Afrique: Manque d'accompagnement, statut précaire - À Kaffrine, le rideau ne s'ouvre pas au théâtre

30 Octobre 2023

Les troupes théâtrales pullulent à Kaffrine, mais les acteurs disent manquer d'accompagnement. Les comédiens suivent quand même leur bonhomme de chemin. Ils font, aujourd'hui, face à plusieurs contraintes, notamment le manque de soutien et de formation, le défaut d'organisation, en plus du foisonnement des séries télévisées, et avec un public qui est de moins en moins, intéressé par le quatrième art.

À Kaffrine, le théâtre est en manque d'inspiration. Cela, malgré le talent des artistes comédiens. Ces obstacles à leur épanouissement ont pour noms : manque de formation, de structuration, de moyens, entre autres. En dépit de ce tableau peu reluisant, une éclaircie. La troupe « Les jeunes espoirs de Kaffrine » se distingue à travers des performances au Centre culturel régional. La compagnie s'illustre sur un registre pluridisciplinaire : théâtre, musique, danse, etc. Le festival international « Âda Ak Cosân » est devenu son terrain de jeu. Dans le Ndoucoumane, cet évènement tient une place de choix dans la programmation culturelle de la région.

En ce jour de répétition, la concentration est maximale. Regroupés en de petits cercles, au moment de la pause, « les jeunes espoirs », continuent de répéter la gestuelle et la diction. Leur création du moment s'intitule : « Niamou Kër gi ». Les comédiens ne se fatiguent jamais. « On vient chaque jour répéter. Si l'on pouvait, on allait jouer 24 h sur 24. Le théâtre, c'est toute notre vie », lance Abou Tall. Sidy Mbengue, qui joue le rôle de metteur en scène de la pièce, une tasse de café noir sans sucre à la main, part de l'autre bout de la corde et fait le tour des problèmes des troupes théâtrales à Kaffrine. La hargne, l'envie et le dégoût se mélangent à la fois à la discussion. Les comédiens ne veulent plus se cantonner à de simples rôles et sont fatigués de leur situation. « C'est difficile, très dur pour nous. Nous avons peu de soutien. C'est ardu de s'en sortir », confie le créateur avec beaucoup d'amertume, la gorge nouée.

« Culture de la culture »

Reconnaissance, voilà un mot qu'évoque souvent les membres de la troupe : « Les jeunes espoirs de Kaffrine ». Les ambitions des comédiens volent haut. Ils rêvent de devenir comme les plus grands artistes internationaux. « Je voudrais être un grand acteur hollywoodien qui sera reconnu partout comme l'est actuellement Omar Sy », nous lance Aly Ndao. Selon Sidy Mbengue qui rêve pareil, le principal problème qui bloque le développement de la culture et surtout du théâtre se situe autour de l'indifférence des populations. « Notre principal problème, c'est qu'il n'y a pas la culture de la culture à Kaffrine.

Nous n'avons pas le soutien de la population », regrette-t-il, en comparant, Kaffrine aux autres régions. « Nous travaillons quatre fois plus que certains de nos collègues d'ailleurs, mais nous ne sommes pas reconnus à notre juste valeur. Et chaque fois que nous allons prester quelque part en dehors d'ici, les gens sont surpris de voir comment nous arrivons à performer sans l'aide de personne », fait savoir Amy Ndiaye, mariée et mère de deux enfants. « C'est aussi difficile pour moi. En tant que femmes, nous recevons beaucoup de critiques. Ça crée pas mal de contraintes », renchérit-elle.

Avec un statut précaire et des revenus insuffisants, la troupe de 22 personnes se serrent les coudes. « Nous arrivons à nous en sortir avec les contrats lors des prestations même si nous recevons très peu d'aides de la part des autorités. La plupart d'entre nous réussissent à entreprendre à côté. Nous avons des business que nous gérons grâce à nos cachets du théâtre. Nous avons même pu apporter une aide à des membres tombés malades ou les appuyer grâce à la caisse de la compagnie », souligne Sidy Mbengue. Ayant fréquenté l'École internationale d'acteur (trice.s) de Dakar (Eiad) où il a acquis « énormément de connaissances aux côtés de très grands comédiens internationaux », il nourrit beaucoup d'espoir pour la suite, et rêve tout grand de revoir le théâtre sénégalais, s'afficher comme au bon vieux temps à « l'ère des stars de Sorano ».

DIAMLY PÊNE, COORDONNATEUR DU COLLECTIF DES ASSOCIATIONS ARTISTIQUES POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ART DRAMATIQUE À KAFFRINE

« Nous devons prendre les choses en main »

Diamly Pène porte plusieurs casquettes. En plus d'être le président de la compagnie théâtrale des « Jeunes espoirs de Kaffrine », il est le coordonnateur régional du Collectif des associations artistiques pour le développement de l'art dramatique. Dans cet entretien, le responsable du festival international « Âda Ak Cosân » (Festiac) évoque les enjeux qui tournent autour du quatrième art.

Vous avez organisé, du 30 septembre au 2 octobre 2023, le Festival international « Âda Ak Cosân » (Festiac) ? Comment est née l'idée de ce festival et quels sont les objectifs ?

C'est un festival qui regroupe des artistes comédiens, des acteurs culturels à travers différentes activités culturelles. À part le théâtre, il y a la danse, les musiques traditionnelles comme le « Ngoyane », le « Simb » et le « Kankourang ». Nous organisons un carnaval mettant en exergue, différentes cultures liées aux traditions Lébou, du Saloum et du Cayor etc. Nous l'avons initié en 2019, lorsque le Conseil départemental de Kaffrine, la Gouvernance et le Centre culturel régional avaient fusionné leurs forces pour organiser un festival 100 % culturel. Mais, je me suis dit que les personnes qui incarnaient ces institutions peuvent partir à tout moment et donc rien ne nous assure, si d'autres venaient à les remplacer, qu'ils allaient maintenir la programmation de l'activité culturelle. C'est ce qui m'a poussé, en tant qu'acteur culturel, à vouloir me lancer pour prendre les choses en main, afin d'organiser, chaque année, un festival international qui va intégrer des acteurs nationaux et internationaux. On en est, cette année, à la troisième édition. Plus d'une dizaine de troupes venant du pays et de l'extérieur étaient attendues.

Quel bilan faites-vous de l'évènement ?

Nous avons enregistré la participation de beaucoup de talents, qui ont manifesté leur envie à vouloir participer. Plus d'une dizaine de troupes théâtrales venant du pays ont presté. Le festival a été un lieu de rencontre pour les acteurs culturels de différentes familles. Différentes troupes théâtrales provenant d'un peu partout de l'intérieur du pays, des stars de la musique traditionnelle, de la danse ont brillé de leur présence. Nous avons vibré au rythme du Ngoyane lors de prestations animées par la Diva du Ndoucoumane, Fatou Seck, et le carnaval.

L'organisation de telles activités nécessite de grands moyens. Avez-vous pu trouver des partenaires ?

Plus ou moins, nous avons des partenaires institutionnels comme le Centre culturel régional (Ccr) de Kaffrine. Nous avons eu le soutien du Ministère de la Culture. De même, lors de la deuxième édition, il nous avait accompagnés. Nous avons été reçus par le Maire de la ville peu avant le démarrage du festival, qui a demandé que toutes les dispositions soient prises. Nous avons aussi des partenaires locaux. Mais on aimerait avoir plus. D'ailleurs, dans le cadre de ce festival, nous avons reçu beaucoup de courriers de la part de beaucoup de compagnies théâtrales de pays africains, qui étaient vraiment intéressés, mais ils nous ont demandé de leur payer le transport, la prise en charge, et les autres frais. Et comme nous n'avons pas beaucoup de moyens, nous avons été obligés de ne retenir que deux pays : le Mali et la Guinée.

Quelle appréciation faites-vous de l'activité culturelle, notamment du théâtre et de vos besoins à Kaffrine ?

Nous avons beaucoup de difficultés et un grand besoin qui restent les soucis d'accompagnement. Nous avons surtout besoin de l'accompagnement des collectivités territoriales. Par rapport à l'année dernière, cette année, le maire de la ville de Kaffrine a donné des directives claires. Il nous a reçus et a donné sa participation. Nous avons aussi un défi à relever, celui de la formation. Il y a un problème d'accès à l'information. C'est vrai que ce sont les acteurs qui doivent aller vers l'information. Mais le plus dur, c'est que ces acteurs n'ont pas la culture de l'information. Par exemple, on ne peut pas avoir une compagnie théâtrale sans détenir de récépissé ni des papiers légaux. La formalisation, c'est un grand problème ici, surtout pour les associations culturelles. C'est donc un frein à beaucoup de niveaux. Nous devons vraiment prendre les choses en main.

Comment voyiez-vous l'avenir ?

Cela avance, pas à pas. Nous sommes en train de jouer notre rôle. Je pense que les jeunes qui vont prendre la relève, dans quelques années, pourront récolter les fruits des graines que nous avons semées. C'est quand même un avenir rassurant.

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