Ile Maurice: Démocrates de tous bords, unissons-nous

Dix ans de cela, quand je travaillais à Washington, D.C., au sein d'un think tank se focalisant sur le développement en Afrique, des experts en Comparative Politics aimaient bien me questionner sur la recette de Maurice qui était alors une référence en Afrique sur le plan démocratique. Depuis, le déclin s'est progressivement installé. Des chercheurs en gouvernance et démocratie me posent désormais la question contraire : comment expliquez-vous le recul démocratique de Maurice ?

Après V-Dem, Afrobarometer, Reporters Sans Frontières, c'est maintenant l'organisation intergouvernementale International IDEA (International Institute for Democracy and Electoral Assistance) qui vient confirmer, cette semaine, dans son rapport 2023, le cas inquiétant de Maurice.

Voici ce que les experts internationaux ont désormais à dire sur notre pays :

· 1. Maurice se classe parmi les six pays africains (sur 54) qui ont connu les baisses les plus significatives durant ces cinq dernières années en matière de Représentation, d'État de Droit et de Droits/Libertés individuels et Participation citoyenne.

· 2. En termes de Représentation, Maurice est passé de la 29e place en 2017 à la 72e en 2022, ce qui pointe vers des problèmes de crédibilité électorale et d'efficacité législative (le récent jugement du Privy Council ne change pas la perception).

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· 3. L'État de Droit a souffert, Maurice ayant chuté de 18 places pour se retrouver 88e en 2022 alors qu'on était 70e en 2021.

· 4. Sur la question des Droits et des Libertés, on a également décliné, Maurice passant de la 44e place en 2017 à la 66e en 2022.

Comme membre de l'Union africaine, nous ne faisons pas mieux. Un recul démocratique est observé au Bénin, aux Comores, à Maurice et en Tunisie. Autres observations : l'espace civique est en réduction à Maurice et dans quelques autres pays. L'État de Droit a connu un recul important en Tunisie, à Maurice, au Burkina Faso et au Niger.

Davantage que cette photographie de l'IDEA, c'est la tendance vers le bas qui devrait nous préoccuper. C'est facile de voir notre pays avec des lunettes roses, mais la réalité est autre. Ces experts qui nous donnent de bons ou de mauvais points ne sont pas des partisans de nos partis ou dirigeants politiques. Raison pour laquelle on devrait se pencher sur leurs analyses et recommandations avec détachement et sérieux.

C'est en avril 2021 que l'opinion internationale prend conscience du fait que l'ancien élève-modèle de l'Afrique qu'était Maurice n'est plus une référence en matière démocratique. Le V-Dem Report des Suédois classe désormais Maurice dans la liste des Top 10 «Autocratising Countries» (nous passons de «Liberal Democracy» à «Electoral Democracy»). En jargon plus simple, nous sommes perçus par ceux qui font des études comparatives sur les différents systèmes démocratiques de par le monde comme étant un pays qui ne fait qu'organiser des élections chaque cinq ans, avec peu ou prou d'institutions indépendantes, capables d'assurer les «checks and balances» critiques au fonctionnement d'une démocratie au jour le jour. «Blatant examples are Parliament, non-respect of political opponents, an ineffectual state, non-independent anticorruption bodies, function of the central bank and the list goes on (...) As a matter of fact, Mauritius has registered a 0.23 drop in the last decade - an important swing», explique l'un des Democracy Scholars qui suivent notre pays de près, depuis qu'on a raflé la première place au tableau de Mo Ibrahim en Afrique.

Le gouvernement réalise que ces indicateurs démocratiques, économiques et financiers sont sérieux, mais il tente de les minimiser.

Le rapport 2022 de V-Dem, publié en mars, indique qu'il y a 15 pays qui se démocratisent et 32 qui s'autocratisent. Madagascar, Malawi, Seychelles et Gambie sont les seuls quatre pays en Afrique subsaharienne qui ont connu des gains démocratiques. Fait notable : plus du double - 11 pays de la région - ont régressé par rapport à 2011 : Bénin, Botswana, Burundi, Comores, Ghana, Côte-d'Ivoire, Mali, Maurice, Mozambique, Tanzanie et Zambie.

Donc, au lieu de prendre le carton rouge de V-Dem, brandi en avril 2021, en considération, le régime de Pravind Jugnauth continue de faire du tort à l'état de notre démocratie, notamment en refusant de nous donner une Freedom of Information Act, une télévision libre et privée, une réforme électorale pour se débarrasser des critères ethniques, qui nous retiennent en arrière. À la place, nous avons une armée de chatwas, qui pullulent dans nos ministères, corps parapublics, compagnies publiques, ambassades, aux frais des contribuables. Et qui applaudissent Pravind Jugnauth matin, midi et soir.

Les avancées démocratiques des derniers 30 ans sont aujourd'hui anéanties. Le nombre de «démocraties libérales» a chuté à 34 en 2021, soit le plus faible nombre depuis 26 ans, alors que les autocraties sont passées de 25 à 30 entre 2020-2021. L'autocratie électorale reste le régime le plus répandu dans le monde - 60 pays. Ces autocraties abritent désormais 70 % de la population mondiale, soit 5,4 milliards de personnes.

Un nombre record de 35 États souffrent de sérieux déficits en termes de liberté d'expression aux mains des gouvernements. Il y a dix ans, il n'y en avait que cinq. Autre tendance inquiétante : l'autonomie des organes de gestion électorale a été sapée de manière continue par les gouvernements qui placent des «yes-men», qui caressent les dirigeants dans le sens du poil.

Le rapport 2022 de V-Dem (téléchargeable en suivant le lien https://vdem.net/media/publications/dr_2022.pdf) est publié alors que le monde fait face à une guerre en Europe provoquée par un autocrate, et au retour de l'armée qui fait des coups d'État en Afrique. Le monde connaît de nouveaux sommets d'autocratisation et Maurice, ancien élève modèle, n'est pas en reste. Le déclin de la démocratie au cours de la dernière décennie reste donc un phénomène autant mauricien que mondial. La vague d'autocratisation, qui s'intensifie, souligne la nécessité de nouvelles initiatives pour défendre la démocratie au-delà des partis politiques traditionnels.

Cette année, les Suédois de V-Dem tirent une nouvelle fois la sonnette d'alarme. Notre pays n'est durablement plus perçu comme une «full democracy». Au contraire, nous sommes classés parmi les plus rapides autocratisers.

Aujourd'hui, alors que nous célébrons nos 55 ans d'Indépendance, face au reflet que nous renvoient V-Dem, Afrobarometer et Reporters Sans Frontières et l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale (IDEA, une organisation internationale regroupant 34 États, dont Maurice), nous n'avons d'autre choix que de reprendre notre destin en main, si on veut sortir du groupe des Top 10 Autocratisers. Il n'y a pas 10 000 solutions : il faut regrouper tous les démocrates du pays pour venir à bout de «la mafia» (pour reprendre le terme de Pravind Jugnauth) qui contrôle nos institutions de manière autocratique.

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