Un raid pour le moins audacieux et méticuleusement préparé par des assaillants lourdement armés et bardés de fétiches, a réveillé le quartier de Coronthie au son d'armes de tous calibres, le 4 novembre dernier, pour sortir de la prison pour une destination inconnue, les détenus les plus emblématiques de la Guinée.
Il s'agit notamment de l'ancien président, Moussa Dadis Camara, de son ministre de la sécurité présidentielle, Claude Pivi dit Coplan, de son Secrétaire d'Etat chargé des services spéciaux, de la lutte anti-drogue et du grand banditisme, Moussa Tiegboro Camara, et de Blaise Goumou, tous des militaires et responsables de haut rang contre lesquels pèse une litanie de charges suite à la répression sanglante du 28 septembre 2009 et jours suivants, à Conakry.
C'est une exfiltration qui a marqué les esprits et laissé les Guinéens bouche bée, de par son côté insolite, culotté et particulièrement ingénieux, et qui a manifestement tiré profit de la balourdise des gardiens de prison qui étaient probablement dans les bras de Morphée quand les premiers tirs ont commencé.
La prudence doit être de mise
Aux premières lueurs de l'aube de ce 4 novembre, les habitants de ce quartier qui abrite la prison civile et la présidence de la République, ont eu la peur de leur vie avec ces tirs nourris d'armes automatiques dont ils ne connaissent ni la cause ni les auteurs, encore moins les aboutissants dans un pays chroniquement malade de sa stabilité comme la Guinée-Conakry. S'agissait-il d'une tentative d'évasion ? D'un enlèvement ?
Ou d'un coup d'Etat en cours, bien que le mercure politique ait baissé depuis l'arrivée aux affaires du Colonel Mamady Doumbouya ? Une enquête ayant été ouverte pour élucider les circonstances de cette tentative hardie d'exfiltration de ces pensionnaires de la prison supposément de haute sécurité, il va falloir en attendre les conclusions pour connaître l'identité des assaillants et le mobile de leur opération.
Mais d'ores et déjà, beaucoup de Guinéens pointent du doigt un ancien sous-officier radié des effectifs de l'armée en 2011 pour des actes de banditisme, qui serait, selon plusieurs sources, à la tête du commando qui a attaqué la Maison centrale.
Le sergent Verni Pivi, puisque c'est de lui qu'il s'agit, aurait agi pour libérer son père, le colonel Claude Pivi emprisonné depuis le 27 septembre 2022 et comparaissant comme ses dix co-accusés devant le tribunal criminel de Dixinn pour des faits graves à eux reprochés dans la commission des crimes, le 28 septembre 2009, au stade éponyme.
Cette version est d'autant plus crédible que Verni Pivi a véritablement le profil de l'emploi, puisqu'il a été chassé de la Grande muette pour avoir participé à un braquage à main armée en 2010 à l'issue duquel lui et ses acolytes ont emporté plus de 2 milliards de francs guinéens et une impressionnante quantité d'or.
Puis étaient activement recherché depuis janvier 2023, pour association de malfaiteurs après avoir planifié une première opération pour sortir son géniteur du cachot. On comprend d'ailleurs pourquoi des quatre détenus, seul Claude Pivi est toujours en cavale, les trois autres dont Moussa Dadis Camara étant retourné en prison de leur propre gré si l'on en croit leurs avocats.
Selon toute vraisemblance, il y a eu trois enlèvements et une évasion en ce samedi matin, dont les « bénéficiaires » ont un dénominateur commun, celui d'être à la fois originaires de la même région et toujours populaires au sein de la troupe.
De quoi faire craindre des ramifications et des ralliements possibles au groupe de "ravisseurs" toujours en fuite, qui pourraient déboucher sur des revendications corporatistes ou politiques. Et de là à exiger le départ du président de la République, il n'y aura qu'un petit pas que d'éventuels putschistes en herbe franchiront allègrement pour assouvir leur rêve de reconquête du pouvoir.
C'est vrai que les autorités guinéennes ont tout de suite affirmé que les institutions de la République ne sont pas menacées, mais la prudence doit être de mise aussi longtemps que les fugitifs n'auront pas été tous arrêtés.
Espérons que les responsabilités seront situées à l'issue de l'enquête ouverte
Il serait, en tout cas, hasardeux de penser que les célèbres détenus de la Maison centrale ont tous voulu s'évaporer dans la nature afin d'éviter de subir les foudres de la Justice à l'issue de leur procès en cours, en minimisant l'objectif in fine des assaillants qui est de changer opportunément le régime et de redistribuer les cartes.
Quoi qu'il en soit, le président Mamady Doumbouya a du mouron à se faire, d'autant que cette descente musclée sur la plus grande prison de la Guinée, révèle un système de sécurité lacunaire autour des sites sensibles, et met en lumière le niveau stupéfiant d'incompétence et de laxisme de ceux qui auraient dû prendre des mesures fermes pour assurer la sécurité des Guinéens.
Et notamment des hautes personnalités de la République et de toutes les parties prenantes au procès historique en cours. Espérons que les responsabilités seront situées à l'issue de l'enquête ouverte, et que le colonel Claude Pivi, toujours dans le cosmos au moment où nous traçons ces lignes, sera retrouvé saint et sauf et ramené dans le box des accusés pour la suite des débats sur le massacre sans exemple dans l'histoire récente de la Guinée, perpétré le 28 septembre 2009.