Madagascar: Les civilisations meurent deux fois

Le 9 novembre 2018, il y a cinq ans presque jour pour jour, je titrais «Les civilisations sont mortelles».

Par je ne sais quelle réminiscence, le mot de Valéry m'est encore tout de suite venu à l'esprit dès connaissance de l'incendie au Rova d'Antsahadinta.

«Nous autres civilisations, disait Valéry en 1919, nous savons maintenant que nous sommes mortelles (...) les plus belles choses et les plus antiques et les plus formidables et les mieux ordonnées sont périssables par accident». Ici, tellement plus qu'ailleurs, nous avons conscience que ces «empires coulés à pic», ces «fantômes d'immenses navires», tous les Elam, Ninive, Babylone...ou Lusitania, c'est un peu nous.

Entre les perspectives inédites qu'ouvrait le traité du 23 octobre 1817 (dont le bicentenaire semble concerner davantage le Royaume-Uni que la République de Madagascar) ; la victoire d'estime portée par l'article 12 du traité de 1885 («Sa Majesté la Reine de Madagascar continuera, comme par le passé, de présider à l'administration intérieure de toute l'île») ; le vain espoir autour de la proposition de loi du 21 mars 1946, à l'Assemblée nationale constituante, déposée par les députés Ravoahangy-Andrianavalona et Joseph Raseta : «La loi du 6 août 1896 est et demeure abrogée. Madagascar est un État libre»...

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Chaque fois, une promesse civilisationnelle avortée, tuée dans l'oeuf, par le protectorat de décembre 1885, ou l'annexion d'août 1896, ou le quiproquo de mars 1947...

Rome aurait pris conscience d'elle-même quand parut l'opposition tranchée entre Romania et Barbaria.

Chez nous, la certaine idée de nous-mêmes, était-ce avant ou après le 6 novembre 1995, et l'incendie du Rova d'Antananarivo ?

Était-ce avant ou après que les Trano Gasy ont été méthodiquement abattues pour faire place à des tours de béton ou que les rizières du Betsimitatatra ont été remblayées pour installer des lotissements pieds dans l'eau ?

Dix-neuf ans s'étaient écoulés entre le 11 septembre 1976 (incendie du palais d'Andafiavaratra) et le 6 novembre 1995 (incendie du Rova d'Antananarivo) : on savait que ces patrimoines historiques étaient mortels, mais l'indifférence à l'Histoire et son Patrimoine a été érigée en mode de gouvernance.

Le Rova d'Ambohidratrimo a déjà brûlé combien de fois entretemps ? Pour information : quarante-sept ans après le feu à Andafiavaratra et vingt-huit ans après l'incendie à Anatirova, aucune caserne de sapeurs-pompiers n'existe pour «sanatria» protéger le Rova d'Ambohimanga...

Ce soir-là, à Antsahadinta, et devant tous les Antsahadinta de Madagascar, il y avait combien de gardes étatiques en faction ?

Le lendemain, de bonne heure, une escouade de gendarmes campaient à proximité du domicile de l'opposant Marc Ravalomanana.

Distorsion proprement effarante dans l'ordre des priorités.

Extraits de la Chronique de novembre 2018 : Il y a quarante-trois ans, Madagascar pénétrait en aveugle dans un tunnel socialiste dont toute une «génération sacrifiée» ne verra jamais la sortie.

Un jour, on dressera le bilan éducationnel, culturel et moral, de ces années socialistes, mais on sait déjà que ces années ont corrodé le «fanahy no olona» (c'est le texte dans le dictionnaire Abinal/Malzac datant de 1888), la droiture qui fait l'homme.

La ruine matérielle se double, en effet, d'une faillite morale dont les racines plongent loin, plus loin que 2018, que 2013, que 2009, que 2002, que 1991.

Malaise au vivre ensemble, défiance envers ceux qui prétendent nous gouverner, un sentiment où la colère la dispute à la honte.

Quelque chose se craquelle, et ce diffus pourrait-il n'être finalement qu'un vernis ?

Qu'une digue menace de céder et l'on saura très exactement, à la seconde près, l'heure de la fuite fatale.

Personne ne pourra prédire où et quand s'épuisera le tsunami.

En 1946, naissait une association au nom évocateur, «Civilisation».

Deux années plus tard, «Civilisation» publiait le premier numéro de la revue «Chemins du Monde» que son rédacteur en chef annonçait par ces mots : «La barbarie est toujours prête à renaître dans nos coeurs, mais un jugement droit au coeur d'un seul homme est déjà la promesse d'un effort juste, et une victoire pour les civilisations».

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