Sénégal: A trop tirer sur la corde Sonko...

analyse

C'est un nouveau pavé dans la mare de l'avant-élection présidentielle sénégalaise du 25 février 2024. Vendredi dernier, un décret signé par Macky Sall a mis fin aux fonctions des 12 membres de la Commission électorale nationale autonome (CENA).

A 4 mois de l'échéance, ce renvoi des arbitres de la compétition et la désignation de nouveaux maîtres du jeu électoral répondent à un timing qui interroge plus d'un observateur. En effet, ce licenciement collectif des membres de la CENA est intervenu 3 jours seulement après que son président, Doudou Ndir, avait envoyé une lettre à la Direction générale des élections, un service du ministère de l'Administration territoriale, pour lui recommander de réinscrire l'opposant emprisonné, Ousmane Sonko, sur les listes électorales et de fournir à ses mandants les fiches nécessaires au parrainage de sa candidature.

Ce faisant, Doudou Ndir et les 11 autres membres de la CENA ont posé un acte de rébellion contre la position officielle du gouvernement Macky Sall qui a entériné sa radiation des listes électorales suite à sa condamnation à 2 ans de prison dans une affaire de moeurs. Du reste, une décision de la Cour suprême sénégalaise est attendue dans une autre affaire, celle de diffamation, dont Ousmane Sonko se serait rendu coupable sur la personne du ministre du Tourisme. Condamné là aussi à 6 mois de prison, Ousmane Sonko court le risque de perdre ses droits civiques si après la Cour d'appel la Cour suprême confirmait ce verdict.

Mais voilà, la CENA dissoute n'a pas attendu la décision de la Cour suprême avant d'appeler le ministère de l'Administration territoriale à redonner à Ousmane Sonko ses droits d'électeur et d'éligibilité. Le casus belli parfait pour le pouvoir sénégalais qui ne veut pas voir le truculent opposant ; pas même en peinture. Pourtant Doudou Ndir et les membres de la CENA dissoute n'ont fait que suivre l'avis du tribunal de Ziguinchor, ville dont est maire Ousmane Sonko, qui a invalidé en septembre dernier la radiation de ce dernier des listes électorales. En sus, ils sont dans leur rôle en recommandant au gouvernement d'annuler cette radiation. Car selon la loi, la CENA contrôle et supervise l'ensemble des opérations électorales. Elle veille à leur bonne organisation matérielle et apporte les corrections nécessaires à tout dysfonctionnement constaté.

C'est dire que Doudou Ndir et ses collaborateurs étaient dans leur rôle en demandant la régularisation de la situation électorale de l'emblématique opposant. C'est à croire que le gouvernement Macky Sall s'est montré frileux en les remplaçant vite fait, bien fait dans une logique de sanction. C'est en tout cas l'avis de bien des Sénégalais, qui font remarquer que le mandat des membres de la CENA, notamment celui de son président, a expiré depuis 2015 et qu'ils étaient tous encore en poste par la seule volonté du président Macky Sall. La récente dissolution procède donc du fait que le président de la CENA a écrit au ministère de l'Administration territoriale pour recommander qu'Ousmane Sonko soit réinscrit sur les listes électorales.

Dès lors, Macky Sall tire, on peut le dire, un peu trop sur la corde Sonko, au risque d'en faire un martyr, voire un héros. Attention alors à la réaction des électeurs qui pourraient s'inscrire dans un vote protestataire contre la coalition Benno Bokk Yakaar et son candidat, le Premier ministre et dauphin désigné, Amadou Ba, déjà fragilisé par des dissensions internes à son parti ! Et si la victoire du camp présidentiel à la présidentielle du 25 février 2024 passait par la nécessité de ne pas trop tirer sur la corde d'exclusion d'Ousmane Sonko du jeu politique sénégalais ? On attend de voir !

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