Tunisie: En clair | Perspectives d'évolution du secteur de l'eau - Un défi pressant

1 Novembre 2023

Le stress hydrique n'est plus un phénomène conjoncturel. C'est une réalité structurelle. Selon les experts, il y a urgence de repenser notre rapport à l'eau, son usage et sa gouvernance. La Tunisie est actuellement confrontée à une crise sévère de stress hydrique, qui a un impact sur sa sécurité alimentaire, sa croissance économique et son développement agricole. Les effets du changement climatique ont aggravé la situation, entraînant des conséquences désastreuses pour les petits agriculteurs et une flambée des prix des denrées alimentaires. C'est le moment pour que le gouvernement adopte une approche radicalement différente pour faire face à ce fléau.

Dans un contexte marqué par des défis climatiques majeurs, tous les Etats du monde dont la Tunisie sont mobilisés aujourd'hui pour oeuvrer ensemble à la mise en place de stratégies en faveur du développement durable et de la protection de l'environnement, à commencer par la préservation d'une source aussi vitale que l'eau. Le manque de ressources en eau et les effets du changement climatique ont eu des conséquences dévastatrices sur l'économie nationale et la sécurité alimentaire. La sécheresse a eu aussi un impact significatif sur les prix des denrées alimentaires, car la réduction des volumes produits entraîne automatiquement une augmentation des prix. La dépendance de la Tunisie vis-à-vis des importations n'a pas suffi à compenser la hausse des coûts des produits de consommation.

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Notre pays est en état de rareté absolue en eau, avec moins de 500 m3/hab/an et une mobilisation de ses ressources supérieure à 75%, elle reçoit, cependant, 36 milliards de m3 d'apports pluviométriques annuels moyens, mais variant entre 11 et 90 milliards (soit un rapport de 1 à 8) et 35% de ses ressources excèdent en salinité les 2 g/l. De ce fait la surexploitation dépasse de 20% la norme de saine exploitation. En effet, la stratégie du secteur de l'eau à l'horizon 2050 «Eau 2050» est appelée à prendre le relais de «Eau 2030» au terme de laquelle la demande en eau serait du même ordre de grandeur que la ressource en eau exploitable (mobilisable techniquement et utilisable économiquement).

Diagnostic

L'étude «Eau 2050», réalisée par 70 experts, consultants, universitaires et ingénieurs, comporte le diagnostic de la situation actuelle, la vision du futur, la stratégie adoptée ainsi que le plan d'action retenu. L'étude a fait l'objet de plusieurs ateliers nationaux, régionaux impliquant les parties prenantes des différents secteurs et ministères concernés ainsi que les différents partenaires techniques et financiers de la Tunisie (BAD, KFW, BM, FAO, PNUD, GIZ, AFD...). Elle a été validée par le Conseil national de l'eau.

L'étude a abordé tous les aspects du levier hydraulique dans le développement du pays: technique, régional, social, climatique, intégrateur et inclusif. Elle a mobilisé toutes les parties prenantes, dont les décideurs et la société civile. «Si le système hydraulique a été performant durant des décennies, il présente aujourd'hui des signes d'essoufflement, faute d'investissement suffisant dans un contexte de changement climatique, mal compris car insuffisamment explicité scientifiquement quant au risque qu'il représente en termes de perturbations préjudiciables au régime des apports d'eau, avec toutes les conséquences que cela entraîne sur l'environnement, l'écosystème ainsi que sur le développement économique et social».

L'étude indique que les trajectoires développées par la modélisation mise en oeuvre, dans l'hypothèse d'une augmentation de la température globale de 2 à 3 degrés, «font entrevoir, comme conséquences, un cycle hydrologique plus variable avec, en particulier, une aggravation des extrêmes dans un pays aride sinon désertique : fortes inondations et sécheresses sévères. Très orageux, de très puissants cumulonimbus se transforment en trombes d'eau tardives (pluies hivernales arrivant au printemps) qui perturbent les moyennes».

Selon la même source, les acquis hydrauliques de la Tunisie ont été importants durant les années 70, 80, 90, à la lumière de ce que les sécheresses des années 60 suivies des crues de 1969 ont apporté comme informations utiles (le débit de l'oued Zéroud est passé de 3 m3/s, en moyenne annuelle, à 17.000 m3/s en débit de pointe de la crue) : barrages de différentes tailles, lacs collinaires dans le Nord et le Centre, forages dans le Centre et le Sud surtout, dessalement dans le Sud essentiellement, mais aussi 50.000 kms de réseau pour l'eau potable.

Changement de paradigme

L'essoufflement que l'on constate aujourd'hui n'est plus conjoncturel mais bien structurel. «La consolidation des acquis nécessite de regarder l'avenir sur la base d'une réflexion renouvelée, d'une nouvelle posture et d'un véritable changement de paradigme», précisent les experts.

La stratégie «Eau 2050» a adopté une démarche holistique prenant en considération, dans la modélisation, l'ensemble du système de l'eau, y compris le climat, la demande des régions et le comportement des usagers (le Tunisien consomme paradoxalement 120 l/j). L'intensification des cultures des 435.000 ha de périmètres irrigués n'excède pas les 80% alors que d'autres pays font 200%.

80% de l'agriculture irriguée contribuent à 43% de la production agricole, avec un rendement global des réseaux d'irrigation de l'ordre de 53%. Ainsi, «l'eau, mobilisée à grands frais par les barrages, subit de grandes pertes dans les systèmes d'adduction, au détriment de la consommation réelle. Un programme d'économie d'eau est en cours actuellement à 87%». La stratégie dénombre les réalisations accomplies dont 122 stations d'épuration traitant 300 millions de m3 d'eaux usées annuellement (90% de la population urbaine sont raccordés au réseau de l'Onas), 15 stations de dessalement dont 3 à partir de l'eau de mer. Le coût économique, actualisé en 2020, de l'eau naturelle produite est de 1,6 Dinars/m3. Celui de l'eau dessalée atteint 3,5 Dinars/m3.

«Cette eau est vendue à un prix qui ne reflète pas du tout son coût. Elle est subventionnée. Elle n'est pas non plus assez valorisée».

Ladite stratéie «Eau 2050» adopte un changement de paradigme basé sur une démarche de gestion d'un climat incertain. «L'année moyenne devient de plus en plus problématique et lorsque les années sèches s'accumulent, l'eau manque pour intensifier les cultures, entraînant une multiplication des forages illicites et la surexploitation des nappes». Le bilan actuel est déficitaire.

«Rappelons que les apports moyens sont de 4,9 milliards de m3 et que cette moyenne n'est obtenue que 1 année sur 3 dans le Nord, 1 année sur 8 dans le Centre et 1 année sur 20 dans le Sud. Cela ne posait pas beaucoup de problèmes tant que la demande était nettement inférieure à la ressource. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, car l'on entre dans le contexte d'un climat incertain nécessitant un savoir particulier basé sur des modèles statistiques probabilistes (analogues à ceux qui gèrent le risque de l'investissement dans la finance)», indique l'étude. L'étude révèle que la Tunisie dispose d'une réserve stratégique d'eau dans le Nord et qui se déverse en mer. «Elle est cependant soumise à une importante contrainte énergétique pour le pompage et le transfert, afin de la mettre à disposition du Centre et du Sud (Nexus Eau-Energie)».

Durant la dernière décennie, «le pays a connu 1 année moyenne (2019), 3 années sèches et 6 années tendues. Les 4 dernières années sont sèches. (2020-2023). «On avait la capacité de réguler 3 années sèches successives dans des conditions relativement acceptables de Mars à Octobre, malgré les risques. La 4e année de sécheresse complique considérablement la situation. Le barrage de Sidi Salem ne contient actuellement que 100 millions de m3 et le remettre en eau nécessite 2 années». «Eau 2050» se doit donc d'envisager différentes situations risquées au niveau des barrages, du transfert, mais aussi des réserves des nappes, l'enjeu étant, outre l'eau potable, l'agriculture irriguée dans des contextes où l'évapotranspiration sera accrue du fait de l'augmentation des températures.

L'autre pilier important de l'étude a été «l'eau verte». Deux produits stratégiques sont concernés : les céréales que l'on importe et l'huile d'olives que l'on exporte. «On subit un déficit annuel en céréales. Il est structurel. Il y aurait cependant lieu de raisonner sur les bilans annuels conjoncturels, durant toute une décennie par exemple, pour savoir si l'on est gagnant en termes de valeur ajoutée dans le marché international. Le cas du palmier dattier reste problématique car il se traduit par l'exportation d'importantes quantités d'eau fossile qui ne sont pas encore réellement valorisées au niveau requis».

Il est certain que l'économie de l'eau s'avérera nécessaire dans le futur, dans tous les secteurs. Le barrage de Sidi Salem est en train de s'envaser au risque de s'assécher du fait du changement climatique.

Scénarios retenus

Le scénario retenu, «eau et développement durable», privilégie l'eau potable pour tout le monde et en second lieu l'agriculture. L'équilibrage est assuré par les eaux non conventionnelles si nécessaire.

De même, il y aurait lieu de :

- sécuriser l'eau potable pour 15 gouvernorats par de nouveaux barrages dans le «château d'eau» du Nord, les autres gouvernorats disposant de nappes souterraines suffisantes. Le prélèvement nécessaire à l'eau potable ne concernera que 30% des ressources superficielles dans ces régions

- assurer la sécurité alimentaire, par l'irrigation complémentaire et l'augmentation de la productivité

- préserver l'environnement, à tout prix, par le traitement des eaux usées et la promotion d'une économie environnementale basée sur le calcul du «coût de l'inaction» comparativement à des «mesures de non-regret», la recherche de la résilience et de la valeur ajoutée par différentes techniques, la diversification des recyclages, et la recharge des nappes

- promouvoir une gestion efficace des inondations par la gestion climato intelligente et anticipée des balances de l'eau des barrages

- maîtriser la consommation de l'eau potable par la tarification.

(D'après l'étude «Eau 2050»/FIKD)

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