Ile Maurice: «Si Ramgoolam présentait Duval comme son numéro deux et Uteem sur le 'front bench'...»

interview

Amédée Darga, sondeur et directeur du cabinet d'études Straconsult, nous livre son analyse du dernier baromètre politique Synthèses-«l'express». Il souligne les convergences avec un exercice similaire effectué il y a trois mois. Entretien.

Comme sondeur et observateur politique de carrière, comment accueillez-vous ce taux de 68 % des Mauriciens qui ont soif d'un nouveau leader ?

Pas du tout surpris. S'il est vrai qu'un sondage est une photographie de l'opinion à un moment donné, je suis en mesure de comparer aux sondages effectués par Straconsult et je vois une tendance claire. Il y a clairement un souhait grandissant pour un nouveau leadership du pays. Dans un sondage de Straconsult mené en face à face en août 2023 pour le compte d'un client privé, à la question «Aux prochaines élections, qui souhaiteriez-vous avoir comme Premier ministre - PKJ ou NCR ?», 66 % ont répondu aucun des deux.

N'est-ce pas paradoxal que plus de deux Mauriciens sur trois veulent du renouveau mais rejettent les nouveaux partis extra-parlementaires qui pourtant s'agitent pas mal, surtout en termes de conférences de presse ?

Il est certain que les partis traditionnels n'ont plus l'adhésion partisane majoritaire dans le pays, mais il n'y a aucun nouveau parti extra-parlementaire qui se présente comme un potentiel parti pouvant constituer un gouvernement. Ces nouveaux partis n'ont pas compris la formule essentielle que recherche l'électorat, à savoir : (1) est-ce que je vois un capitaine fort, que je perçois comme compétent et moderne, (2) est-ce que ce capitaine a une équipe de front qui me faire faire «wow», (3) est-ce que ce parti exprime mes angoisses et mes douleurs, et me donne des propositions claires pour me faire croire dans un avenir meilleur si je le vote. Cela n'existe pas encore. Il y a des «capitaines» de divers partis ; aucun n'a encore été perçu comme une vraie alternative, un gouvernement en puissance. Les égos empêchent le rassemblement des forces. Aucun de ces partis ne présente une équipe de front «wow». Les discours sont essentiellement dans le rejet de l'existant. Or, le vote de rejet n'amène pas forcément l'adhésion à soi. Faute d'alternative, le rejet peut se traduire dans un vote «kia fer» en faveur des partis traditionnels.

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Ceci dit, il est très probable que nous allons assister pour la première fois à l'élection de quelques têtes venant de ces nouveaux partis. Et si les résultats des deux grands blocs sont serrés, aucun ayant une majorité, il se pourrait que ces quelques-uns se trouvent dans la position de «King Maker».

D'où va émerger le nouveau politique mauricien s'il ne vient pas des nouveaux partis ? Avant les prochaines élections, y a-t-il suffisamment de temps pour trouver ou fabriquer un nouveau leader ?

Il y a deux perspectives à considérer. La première, c'est que ce nouveau leader émerge des partis traditionnels et la seconde, que ce soit un ou une nouvelle tête qui se déclare. Pour la seconde perspective, il est déjà très tard mais ce n'est pas impossible. S'il se trouve un homme ou une femme qui a un bon profil qui ne braque pas une partie importante de l'électorat dès le départ, qui présente une personnalité vraiment puissante, qui est perçue comme compétente, moderne, capable de refléter les aspirations de la majorité de l'électorat, qui soit prêt à descendre sur le terrain, de faire un vrai pèlerinage dans tous les villages et les villes soutenus par une communication puissante au niveau des réseaux sociaux, il peut y avoir un gros bouleversement en quelques mois. On a vu cela ailleurs ; Macron ou Zelensky. Il se chuchote qu'il y aurait une ou deux personnes ayant cette velléité, mais encore faut-il qu'il ou elle soit prêt(e) à prendre le risque et s'y plonger sans tarder.

Ce n'est pas du MSM que viendra un nouveau leader. Pravind Jugnauth est encore jeune comparé à son principal adversaire et il voudra compléter deux mandats pleins. Navin Ramgoolam pense que sans lui, il n'y a point de salut pour le Ptr.

Malheureusement, si on se targue d'être un pays démocratique, on est encore à l'état quasi féodal des partis. Que ce soit en Angleterre ou en Inde, les partis restent les mêmes mais les leaders changent régulièrement. L'intérêt des partis prime sur l'intérêt des leaders.

Revenons aux partis traditionnels ou les partis dits nationaux ? Comment expliquez-vous que le MSM caracole en tête (avec 19,7 %) face aux trois partis (PTr, PMSD et MMM) qui ont une histoire politique bien plus vieille...

Dans le sondage mené en février 2022, nous avions le même résultat de 18 % pour le MSM et de 13 % pour le PTr. C'est dire que malgré tous les scandales, toute la campagne des forces de l'opposition parlementaire et extra parlementaire, le MSM tient bon.

En revanche, l'alliance de l'opposition en s'appuyant sur les forces des trois partis a un avantage sur celle du gouvernement (36 % contre 24,8 %) tant dans les régions urbaines que rurales?

Intéressant. Faudra voir si cela se maintient, voire s'amplifie, à l'avantage de l'alliance de l'opposition. Faudrait aussi voir la démographie du soutien de l'un et de l'autre.

Straconsult fait régulièrement des sondages politiques pour des groupes ou partis, mais les résultats ne sont pas publiés (mais remis aux commanditaires). Comment comparez-vous vos chiffres à ceux du dernier sondage Synthèses-«l'express»...

Nous faisons plusieurs sondages mais il n'y a que le sondage Afrobarometer que nous rendons public. Toutes nos enquêtes sont faites en face à face ; nous préférons éviter le téléphone qui peut parfois biaiser les réponses. Les échantillons peuvent être différents mais doivent impérativement avoir une approche rigoureusement scientifique. Enfin c'est aussi dans la manière de poser les questions. Nos questions ne sont pas exactement les mêmes que celles de Synthèses, mais il y a concordance des résultats en ce qui concerne la politique. La tendance est claire.

En termes de préférence partisane, Le sondage de Synthèses-l'express donne 19,7 % au MSM et 11 % au PTr. Le sondage Straconsult de février 2022 donnait 18 % au MSM et 13 % au PTr. Si l'on ajoute les chiffres d'adhésion des quatre partis traditionnels, notre sondage février 2022 donne 36 % et celui de Synthèses-l'express 2023 donne 46,6 %. Donc, les deux sondages disent qu'ils sont minoritaires.

Peut-on s'attendre à un renouveau lors des prochaines législatives ou va-t-on prendre les mêmes et recommencer, faute d'avoir pu ou su faire de la place aux jeunes ?

Faute d'un nouveau parti, un renouveau pourrait aussi arriver par les partis traditionnels si les leaders le veulent ou y trouvent la nécessité pour gagner. Les jeunes ne sont pas l'apanage du meilleur en politique. Il y a de «vieux» jouisseurs et prédateurs, et il y a des jeunes voraces et vautours. Il y a de jeunes qui veulent entrer en politique de avoir leur tour pour manger. Le pays a besoin d'hommes et de femmes compétents, modernes, justes, qui croient dans la méritocratie et qui ont une vision de la gouvernance non sur le court terme pour leur réélection dans cinq ans, mais pour une vraie croissance économique et un futur rassurant pour tous.

Dans l'état actuel de la scène politique en l'absence d'une alternative viable, pourrait-on voir un certain renouveau des acteurs traditionnels ?

Pravind Jugnauth jouit encore d'une note relativement favorable. Le sondage Synthèses-l'express le présente comme le Premier ministre le plus performant depuis l'Indépendance. Dans un sondage effectué seulement trois mois de cela, soit en août 2023, répondant à la question «Est-ce que vous approuvez ou désapprouvez la performance du Premier ministre sur les 12 derniers mois ?», seulement 47 % ont exprimé leur désapprobation. Il pourrait bien nettoyer son équipe et présenter une équipe de gros calibres perçue comme compétente et professionnelle, ne traînant aucune casserole.

Si Navin Ramgoolam, lui, se dotait aussi d'une vraie équipe de front perçue comme un futur gouvernement prometteur, s'il acceptait de désigner un successeur, s'il prenait publiquement l'engagement de faire un demi mandat, et s'il présentait Xavier-Luc Duval comme numéro deux, un Reza Uteem sur le front bench et un professionnel crédible comme futur ministre des Finances, cela pourrait donner un sentiment de renouveau...

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