Des attaques et exécutions sommaires sont commises en toute impunité
- Les groupes islamistes armés et les forces armées maliennes ont tué et commis d'autres abus contre de nombreux civils dans le centre et le nord du Mali depuis avril 2023.
- La violence s'est intensifiée dans tout le Mali à la suite du coup d'État de mai 2021. Les meurtres ciblés de civils par les groupes islamistes armés et l'armée malienne constituent des crimes de guerre.
- Les autorités maliennes devraient, avec le soutien de la communauté internationale, mener d'urgence des enquêtes crédibles et impartiales sur les abus présumés et demander des comptes aux responsables.
(Nairobi, 1er novembre 2023) - Les forces armées maliennes et des groupes islamistes armés ont tué et commis d'autres abus contre de nombreux civils dans le centre et le nord du Mali depuis avril 2023, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les autorités militaires de transition du Mali devraient, avec le soutien de la Commission nationale des droits de l'homme et des experts internationaux des droits humains, mener de toute urgence des enquêtes crédibles et impartiales sur les abus présumés et demander des comptes aux responsables.
Depuis le début du mois d'avril, des combattants islamistes du Groupe pour le soutien de l'islam et des musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda, ont tué plus de 160 civils, dont au moins 24 enfants. Les forces armées maliennes ont tué jusqu'à 40 civils, dont au moins 16 enfants, au cours d'opérations de contre-insurrection. Le gouvernement malien n'a pas pris de mesures adéquates pour protéger les civils dans les zones touchées par le conflit.
« Les meurtres ciblés de civils par les groupes islamistes armés et l'armée malienne constituent des crimes de guerre qui doivent faire l'objet d'enquêtes approfondies et impartiales », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités maliennes devraient demander à des experts régionaux et internationaux indépendants des droits humains de soutenir les autorités judiciaires maliennes afin que les responsables de ces crimes graves rendent des comptes. »
En août et septembre, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 40 personnes ayant eu connaissance d'attaques menées par l'armée malienne et par des groupes islamistes armés. Parmi ces personnes figurent 33 témoins d'abus, ainsi que des membres de groupes de la société civile malienne et d'organisations internationales. Le 9 octobre, Human Rights Watch a envoyé aux ministres maliens de la Justice et de la Défense des lettres qui présentaient en détail ses conclusions et posent des questions sur les allégations d'abus. Ces lettres sont restées sans réponse.
Le GSIM et l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) ont commis de nombreux abus graves dans plusieurs régions du Mali, notamment des meurtres, des viols et des pillages à grande échelle de villages. Ces abus surviennent alors que la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), la mission de maintien de la paix des Nations Unies dans ce pays, s'apprête à quitter le pays d'ici le 31 décembre.
Le 7 septembre, des combattants islamistes affiliés au GSIM ont attaqué un bateau de passagers sur le fleuve Niger près du village d'Abakoira, dans la région de Tombouctou. Les assaillants ont tiré au moins trois roquettes sur le bateau, tuant 49 personnes. De nombreuses victimes se sont noyées ou sont mortes brûlées vives alors que le bateau prenait feu. « J'ai sauté dans l'eau », a déclaré un survivant. « Beaucoup d'autres ont sauté aussi. Certains criaient à l'intérieur du bateau à cause du feu. C'était la terreur totale. Beaucoup de personnes sont mortes parce qu'elles ne savaient pas nager. »
L'attaque de ce bateau est liée au blocus de la ville de Tombouctou par le GSIM qui dure depuis la mi-août et limite la liberté de mouvement sur les routes principales et les voies navigables du fleuve Niger. Le GSIM a attaqué des villes et des villages au Mali et au Burkina Faso, et cherché à étendre son contrôle en privant la population civile de nourriture, de produits de première nécessité et d'aide humanitaire.
Human Rights Watch a également documenté les abus commis par les forces armées maliennes au cours de trois opérations de contre-insurrection qui visaient des groupes islamistes armés essentiellement liés à Al-Qaïda dans les villages de Gadougou, Trabakaoro et Sambani, dans les régions de Nara et de Tombouctou. Lors de l'opération menée à Sambani le 6 août, les autorités ont arrêté 16 hommes et un garçon dont les corps ont ensuite été retrouvés à l'extérieur du village. Des témoins ont signalé l'implication d'hommes « blancs » étrangers et armés, apparemment membres du groupe Wagner soutenu par la Russie, qui offre un soutien au gouvernement actuel depuis décembre 2021.
Les deux camps ont pris pour cible des villageois qu'ils accusaient d'avoir collaboré avec l'autre camp. « L'armée... tue des gens sans en craindre les conséquences », a déclaré un homme de la région de Mopti. « Les djihadistes tuent, kidnappent et brûlent eux aussi, sans craindre de devoir rendre des comptes. Et nous, les civils, sommes pris entre le marteau et l'enclume dans notre propre pays ».
En juillet, Human Rights Watch a fait état d'exactions commises par des membres de l'armée malienne et par des combattants étrangers qui leur sont associés, et appartenant apparemment au groupe Wagner, notamment des exécutions sommaires et des disparitions forcées de plusieurs dizaines de civils au cours d'opérations de contre-insurrection au centre du Mali.
L'intensification de la violence au Mali depuis 2022 intervient dans un contexte d'instabilité politique à la suite du coup d'État de mai 2021. Le projet Armed Conflict Location & Event Data, un projet de collecte de données, d'analyse et de cartographie des crises, a constaté que la violence contre les civils au Mali entre janvier et août avait augmenté de 38 % par rapport à 2022 et que le GSIM, les forces armées maliennes et le groupe Wagner, ainsi que l'EIGS étaient les principaux assaillants.
Depuis la fin du mois d'août, la sécurité dans le nord du Mali s'est par ailleurs fortement dégradée après la reprise des hostilités entre les rebelles touareg de la Coordination des mouvements de l'Azawad, une alliance de groupes ethniques touaregs armés, et l'armée malienne. Les rebelles touaregs, qui cherchent à obtenir l'indépendance du nord du Mali depuis le milieu des années 2000, ont signé un accord de paix avec le gouvernement malien en 2015.
Toutes les parties au conflit armé au Mali sont soumises au droit international humanitaire, notamment l'article 3 commun aux conventions de Genève de 1949 et le droit coutumier de la guerre. Les personnes qui commettent des violations graves des lois de la guerre, notamment des exécutions sommaires et des actes de torture, doivent être poursuivies pour crimes de guerre. Le Mali est un État partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui a ouvert une enquête sur les crimes de guerre présumés commis au Mali depuis 2012.
« Les gouvernements préoccupés par la spirale de la violence et les abus au Mali devraient à la fois faire pression sur les autorités maliennes et les aider à mener des enquêtes approfondies et impartiales sur les graves abus commis par toutes les parties », a déclaré Ilaria Allegrozzi. « Les autorités judiciaires maliennes devraient collaborer avec la Commission nationale des droits de l'homme, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples et l'Expert indépendant des Nations Unies sur les droits de l'homme au Mali pour enquêter sur ces abus. »
Informations complémentaires
Conflit armé au Mali
Depuis 2012, les gouvernements maliens successifs ont combattu au moins deux groupes islamistes armés, le Groupe pour le soutien de l'islam et des musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda, et l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Les hostilités ont fait des milliers de morts et provoqué le déplacement forcé de plus de 375 000 personnes. Le départ de la mission de maintien de la paix de l'ONU à la demande des autorités maliennes soulève de graves inquiétudes quant à la protection des civils et au suivi des abus commis par toutes les parties.
Abus commis par les groupes islamistes armés
Bodio, région de Mopti, 6 août 2023
Le 6 août, des centaines de combattants du GSIM circulant à motos ou à bord de véhicules et armés de fusils d'assaut de type kalachnikov ont mené une attaque contre Bodio, au cours de laquelle ils ont tué 15 hommes, dont un jeune homme de 18 ans et trois hommes plus âgés, selon plusieurs témoins. Ils ont déclaré que les combattants portaient des uniformes militaires avec des gilets pare-balles et parlaient le fulfulde et le dogon. Selon les témoins, toutes les personnes tuées semblent avoir reçu une balle dans la tête. Au cours de l'attaque, les combattants islamistes ont également brûlé au moins 10 maisons.
Les habitants de Bodio ont déclaré que l'attaque avait eu lieu après la rupture d'un accord avec des militants du GSIM sous la pression de la milice Dan Na Ambassagou, qui regroupe des groupes d'autodéfense locaux. Dan Na Ambassagou a été créée en 2016 « pour protéger le pays dogon » et il est arrivé qu'elle coopère avec les forces de sécurité maliennes. Un habitant de Bodio a déclaré :
Notre village était protégé par [la milice] Dan Na Ambassagou jusqu'en 2020. En 2021, la milice s'est retirée face à la montée en puissance des djihadistes. Pour sauver leur vie, les villageois ont été contraints de passer un accord avec les djihadistes, qui prévoyait que les villageois cessent tout contact avec la milice et l'armée malienne... En contrepartie, les djihadistes les laissaient... mener leurs activités normales. L'accord a été fragilisé quand une patrouille conjointe de soldats maliens, de [combattants du groupe] Wagner et de miliciens Dan Na Ambassagou est passée au village en juin. À cette occasion, les miliciens ont forcé les villageois à enregistrer une vidéo qui s'adressait aux djihadistes en annonçant la fin de l'accord.
Les habitants ont déclaré qu'après la rupture de l'accord, ils avaient commencé à remarquer la présence accrue de combattants islamistes et en avaient informé le chef du village. Celui-ci s'est rendu à Bandiagara, à environ 14 kilomètres de Bodio, pour transmettre l'information aux gendarmes, à l'armée et au gouverneur et leur demander de l'aide. « Mais malgré son appel, il n'y a pas eu de réponse », a déclaré un habitant. « Les militaires et le gouverneur ne sont venus [à Bodio] qu'après [l'attaque]. »
Des témoins ont déclaré qu'en plus des 15 habitants tués, deux miliciens étaient morts dans les combats. Ils ont déclaré que les combattants islamistes recherchaient des hommes du village qu'ils accusaient d'être des membres de Dan Na Ambassagou. La plupart des hommes du village ont pris la fuite dès le début de l'attaque.
Une femme de 54 ans a déclaré :
Trois [combattants] sont venus chez moi et m'ont demandé en dogon : « Où sont les hommes ? Nous allons les tuer ». Je les ai suppliés de m'épargner, moi et mes enfants. ... Ils ont tué deux de mes cousins dans la rue. ... J'ai entendu les tirs et j'ai vu leurs corps dans une mare de sang.
Une femme de 45 ans a déclaré que des combattants avaient tué son oncle : « Je les ai vus quand ils l'ont attrapé à quelques mètres de ma maison. J'ai entendu deux coups de feu et j'ai vu mon oncle tomber au sol ».
Un homme qui a aidé à enterrer les corps a déclaré :
L'attaque s'est terminée vers 20 heures. Immédiatement après, tous ceux qui s'étaient cachés dans la brousse voisine, moi y compris, sont revenus pour aider à enterrer les corps. Nous avons rassemblé tous les corps éparpillés, certains étaient dans leurs maisons, d'autres dans les rues, d'autres encore à l'entrée du village. Nous avons pu constater que tous avaient été tués d'une balle dans la tête.
Human Rights Watch a obtenu deux listes compilées par des témoins et des habitants de Bodio avec les identités des 15 civils tués, âgés de 18 à 81 ans, et des deux miliciens qui sont morts en marchant sur une mine.
Les habitants ont déclaré que les combattants islamistes avaient brûlé au moins 10 maisons. Ils ont indiqué que presque tous les villageois avaient quitté Bodio après l'attaque pour se rendre à Bandiagara, où ils ont trouvé refuge dans une école. Human Rights Watch a examiné six photographies prises par les personnes déplacées à l'école, qui montrent les conditions déplorables dans lesquelles ces personnes sont hébergées, sans nourriture adéquate, ni produits de première nécessité.
« Après l'attaque, nous avons abandonné Bodio en laissant derrière nous un village en ruines », raconte cette femme de 54 ans. « Nous vivons dans une école. Nous avons besoin de tout, nous n'avons aucune aide. »
En octobre, les personnes déplacées originaires de Bodio ont été relocalisés vers des tentes fournies par une organisation internationale, toujours dans la ville de Bandiagara.
Attaque d'un bateau, région de Gao, 7 septembre
Le 7 septembre, des combattants islamistes soupçonnés d'être affiliés au GSIM ont attaqué un bateau de passagers sur le fleuve Niger près du village d'Abakoira, dans la région de Gao. Le même jour, des combattants islamistes ont attaqué un camp militaire à Bamba, dans la région de Gao. Dans un communiqué du 7 septembre, le ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation a accusé le GSIM d'avoir perpétré les deux attaques et donné un bilan provisoire de 49 civils et 15 soldats tués. Le communiqué ne précise toutefois pas le nombre de personnes décédées dans chaque attaque, et des témoins affirment que l'attaque du bateau a fait beaucoup plus de victimes. Le 8 septembre, le GSIM a revendiqué l'attaque de Bamba.
Human Rights Watch a interrogé trois survivants de l'attaque du bateau et un homme qui a aidé à sauver les blessés et à récupérer les corps dans le fleuve. Ils ont tous décrit des personnes qui criaient, couraient et sautaient dans l'eau après que le bateau touché par au moins trois roquettes ait pris feu. Les médias ont rapporté que Comanav, l'opérateur du bateau, avait confirmé que le bateau « a été visé par au moins trois roquettes visant ses moteurs ».
Un commerçant de 47 ans qui se trouvait à bord a déclaré :
L'attaque a commencé par une première roquette qui a fait trembler le bateau. J'ai entendu un grand « boum ». Puis il y en a eu une deuxième. J'étais sur une couchette avec quatre femmes et deux enfants. Ils sont tous morts quand la première roquette a touché le bateau. J'ai sauté à l'eau. ... En nageant vers le bord de la rivière, j'ai vu des gens se noyer - des femmes et des enfants. ... J'ai entendu des cris et des coups de feu. ... J'ai vu le bateau prendre feu, ... J'ai atteint le bord de la rivière et je me suis précipité à Gourma Rharous [ville] pour demander de l'aide. ... Je suis allé parler au maire qui a envoyé de jeunes sauveteurs.
Des témoins ont déclaré que quelques soldats maliens se trouvaient également à bord pour assurer la sécurité des passagers et que lorsque le bateau a été touché par la première roquette, ils avaient échangé des coups de feu avec les assaillants. Un homme blessé lors de l'attaque a déclaré :
Lorsque la première roquette a frappé, le bateau a tremblé, c'était étrange. ... Puis il y a eu une deuxième roquette et les soldats ont répondu par des tirs. La panique a envahi le bateau, suivie de cris d'enfants et de femmes. Je n'ai pas eu d'autre choix que de sauter à l'eau ... mais le courant était trop fort et j'ai commencé à avaler de l'eau avant de perdre connaissance. Je me suis réveillé dans un hôpital de Gourma Rharous.
Plusieurs témoignages indiquent qu'au moins 120 personnes ont péri dans cette attaque. Le survivant de 47 ans qui a accompagné les sauveteurs sur le site de l'attaque a déclaré :
Nous avons d'abord récupéré 67 corps, puis à 17 heures, nous en avons récupéré 87 autres, soit un total de 154 corps. Certaines personnes se sont noyées, d'autres ont été abattues alors qu'elles nageaient ou qu'elles étaient encore sur le bateau, d'autres encore sont mortes dans l'incendie.
Un sauveteur de 34 ans, originaire de Gourma Rharous, a déclaré :
J'ai répondu à l'appel du maire pour aider les personnes qui avaient été attaquées dans le bateau. Lorsque je suis arrivé, [...] certains [sauveteurs] avaient déjà récupéré une vingtaine de corps. J'ai récupéré 10 corps : 4 femmes, 2 enfants et 4 jeunes hommes. ... Ils [les corps] étaient éparpillés, certains avaient été emportés plus loin par le courant. ... Nous avons d'abord dénombré 120 morts, mais par la suite, certaines personnes ont découvert d'autres corps, à d'autres endroits.
Dans un communiqué le 11 septembre, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) a déclaré que 24 enfants étaient morts dans l'attaque du bateau et que 9 autres avaient été transportés à l'hôpital pour y être soignés.
Abus commis par les forces armées maliennes et les combattants étrangers qui leur sont associés
Trabakoro, région de Nara, 22 avril
Le 22 avril, des dizaines de soldats maliens ont mené une opération dans le village de Trabakoro à la recherche de combattants du GSIM. Selon trois témoins, les soldats ont tué 18 personnes, dont 14 enfants et 4 femmes.
Des témoins et des habitants ont déclaré que si le GSIM opérait bien à Trabakoro et dans ses environs, aucun combattant islamiste ne se trouvait dans le village au moment de l'opération militaire. « Trabakoro a abrité plus de djihadistes que toute la région de Nara », a déclaré un habitant de Trabakoro. « Les soldats ont été attaqués à de nombreuses reprises par des [combattants] d'ici. C'est la raison pour laquelle, à défaut d'avoir trouvé des djihadistes, les soldats ont tué des femmes et des enfants qu'ils ont pris pour des femmes et enfants de djihadistes. »
Des témoins ont déclaré qu'entre 10 et 11 heures, deux hélicoptères militaires avaient ouvert le feu sur le village avant l'arrivée de soldats. Pendant environ trois heures, les soldats ont fait du porte-à-porte en tirant sur les personnes qui étaient dans leurs maisons, ou au dehors quand elles couraient se mettre à l'abri.
Une femme de 86 ans qui a survécu à l'attaque en s'allongeant sur le sol de sa maison où 13 membres de sa famille avaient trouvé refuge, a déclaré :
Trois soldats se sont présentés à ma porte - ils portaient des uniformes de camouflage et des kalachnikovs. L'un d'eux est entré et a ouvert le feu sur nous. ... Il y a eu une première salve, puis le calme est revenu. Un deuxième soldat est entré dans la maison pour vérifier si quelqu'un était encore en vie. ... Certains enfants criaient de douleur, le soldat a tiré quelques balles supplémentaires avant de ressortir. ... Je pensais que tout le monde était mort. J'ai pensé à me tuer, que cela ne valait pas la peine de vivre alors que tous ceux que j'aimais étaient morts.
Cette femme a ajouté que ses trois filles avaient été blessées et que les dix autres membres de sa famille, dont six enfants, avaient été tués. Elle a également déclaré que les soldats avaient tué huit autres enfants du village.
Un homme de 45 ans qui est venu au secours de la femme et de ses filles et a aidé à enterrer les corps des personnes tuées à Trabakoro, a corroboré cette information. Il a déclaré :
Nous avons fait sortir la femme âgée de sa maison avec ses trois filles blessées. ... Nous avons ensuite sorti les corps des personnes tuées dans la maison de la femme et les avons transportés vers un endroit proche de l'une des sorties du village. ... En faisant le tour du village, nous avons vu d'autres corps d'enfants éparpillés. ... Nous ne savons pas si ces enfants ont été abattus depuis les hélicoptères ou tués par des soldats au sol, mais leurs corps étaient criblés de balles. ... Nous les avons transportés au même endroit pour les enterrer.
Un autre homme qui s'est précipité à Trabakoro après l'attaque a déclaré avoir vu les corps des 18 personnes tuées, y compris celui de son fils de 12 ans. « Les corps avaient été alignés et recouverts de draps », a-t-il déclaré. « J'ai soulevé le drap du premier, puis du second. Les deux étaient des enfants. Ensuite, j'ai soulevé le drap qui recouvrai le troisième corps et j'ai reconnu mon enfant. Son corps était couvert de sang, avec des blessures par balles partout. »
Human Rights Watch a examiné deux listes de 18 victimes, âgées de 6 mois à 47 ans, établies par des témoins.
Selon les habitants, les tirs nourris des hélicoptères ont provoqué un feu de brousse qui s'est propagé dans tout le village et a détruit au moins 10 maisons. La femme de 86 ans qui a survécu à l'attaque a déclaré : « Ils ont laissé derrière eux le feu, la fumée et la mort. »
Gadougou, région de Nara, 27 juillet 2023
Le 27 juillet, des soldats maliens ont tué quatre hommes et un enfant à Gadougou, un campement de l'ethnie peule dans la région de Nara, où le GSIM est réputé opérer.
Selon un témoin, il était 16 heures environ quand quatre véhicules militaires maliens et six motos transportant des dizaines de soldats maliens casqués et armés de fusils de type kalachnikov ont croisé un groupe de trois bergers peuls. Les soldats ont donné l'ordre aux hommes de mettre les mains en l'air, mais ils se sont enfuis sous le coup de la peur. Les soldats en ont rattrapé deux et les ont exécutés sommairement. « Ils les ont fait s'asseoir », a déclaré le survivant de 22 ans qui a assisté aux exécutions depuis sa cachette. « Un soldat a d'abord tiré une balle dans l'oeil de mon ami qui s'est effondré. Puis il a inséré le canon de son fusil dans l'oreille de mon autre ami et a tiré. »
Trois autres bergers, dont un garçon de 17 ans, ont entendu les tirs et se sont précipités sur les lieux, mais les soldats les ont tués eux aussi, a déclaré le survivant. « Trois soldats les ont arrêtés et les ont fait s'asseoir... puis ils ont ouvert le feu sur eux », a-t-il déclaré. « Ils ont tous les trois reçu une balle dans la tête. L'un d'eux n'est pas mort tout de suite, alors les mêmes soldats lui ont tiré dans le flanc, et il est mort. »
Trois hommes qui ont aidé à enterrer les corps ont déclaré qu'ils avaient été enterrés trois jours plus tard. L'un d'eux a déclaré :
Tous les cadavres étaient allongés les uns à côté des autres. Nous avons vu que l'un d'eux avait reçu une balle dans l'oeil, un autre dans l'oreille et trois autres dans la tête. Nous avons creusé deux trous. Nous avons mis deux corps dans un trou, et trois corps dans l'autre.
Le survivant et les trois autres témoins ont donné l'identité des cinq personnes tuées, qui étaient âgées de 17 à 31 ans, et ont déclaré qu'ils pensaient qu'ils avaient été pris pour cible en raison de leur appartenance ethnique. « Les soldats nous ont tiré dessus parce que nous sommes des Peuls », a déclaré l'un d'eux. « Cela fait de nous des cibles. Les soldats pensent que nous sommes des djihadistes. ... De nos jours, un peul de la région de Nara n'a pas besoin d'être armé pour être pris pour cible par l'armée. »
Human Rights Watch a documenté de graves abus commis par les forces armées maliennes à l'encontre des Peuls, notamment des meurtres, des arrestations et détentions arbitraires, ainsi que des disparitions forcées. Les groupes islamistes armés ont concentré leurs efforts de recrutement sur les communautés peules en exploitant les griefs de ces derniers à l'égard du gouvernement et d'autres groupes ethniques.
Sambani, région de Tombouctou, 6 août 2023
Le 6 août, des dizaines de soldats maliens accompagnés de plusieurs combattants « blancs » en uniforme militaire ont mené une opération dans le village de Sambani, où le GSIM est réputé opérer. Au cours de cette opération, les soldats et des combattants qui leur sont associés ont fouillé des maisons et arrêté 16 hommes et un garçon. Le lendemain, les villageois ont retrouvé les corps des 17 hommes.
Human Rights Watch a interrogé trois personnes qui ont assisté à l'opération militaire, et un homme qui a trouvé les corps près de Sambani et a aidé à les enterrer dans une fosse commune.
Des témoins ont déclaré que le 5 août, un grand convoi d'au moins 100 véhicules militaires, avec des camionnettes et des véhicules blindés, s'est arrêté à la périphérie de Sambani à 16 heures. Une femme d'environ 40 ans a déclaré :
Le chef du village est allé saluer les soldats et leur a demandé de partir car notre village n'abrite aucun djihadiste. ... Les soldats ont répondu qu'ils n'étaient pas venus pour rester et attendaient juste de réparer un de leurs véhicules qui était tombé en panne. Ils ont assuré à notre chef qu'ils ne feraient aucun mal à la population et lui ont demandé de transmettre ce message aux siens. Le chef est revenu et nous a dit de ne pas nous inquiéter. ... Mais à notre grande surprise, non seulement les soldats ont passé la nuit sur place, mais le lendemain matin, ils ont pris d'assaut notre village, en arrêtant et en terrorisant tout le monde.
Des témoins ont déclaré qu'au cours de l'opération, les soldats et les combattants étrangers ont fait du porte-à-porte et ont arrêté 16 hommes âgés de 20 à 87 ans et un garçon de 15 ans. Les témoins ont donné des détails sur l'identité des personnes arrêtées et ont déclaré que les soldats et les combattants étrangers avaient arrêté ceux qu'ils supposaient être des membres de groupes islamistes armés. « Mais les critères d'arrestation m'ont semblé vagues », a déclaré un homme de 57 ans. « Ils ont arrêté ceux qui n'avaient pas leur carte d'identité et ceux qui leur semblaient suspects, par exemple s'ils portaient des pantalons courts et une barbe ».
Un homme de 38 ans a déclaré :
J'ai vu des soldats blancs et des soldats maliens. ... [M]ais ... ce sont les soldats maliens qui ont procédé à la plupart des arrestations. ... Deux soldats maliens m'ont demandé de leur montrer ma carte d'identité, ce que j'ai fait. Ils ont vu une moto à côté de moi et m'ont demandé si c'était la mienne. J'ai répondu par l'affirmative. ... Ils ont dit qu'ils allaient la prendre. Je les ai laissés faire parce que je craignais d'être arrêté. ... Ils ont arrêté des gens dans le village. Ils ont pris mon voisin [parce qu'] il n'avait pas sa carte d'identité. ... Toutes les personnes qui ont été arrêtées ont ensuite été retrouvées mortes.
Le 6 août, entre 19 et 20 heures, un groupe d'habitants de Sambani a retrouvé les corps des 17 personnes arrêtées lors du raid militaire à environ un kilomètre au nord de Sambani. Un homme de 48 ans qui s'est rendu sur place a déclaré que toutes les victimes semblaient avoir reçu une balle dans la tête et avoir été torturées. Trois d'entre elles avaient les oreilles coupées. « Les corps étaient regroupés. Ils avaient tous des blessures par balle à la tête et semblaient avoir été torturés avant d'être abattus », a-t-il déclaré. « J'ai vu des blessures à leurs épaules et dans leur dos. Il y en avait un avec les bras cassés et trois avec les oreilles coupées. Nous avons creusé une grande tombe et nous y avons mis tout le monde. »