, délégué de quartier confirme. Selon ses propres déclarations, «les gens m'ont confié plus de neufs terrains à vendre. Mon terrain, c'est PROMOGED qui l'a rasé. J'ai été dédommagé à hauteur de 33 millions de FCFA». Ces parcelles qui attendent d'être vendues sont submergées par les eaux du lac. En clair, il n'est plus possible d'habiter à cet endroit.
DAROU SALAM 2 ET EXTENSION: INSECURITE, INSALUBRITE ET HANTISE DES SERPENTS EN DIVAGATION
Autre quartier, autres réalités en plus de celles connues à Todd Ba. A Darou Salam, Extension, c'est le règne de l'insécurité et l'insalubrité. Les serpents : boas, couleuvres, entre autres, sont légion. Le réseau électrique, malgré son extension, laisse à désirer à cause de l'inaccessibilité des lieux. Idem pour la Police, témoignent les résidents de Darou Salam 2 qui craignent les morsures de serpents ou de recevoir des coups des gueules tapées. La hantise des reptiles sème la psychose au sein de la population. Un mur de clôture, c'est tout ce que demandent les pères de famille, pour se protéger contre ces reptiles dangereux et venimeux. Pis, les agresseurs et voleurs, après avoir commis leurs forfaits, trouvent refuge dans ce marécage
Sexagénaire, Laity Ka, père d'une famille nombreuse (12 enfants), nous présente par devers lui deux actes de cession : l'un appartenant à son épouse, l'autre à lui-même. «Pour prouver : voici les papiers qui m'ont permis d'acquérir ces terrains. Je ne bougerai pas d'ici, sans être rétabli dans mes droits. Nous avons fait l'objet de menaces de la part des autorités, quand nous avions voulu construire la clôture. Nos familles vivent dans l'insécurité totale, à cause des serpents et autres reptiles en divagation.» M. Ka révèle que «les Sapeurs-pompiers sont intervenus ici pour abattre de gros serpents. Environ 5 ont été abattus».
Au garage d'une entreprise de la place qui opère dans le débouchage et la réparation des canalisations endommagées, sous-traitant avec l'Office national de l'assainissement du Sénégal (ONAS), les employés nous ont montré des images des reptiles, filmés à l'aide de leurs téléphones portables. Ils ont ainsi confirmé la présence des serpents.
LES POPULATIONS ENTRE INONDATIONS, REJETS DE LA NAPPE PHREATIQUE ET DEBORDEMENT DES EAUX USEES DU CANAL
Par ailleurs, les rejets d'eau par la nappe phréatique donnent du fil à retordre à Baboucar Sagna, père de cinq enfants. Obligé de sécher les jours de job pour se consacrer à cette tâche pénible : débarrasser les lits, l'armoire et les meubles des eaux. Pour endiguer l'eau, des sacs remplis de sable sont superposés devant la porte de sa maison.
Avec ses 1,66 m de taille, il déclare : «mes jambes sont trempées d'eau jusqu'au genou. Tous les jours, il me faut évacuer les eaux pour qu'on puisse respirer. J'ai rempli des sacs de sable pour empêcher l'eau de pénétrer dans la maison. Mais la barrière est inefficace. La nappe continue à rejeter les eaux. D'ailleurs, ça fait des jours, avant votre passage ici, qu'il n'a pas plu. Malgré cela, ma maison est inondée. Ça fait plus de 14 ans que j'habite ici. Ce bâtiment, c'est quelqu'un qui me l'a prêté quand il déménageait. Je n'avais pas le choix. Car là où j'étais, la situation était pire qu'ici», confie M. Sagna.
Du canal qui passe devant sa maison se déversent les eaux qui proviennent des égouts des localités de Keur Massar, Pikine et Boune. Pourtant, au Sénégal, il existe une norme de rejet des eaux usées appelée la norme NS.05-061. Elle est incorporée dans le Code de l'Environnement et stipule que «toute eaux usée, avant d'être rejetée, devrait être traitée». Ce qui ne semble être pas le cas ici.
En outre, les chauffeurs des camions hydro cureurs Aliou Sow et Daouda Diouf, ont attesté qu'il «il est formellement interdit de déverser des eaux usées sur ce site. Il y a des endroits autorisés : Tivaouane Peulh, Cambérène, Technopole, Pikine et Rufisque. Les contrevenants risquent gros et peuvent séjourner en prison».
85 FAMILLES SINISTREES RELOGEES GRACE A LA SNHLM, 90 AUTRES RECENSEES EN ATTENTE
Des motopompes assurent l'évacuation des eaux. Les 20 litres de carburants ne suffisent pas pour faire fonctionner le moteur pendant 24 heures. Pis, Cheikh Dieng et Bamba Diop, préposés à faire tourner ces machines, travaillent dans des conditions difficiles. Ils ne bénéficient pas de rémunération. Selon eux, «ce travail est un sacerdoce. Sans cette conscience, nous allons lâcher prise», avouent-ils.
En attendant, au total 85 familles sinistrées ont pu bénéficier des maisons grâce à la Société nationale des Habitations à loyer modéré (SNHLM), à la cité Tawfekh, Niague et Socabeg, dans le Tivaouane Peulh. «90 familles recensées par le ministère de l'Urbanisme, du Logement et de l'Hygiène publique attendent toujours leurs parcelles», a indiqué le délégué de quartier, Mor Yally.