Un rapport plus qu'accablant truffé de révocations, de poursuites judiciaires et de bien d'autres déconvenues
Qu'en est-il du bilan de contrôle de la gestion communale au Maroc opéré par le ministère de l'Intérieur ? Selon un rapport dudit ministère joint à son projet de budget pour l'exercice 2024, le département de l'Intérieur a saisi les tribunaux administratifs du Royaume afin de révoquer 119 élus des collectivités territoriales.
Il a également poursuivi juridiquement 43 présidents de commune et 23 vice-présidents, en plus de 22 anciens présidents et 23 membres. A noter aussi que 58 membres ont été démis de leurs fonctions, dont 18 présidents de conseil communal, 33 vice-présidents et 7 membres de Chambres professionnelles.
Ledit rapport indique qu'au niveau des tribunaux administratifs, 83 arrêts ont été rendus, au moment où les Cours administratives d'appel ont rendu 65 décisions et qu'une seule décision a été rendue par la Cour de cassation. Cinq dossiers sont toujours en première instance, un est en appel et huit autres sont devant la Cour de cassation.
En outre, ledit document précise que les tribunaux administratifs, après avoir examiné les dossiers qui leur ont été soumis, ont décidé de dissoudre 4 conseils territoriaux, pour des raisons ayant affecté le fonctionnement de ces conseils et porté atteinte aux intérêts des communes à cause de divisions, de tensions et d'obstacles ayant gâché leur gestion.
Progression
Pour Abdelhamid Najah, expert en gestion locale et collectivités territoriales, les chiffres du ministère de l'Intérieur demeurent faibles au vu du nombre de communes au Maroc et d'infractions commises par les édiles. Toutefois, il estime que ces statistiques reflètent une progression de taille dans le contrôle de la gestion des élus. « La gestion locale a dû passer par plusieurs étapes avant de prendre la forme actuelle.
En effet, il y a eu la période d'impunité et d'irresponsabilité qui a marqué les premières années de lancement de l'expérience communale. Il a fallu attendre la fin des années 80 pour que l'inspection des collectivités territoriales relevant du ministère de l'Intérieur en prenne le contrôle avec l'aide de l'inspection générale du ministère des Finances.
A cette époque, leur rôle consistait à établir des rapports et à alerter les élus sur les distorsions dans l'application des lois sans prendre des sanctions importantes. Les années 2000 ont été marquées par la domination des Cours régionales des comptes qui ont lié la responsabilité de la gestion communale à la reddition des comptes. C'est l'époque où plusieurs dossiers ont été établis contre des présidents de commune, des vice-présidents et des fonctionnaires donnant lieu à des sanctions de nature parfois pénale », nous a rappelé notre interlocuteur. Et de poursuivre : « La domination des Cours des comptes s'est amplifiée au cours des dernières années grâce à l'accès à l'information via les nouvelles technologies. Aujourd'hui, tout est écrit et enregistré et le travail des élus est jugé selon des actes transcrits dans les PVS et autres documents ».
Limites
De leur côté, Aziz Bouzeggou et Zouhir Ajair soutiennent, dans leur article « Contrôle externe et gouvernance des collectivités territoriales marocaines », que les interventions des Cours régionales des comptes (C.R.C) «chargées d'assurer le contrôle des comptes et de la gestion des régions et des autres collectivités territoriales et de leurs groupements», sont « d'une fiabilité incertaine ».
Pour eux, le contrôle exercé par les C.R.C au Maroc est largement calqué sur le système français, basé sur le contrôle des Chambres régionales et territoriales des comptes, considéré, lui-même, par plusieurs chercheurs comme non pertinent et lacunaire.
En fait, le contrôle budgétaire exercé par ces Chambres, précisent les deux chercheurs, est ponctuel, réalisé uniquement sur demande du représentant de l'Etat. D'autant qu'il peut être ressenti par les élus comme vexatoire, gênant vis-à-vis de leur conseil, voire de leur électorat. En outre, le rôle de ces juridictions au Maroc se limite à l'expression de leur avis concernant le compte administratif rejeté (art. 143, loi n° 62- 99). En somme, cette intervention reste consultative et pédagogique et ne prend pas force exécutoire comme le confirme l'article 144 (Ibid.) qui met en exergue la possibilité donnée au ministre de l'Intérieur, au wali ou au gouverneur de prendre une décision motivée non conforme à celle de la Cour régionale.
Concernant le contrôle de la gestion exercé par ces Cours, les deux chercheurs estiment qu'il reste pluriannuel et très espacé dans le temps. Faute de disposer de moyens conséquents, les C.R.C. ne contrôlent réellement qu'un nombre limité des comptes des collectivités territoriales, affirment-ils.
Nécessité
Toutefois, Abdelhamid Najah tient à préciser que la gestion communale reste un terrain miné où n'importe quel élu peut commettre des contraventions délibérées ou non délibérées. « En effet, il est facile d'accuser un élu de mauvaise gestion, de refus d'appliquer les lois, d'abus de pouvoir ou autres. Notamment un président ou un vice-président qui ont d'importantes prérogatives ».
Notre source estime que le vrai problème est que l'ensemble de ces missions s'exercent sans certaines connaissances et certains savoir-faire de la part des édiles. « Et c'est là le piège dans lequel tombent plusieurs élus qui se jettent dans l'eau de la gestion communale sans formation préalable et sans expérience. D'autant qu'ils sont contrôlés par des juges bien formés qui jouissent d'une grande expérience en matière de gestion communale », a-t-elle noté.
Pour notre interlocuteur, la loi régissant les communes doit être revisitée afin de ne plus confier la gestion des communes à des individus sans formation et sans expérience. « Le législateur a fait des pas géants au niveau de la surveillance et du contrôle des communes, il est appelé aujourd'hui à faire de même concernant les individus qui président aux destinées des communes en imposant des conditions plus exigeantes concernant l'exercice de la gestion communale. Il est inconvenable qu'un juge de la Cour des comptes ait comme interlocuteur un président de commune analphabète et sans expérience aucune dans la gestion », a conclu Abdelhamid Najah.