A la veille de la reprise au Sénat de l'examen du Projet de loi asile et immigration, Médecins Sans Frontières (MSF) s'insurge contre la proposition contenue dans ce projet visant à supprimer l'aide médicale d'État et alerte les parlementaires sur l'incohérence de cette proposition du point de vue de la santé publique.
L'aide médicale d'État est un dispositif qui permet aux personnes étrangères, sans droits à l'assurance maladie et déjà en situation d'extrême précarité et vulnérabilité, d'accéder à des soins. Dans le cadre de la loi asile et immigration, le gouvernement propose de supprimer ce dispositif et de le remplacer par une aide médicale d'urgence (AMU), qui serait centrée sur la prise en charge des situations les plus graves et sous réserve du paiement d'un droit de timbre.
« Les migrants et réfugiés qui arrivent aujourd'hui en France ont pour la plupart déjà survécu à de nombreux dangers au cours de leur parcours migratoire et beaucoup n'ont pas eu d'accès récent à des soins depuis des mois, voire des années. Supprimer l'aide médicale d'État, seul dispositif qui leur permette d'être soignés en dépit de leur situation administrative, est indigne du point de vue humain et incohérent du point de vue de la santé publique », alerte le Dr. Claudia Lodesani, infectiologue et responsable des programmes migration pour MSF en France et en Libye.
MSF, organisation médicale et humanitaire, est présente dans de nombreux pays de départ et de transit sur les principales routes migratoires vers l'Europe. En Méditerranée, en Tunisie, en Libye, en Pologne, en Belgique, en Grèce, en Italie, les équipes de MSF sont les témoins directs de l'impact dramatique des politiques migratoires sur la santé physique et mentale des personnes en migration.
A travers des cliniques mobiles déployées dans le cadre de projets à Calais, Marseille et à Paris, les équipes médicales de MSF opèrent depuis la crise migratoire de 2015 une veille sanitaire auprès des personnes migrantes et réfugiées, adultes et mineures, accompagnées ou non. Elles constatent la vulnérabilité particulière de ces personnes, accrue par une méconnaissance du fonctionnement du système de soins sur le territoire français.
« Près de la moitié de notre cohorte de patients vit dans des conditions de précarité et de vulnérabilité extrême, à la rue ou dans des campements. Une écrasante majorité ne parle pas le français et ne connait pas ses droits. 8 patients sur 10 n'ont aucune couverture maladie, alors même qu'ils pourraient être éligibles à l'aide médicale d'État. Invoquer le tourisme médical pour justifier la suppression de cette aide est un argument fallacieux : dans leur grande majorité ces personnes ne savent même pas qu'elles peuvent en bénéficier. », affirme Euphrasie Kalolwa, responsable plaidoyer pour la mission France de MSF.
Si les pathologies diagnostiquées par les équipes médicales de MSF en France auprès des personnes migrantes et réfugiées sont souvent la conséquence de leur parcours, elles sont aggravées par l'extrême précarité de leurs conditions de vie sur le territoire national. En effet, les conditions d'hygiène précaires, l'absence d'un logement digne, le manque d'accès à une alimentation saine et régulière et aux services de base, tels que les soins, peuvent aggraver les pathologies chroniques préexistantes et favoriser l'apparition de nouvelles pathologies.
Au cours des neuf premiers mois de l'année 2023, 70% des patients vus en consultation au cours des cliniques mobiles en Ile-de-France, souffraient des conditions médicales nécessitant d'examens plus approfondis et ont été orientés vers des structures de santé pour un suivi. Sur plus de 980 consultations, une souffrance psychique a par ailleurs été identifiée chez les patients. Sans l'ouverture des droits à l'aide médicale d'État qui accompagne ces orientations, les services de santé ne pourraient pas absorber le coût de ces prises en charge. L'accès aux soins serait alors refusé aux patients, qui reporteraient ou renonceraient à se soigner, jusqu'à l'émergence de complications.
« Les complications médicales ont un impact très lourd sur la santé individuelle et finissent par peser sur le système de soins. Penser faire des économies en augmentant la souffrance physique et psychique de ces personnes illustre le cynisme d'une politique migratoire qui se fait au mépris de la santé de l'individu et de la collectivité. MSF s'associe à l'ensemble des institutions, organisations du médico-social, associations et sociétés savantes qui s'opposent à cette proposition et demande le maintien de l'AME dans l'intérêt de la santé publique et au nom du droit universel à la santé. », conclut le Dr. Lodesani.