Ile Maurice: Déclaration ethnique et «Best Loser System»

Si le gouvernement accepte d'amender la Constitution pour permettre aux candidats de ne pas déclarer leur appartenance ethnique aux prochaines élections, le «Best Loser System», lui, sera toujours là. Les candidats qui choisissent de ne pas déclarer leur communauté ne seraient donc pas repêchés en tant que meilleurs perdants...

Dans sa question au Premier ministre aujourd'hui à l'Assemblée nationale (AN), le député mauve Reza Uteem veut savoir si le gouvernement viendra avec une proposition de miniamendement constitutionnel pour permettre aux candidats qui le veulent de ne pas déclarer leur appartenance ethnique, comme cela avait été fait en 2014. Samedi, Ashok Subron, de Rezistans ek Alternativ (ReA), a mis Pravind Jugnauth au pied du mur : «S'il ne répond pas positivement à la question de Reza Uteem, l'histoire ne le lui pardonnera pas. Surtout à ce moment précis...» Ashok Subron faisait sans doute référence aux incidents qui ont eu lieu à la Citadelle le 21 octobre. D'ailleurs, Ashok Subron estime que ce genre d'incident grave est encouragé par la codification de la vision communale. Il se demande si le gouvernement respectera le pronouncement du Comité des Nations unies sur les droits de l'Homme ou «fera-t-il comme ces États voyous en Palestine ou aux Chagos ?»

Si le gouvernement va de l'avant avec un amendement semblable à celui du gouvernement travailliste en 2014, l'amendement devrait inclure, entre autres, l'alinéa suivant : «A candidate at that election may elect not to declare the community to which he belongs. Where he does not make such a declaration, he shall be deemed to have opted not to be considered for the purpose of the allocation of additional seats...» Ainsi, le candidat ou la candidate qui acceptera de ne pas se déclarer comme membre d'un des quatre groupes, soit hindou, musulman, sino-mauricien ou population générale, devra renoncer à la possibilité d'un repêchage sous le Best Loser System (BLS)au cas où il ou elle appartient à l'un de ces trois derniers groupes et a recueilli le nombre de voix le plus élevé après les élus.

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Combien de candidats le feront ? Lors des élections de 2014, 215 candidats sur 715 n'avaient pas déclaré leur appartenance «ethnique». Parmi ces 215, il y avait tous les candidats de ReA et sept seulement venant des «grands partis». En fait, ces sept étaient tous de l'Alliance Lepep. Ils étaient : Mahen Seeruttun, le premier à l'annoncer, Nando Bodha, Leela Devi Dookun-Luchoomun, Pravind Jugnauth, Roshi Bhadain, Yogida Sawmynaden et Koomaren Chetty. À part ce dernier, tous avaient été élus et n'ont pas eu besoin du BLS.

Quid de Koomaren Chetty ? Bien qu'ayant recueilli 14 139 voix, soit 43,78 %, et classé 4e au no 18, il sera exclu du BLS car il avait choisi de ne pas déclarer son appartenance ethnique. Même s'il l'avait fait, il n'aurait pas été repêché, appartenant au groupe «hindou». Sauf s'il s'était déclaré appartenant à un des trois groupes «minoritaires», comme Michael Sik Yuen, qui en 2010, s'était enregistré comme «population générale» et avait été désigné député correctif au no 7. Ce qui lui avait valu d'être accusé d'avoir usurpé une place qui aurait dû revenir à un «vrai» membre de la population générale et qu'il aurait dû s'enregistrer comme «sino-mauricien» (voir hors-texte).

Si ceux qui appartiennent au groupe «hindou» n'ont pas besoin du BLS et n'ont donc pas à déclarer leur communauté, qui est surreprésentée au Parlement, pourquoi la plupart d'entre eux continuent à le faire ? Peut-être qu'ils ne veulent pas rater la mince possibilité qu'ils soient choisis comme best losers, comme ce fut le cas assez exceptionnel de Motee Ramdass et Ravi Yerrigadoo en 2000, quand il n'y avait pas de potentiels best losers parmi les trois communautés minoritaires.

En revanche, il est évident que les candidats autres que «hindous» ont tout à perdre de ne pas inscrire leur communauté car ils risquent de ne pas être repêchés par le BLS. D'ailleurs, aucun candidat des grands partis et appartenant à ces trois groupes «minoritaires» n'a refusé de déclarer leur communauté en 2014. Adopteront-ils cette même pratique pour les législatives à venir ?

Choix des «best losers» en 2019

C'est le commissaire électoral qui choisit les huit députés correctifs en puisant des trois communautés minoritaires (sauf en 2000, quand deux hindous, Motee Ramdass et Ravi Yerrigadoo, ont été repêchés). Il y a normalement deux étapes dans ce processus.

Première étape : les quatre premiers députés correctifs sont choisis parmi les meilleurs perdants appartenant aux communautés les moins bien représentées à l'issue des législatives, indépendamment du parti auquel ils appartiennent. Ainsi, en 2019, le commissaire électoral a conclu que le premier siège reviendrait à la population générale (Richard Duval), le second à la communauté musulmane (Ehsan Juman), le troisième et le quatrième siège à la population générale (Stephan Toussaint et Stéphanie Anquetil).

Deuxième étape : les quatre autres 'best losers' sont désignés pour rétablir l'équilibre par rapport au nombre supérieur de députés du parti gagnant, au cas où la première étape l'aura bouleversé, tout en privilégiant les communautés sous-représentées (ce qui exclut donc Koomaren Chetty). Cela, en vertu du paragraphe 5(4) de l'annexe à notre Constitution qui fait d'ailleurs polémique puisqu'il vise à conserver au parti gagnant la supériorité en sièges acquis grâce au scrutin majoritaire ('First past the post'), jugé non-représentatif des suffrages exprimés. En 2019, le commissaire électoral a porté son choix sur trois et non quatre députés correctifs de la majorité vu que lors de la première étape, sur les 4, un député, à savoir Stephan Toussaint, appartenait au parti majoritaire. Ces trois 'best losers' étaient donc : Fazila Jeewa-Daureeawoo (communauté musulmane), Tania Diolle (population générale) et Anwar Husnoo (communauté musulmane). Il y a eu une troisième étape en 2019 car après la deuxième étape, il restait encore un siège à pourvoir. Il devait l'être en faveur du prochain meilleur perdant mais appartenant au parti qui n'a pas bénéficié de siège additionnel au cours des deux étapes précédentes. Le candidat doit aussi, bien sûr, appartenir à une communauté sous-représentée. Le choix s'était porté sur Arianne Navarre-Marie du MMM.

Communautés, groupes nébuleux

L'affaire Sik Yuen provoqua un débat au cours duquel beaucoup relevèrent l'inutilité de la déclaration ethnique. La politologue Catherine Boudet écrivait : «Le cas Sik Yuen vient souligner la fragilité du critère d'appartenance communautaire comme fondement de la représentativité politique.» D'ailleurs, aux élections de 2019 pour lesquelles le gouvernement MSM ne passa pas le miniamendement constitutionnel temporaire de 2014, les candidats de ReA s'étaient résignés à déclarer une appartenance «ethnique» faite par tirage au sort.

Comme l'a rappelé Ashok Subron samedi, en réalité, dans ces quatre groupes «ethniques», deux sont basés sur la religion (hindoue et musulmane). Le troisième - sino-mauricien - est basé sur l'origine «ethnique» ou géographique de leurs ancêtres immigrants, entre autres. Ce qui n'est plus pertinent de nos jours avec le brassage de cette communauté. Le quatrième groupe est encore plus difficile à cerner même s'il comprend vaguement différents groupes «ethniques» mais qui n'appartiennent pas aux trois autres groupes. Grosso modo, ils sont de confession chrétienne. Cela, bien que beaucoup d'entre eux, tout comme pour les groupes hindou et musulman, ne pratiquent pas la religion. C'est pour dire que la classification ethnique est de plus en plus rejetée comme une classification venant d'un autre âge.

Il faut noter que Michael Sik Yuen s'enregistrera aux législatives de 2014 comme appartenant au groupe sino-mauricien alors qu'il l'avait fait comme membre de la population générale en 2010. Me Jacques Tsang Mang Kin contesta en Cour suprême l'adoption «capricieuse» du groupe sino-mauricien de Sik Yuen surtout que, dit l'avocat, Sik Yuen avait la possibilité de ne pas déclarer sa communauté lors des élections de 2014. La contestation a été finalement rejetée car Sik Yuen a pu prouver qu'il appartient bien à la communauté sinomauricienne en démontrant qu'il *peut parler le hakka, qu'il a épousé une sino-mauricienne, qu'il consomme la cuisine chinoise et qu'il participe à des rites religieux dans les pagodes et prend part aux festivités chinoises...»*Il faut aussi noter qu'il n'y avait pas eu de contestation légale quand Sik Yuen s'était déclaré de la population générale en 2010.

PMSD en faveur du BLS

Xavier-Luc Duval dit comprendre ceux qui demandent que la déclaration ethnique ne soit plus obligatoire. «Tant qu'on laisse le choix aux candidats, je n'ai aucun problème.» Il est d'avis qu'en permettant à ceux et celles qui veulent déclarer leur communauté et être donc éligibles au BLS, cela servira à corriger les imperfections de notre système. «Vu d'une part la disparité entre le nombre de votants par circonscription et les délimitations de certaines circonscriptions, et d'autre part le nombre de sièges recueillis, le PMSD a toujours insisté pour le maintien du BLS.» Tout en rappelant que «le BLS a été pensé et introduit par les pères de notre Constitution en toute connaissance de cause».

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