Michel Amana, 14 ans, a perdu une partie de sa jambe droite dans un accident. Orphelin, appareillé d'une prothèse, mais avec le soutien inébranlable de Jean, son frère jumeau; il reprend avec force le contrôle de sa vie.
« C'est sûr qu'il ne va plus tenir en place ! Maintenant, qu'il est debout, il sera tout le temps en vadrouille ! », affirme Jean en regardant son frère jumeau faire des allers-retours avec sa nouvelle prothèse.
« Carrément !», acquiesce Michel, sourire aux lèvres.
Ayant perdu leurs deux parents, tués dans les violences qui ont fait rage à partir de 2016 dans la province du Tanganyika, les deux jumeaux sont désormais inséparables. Ils passent la plupart de leur temps à blaguer et à ressasser de vieux souvenirs. En transit, depuis deux semaines à Kalemie, capitale de la région, les garçons attendent d'embarquer à bord d'un avion du Programme alimentaire mondial. Ils s'envoleront bientôt vers la ville de Moba, à 350 kilomètres, où ils rejoindront leur grand-mère.
Il y a deux mois, Michel et Jean étaient dans la province voisine du Sud-Kivu. Michel y recevait sa première prothèse dans le centre de réadaptation physique Heri-Kwetu de Bukavu, soutenu par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Jean était son garde-malade.
« Michel est suivi depuis près de deux ans dans ce centre », explique Jules Lugoma, agent de santé du CICR.
« Comme nous n'appuyons pas d'établissement semblable au Tanganyika, nous l'avons transféré à Bukavu pour des soins appropriés. En plus de sa prise en charge médicale, nous assurons les frais de voyage, de nourriture et d'hébergement jusqu'à ce que les deux frères atterrissent à Moba. »
« Si j'ai survécu, c'est grâce à lui »
Même si on peut lire un soulagement sur le visage de Michel et de Jean, leur enfance reste marquée par la violence.
En décembre 2016, leur village de Musengezi, situé à la périphérie de Moba, au sud du Tanganyika; est attaqué par un groupe armé. Michel et son frère fuient sans leurs parents. Ils avaient alors huit ans. Avec leur tante, ils embarquent sur un bateau pour Kalemie, où ils s'installent et se débrouillent pour survivre. Les deux garçons apprendront plus tard que leurs parents ont été tués.
« Nous avons dû commencer à vivre en sachant que nous ne reverrons plus nos parents », confie Michel.
« On ne mangeait qu'une fois par jour, le soir, quand notre tante revenait de son travail. »
En 2018, le jeune garçon rend visite à sa tante hospitalisée. Il lui apporte de la nourriture. « Je suis tombé en essayant de franchir des rails de chemin de fer. Un train arrivait. Je n'ai pas eu le temps de me relever. J'ai perdu une partie de ma jambe droite au niveau du tibia et quatre orteils de mon pied gauche », raconte-t-il.
Son frère Jean rajoute que leur tante décède deux jours plus tard d'une crise cardiaque en apprenant ce qu'il est arrivé à son neveu. Les deux frères avaient dix ans.
Michel parle de Jean avec reconnaissance : « On n'avait plus personne, mon frère veillait sur moi. Il devait trouver de quoi manger et s'occuper de ma santé. Si j'ai survécu, c'est grâce à lui. »
Mendier dans les marchés
Pendant près de trois ans, les deux garçons ont sillonné les rues de Kalemie à la recherche d'un toit, de quoi manger ou s'habiller.
« Mon frère pouvait faire des petits boulots comme ramasser les poubelles. Souvent, il me portait sur son dos, on allait dans les marchés pour mendier », se rappelle Michel.
Par hasard, ils font un jour la rencontre d'une personne qui les oriente vers le CICR.
Marc Muderhwa, employé du CICR à Kalemie, raconte la suite : « Notre équipe santé a enregistré Michel au mois d'août 2021 comme futur bénéficiaire des services du programme de réadaptation physique. Et l'équipe en charge de retrouver des proches perdus de vue s'est mise à rechercher des membres de leur famille. »
Pour le CICR, la première étape a consisté à trouver une famille d'accueil transitoire pour les deux frères. Ensuite, il a fallu s'occuper du handicap de Michel. Comme son moignon présentait une mauvaise cicatrisation qui ne permettait pas de l'appareiller immédiatement, des chirurgiens de Kalemie ont procédé à une nouvelle opération.
« Il venait d'avoir 13 ans et éprouvait de grosses difficultés à se mouvoir. J'étais parfois obligé de le porter sur mon dos pour le transporter à l'hôpital », se souvient Philémon Bwana, membre de la Croix-Rouge de la RDC et responsable de la famille d'accueil transitoire où Michel et Jean étaient placés.
Marcher et retrouver sa famille
Après des semaines de prise en charge, les médecins constatent qu'une nouvelle opération est nécessaire. Michel est transféré à Bukavu où il va pouvoir recevoir des soins adaptés à son handicap, que ce soit à l'hôpital ou dans le centre de réadaptation spécialisé Heri-Kwetu. Son frère Jean l'accompagne.
Pendant ce temps, la grand-mère des deux garçons est localisée. La réunion, retardée en raison de l'hospitalisation de Michel à Bukavu, intervient finalement en 2022.
« Notre grand-mère était très contente de nous revoir en vie et de nous avoir à ses côtés », se remémore Michel.
Michel continuera d'être suivi par le CICR pendant des années. Sa prothèse sera modifiée au fur et à mesure de sa croissance jusqu'à l'âge adulte.
Pour Wannes Carlier, responsable du CICR à Kalemie, la complémentarité des activités de l'organisation a contribué fortement à ce que Michel puisse retrouver sa joie de vivre : « Il peut espérer avoir une vie meilleure et s'intégrer dans la société. Le travail de nos équipes de santé et de protection des liens familiaux, le soutien que nous apportons aux chirurgiens et aux physiothérapeutes, notre collaboration avec la Croix-Rouge de RDC, tout ceci contribue à atténuer les conséquences de la violence dans le pays. Il y a beaucoup à faire mais nous arrivons à des résultats concrets. »
Le CICR a fermé sa sous-délégation de Kalemie en septembre 2023, quelques mois après le retour de Michel et de son frère aux côtés de leur grand-mère. Désormais Michel pourra directement être suivi par la sous-délégation de Bukavu. Le CICR continue de suivre la situation humanitaire dans le nord de la province du Tanganyika grâce à son équipe basée à Uvira, au Sud-Kivu.