Burkina Faso: Peinture murale Kassena - Le « dora », une prouesse artistique féminine à l'épreuve du temps

6 Novembre 2023

L'architecture traditionnelle Kassena, dans la province du Nahouri (Po), est particulière de par ses décorations externes. Encore appelé "dora" en langue locale Kassena, cet art pictural relève particulièrement de l'ingéniosité et du savoir-faire des femmes. Un héritage culturel auquel elles s'évertuent à donner encore vie en dépit de l'usure du temps. A la découverte de ce chef-d'œuvre artistique féminine, en ce mois d'octobre 2023.

Sur le fond ocre de la façade extérieure des murs et des cases de la cour royale de Tiébélé, dans la province du Nahouri, sont peintes en noir et blanc des représentations variées. Les rayons du soleil qui dardent les parois de cet agglomérat de concessions, en cette mi-journée du jeudi 19 octobre 2023, donnent encore plus d'éclat à ces figures. De près, les décorations se détachent distinctement les unes des autres dans une quasi parfaite symétrie. Ici, on aperçoit des symboles qui se composent de triangles isolés ou accolés par les sommets ou les côtés adjacents, des losanges qui se superposent les uns sur les autres à l'intérieur de droites parallèles, des lignes discontinues décrivant une progression en dents de scie...

Là, ce sont des figures d'objets à usage domestique comme les cauris, le tam-tam, l'armoire de calebasses, la canne, la pipe, le cache sexe, les pointes de flèches, le filet de pêche... Ailleurs, sont représentés des animaux, en entier ou partiellement : le boa, le lézard, la tortue, les ailes d'épervier et de poule, la patte du coq, les ailes de la sauve-souris... Certaines représentations sont justes des peintures à mains levées sur la couche en terre qui recouvre les murs. D'autres, par contre, y sont gravées à l'aide d'objet pointu avant d'être peintes. D'autres encore sont mises en relief et se détachent, au-dessus de la surface de la couche qui les supporte. Quelles soient abstraites ou une imitation de la nature, les mains auteures de ces oeuvres ont usé de finesse et d'habilité.

Une experte féminines

Les représentations qui tapissent la plupart des 126 cases et les murs de la cour royale sont dénommées "dora" en langue locale Kassena. Tout comme l'architecture particulière des cases en forme circulaire, rectangulaire et en 8 couché, les décorations murales répondent à une culture ancestrale. « C'est notre identité, c'est un héritage de nos ancêtres », résume Abdou Bayeidiena, l'un des guides des lieux, lui-même habitant de la cour royale. Il explique que si les hommes se voient réservés la tâche de la construction, toute la phase décorative revient exclusivement aux femmes.

C'est de leurs mains expertes, ajoute-t-il, que sortent les couleurs et les figures qui donnent un cachet authentique à l'habitat Kassena. La raison que donne personnellement le guide à cette répartition du travail, c'est la force physique que nécessite chacune des tâches, le plus dure étant l'apanage du sexe masculin, estime-t-il. « Nous sommes nées trouver que c'est comme cela », avance, pour sa part, Kayè Tintama, la doyenne d'âge des femmes de la cour royale désignée Trésor humain vivant depuis 2015 pour sa contribution à la préservation et la valorisation du "dora".

A 85 ans et les rides saillantes, la mamie, comme on la désigne dans la cour, est toujours pleine d'entrain à évoquer cet art ancestral. Cette pratique qui, dans le temps, se faisait collégialement en fin de récoltes et dans une ambiance bon enfant, dit-elle, était une occasion d'expression de solidarité et de rapprochement entre les femmes Kassena. « Quand une femme avait sa case à décorer, elle faisait l'annonce, des jours à l'avance et les autres se préparaient et venaient l'aider à le faire », raconte-t-elle.

Alignées, de petits galets en mains en cette matinée du jeudi 19 octobre 2023, un groupe de femmes lissent les rebords du mur d'une case, frottant la paroi de façon répétitive. Les pierres polies glissent du haut vers le bas, de la gauche vers la droite et de façon circulaire. Chacune des femmes s'applique, le visage orienté vers la main à l'oeuvre.

Un minutieux travail d'étapes

Les éclats de rire et les échanges de propos sont continus. Le travail qui est donné à voir par ces femmes du groupement Pèbatchoga, qui signifie littéralement en langue locale « le chef ne détruit pas », est une simulation d'un bout du processus de réalisation des décorations. A cette étape de leur tâche, elles sont au lissage qui précède les dessins proprement dits, expliquent-elles.

Mais avant cela, il y a le travail en amont de la préparation des matériaux, tous issus des ressources locales. L'argile, le basalte, le calcaire, le kaolin, la bouse de vache et les écorces de néré sont, entre autres, matières premières utilisées pour réaliser les surfaces à décorer et composer les principales couleurs que sont le rouge-ocre, le blanc et le noir. Kalira Nion, la responsable du groupement Pèbatchoga connait bien le travail du "dora" de bout en bout.

« On fait d'abord une terre collante avec de l'argile mélangée avec la bouse de vache bien pétrie. On ramasse la pâte pour la talocher sur le mur à plusieurs reprises. A l'aide d'une pierre plate, on essaie de lisser cette première couche. Ensuite, on fait une deuxième couche avec de la latérite rouge qui est passée sur la première puis on la lisse aussi avec la pierre. On laisse sécher les deux couches un certain temps et après, on réalise maintenant les dessins avec le noir qu'on obtient à partir du basalte pilé avec un liquide gluant de chez nous.

On utilise les plumes de pintade ou de poulet comme pinceaux pour faire les dessins », résume-t-elle. Pour une case entière, précise dame Nion, le travail, dans le respect de la durée des étapes, prend une à deux semaines pour les femmes. « Aujourd'hui, il arrive qu'on travaille sous pression et là, nous prenons quatre à cinq jours pour le faire mais le résultat n'est pas identique », confie-t-elle.

« Tout a un sens »

Pour le visiteur de la cour royale, le "dora" est sans doute un beau travail artistique. Des couleurs, des figures et des symboles agréables au regard et qui embellissent les lieux. Aux yeux des initiés, il revêt une autre connotation au-delà de l'esthétique. « Tout a un sens pour nous », révèle le guide Abdou Bayeidiena. « Tout ce que vous voyez, ce sont des messages », ajoute-t-il, alors qu'il emprunte une piste menant à un espace familial au coeur du « labyrinthe » de cases et de murs constituant la cour royale.

En ce lieu, il indique une pierre en granite posée à proximité de la porte d'entrée d'une case. « Dans le temps, le soir venu, c'est là que la grand-mère prenait place et les jeunes s'asseyaient tout autour. Et tout ce que vous voyez comme dessins sur les murs, elle s'en sert pour les éduquer », soutient-il. Les triangles par exemple, détaille M. Bayeidiena, sont des représentations de morceaux de canaris pour rappeler aux enfants qu'ils doivent prendre garde à ne pas les casser car pour les Kassena, le canari est très important.

« On s'en sert comme ustensile mais aussi lorsqu'on qu'on veut creuser une tombe », poursuit le guide, dans ses explications en lien avec les représentations picturales. Pour le filet de pêche, dit-il, le dessin sert à rappeler aux enfants qu'au peuplement de la zone, les hommes s'en sont servis vers la frontière ghanéenne pour trouver du poisson et revenir nourrir leurs familles qui éprouvaient des difficultés à avoir de quoi manger.

« Si on prend les dessins d'animaux aussi, le boa est la réincarnation de la grand-mère décédée, la tortue, l'animal totem de la cour royale et le lézard est le premier visiteur des nouvelles constructions », détaille également Abdou Bayeidiena. Des explications données par les femmes du groupement Pèbatchoga, connaître le sens de ces représentations murales était capitale pour toute femme Kassena.

« On disait qu'une femme qui connaissait le sens des dessins connaissait la vie du Kassena et à contrario celle qui en ignorait le sens était taxée d'inculte et c'était pareil pour une femme qui n'avait pas sa case décorée », renchérit le guide de la cour royale. Le "dora" a connu de bien meilleurs jours du peuplement Kassena à l'avènement des civilisations occidentales en référence aux matières premières jadis à portée de main, aux caprices climatiques moins contraignantes et permettant un cycle plus long de rénovation chaque trois ans au minimum et à une notoriété au sein des villages et des populations qui ne pouvaient concevoir une cour familiale sans cette expression artistique joignant le beau au bon.

Le guide Abdou Bayeidiena qui évoque, dépité, ces années glorieuses du "dora" explique qu'aujourd'hui, cette identité culturelle est en perte de vitesse. Elle survit surtout grâce à la volonté d'une minorité de femmes dont celles de l'association Pèbatchoga qui en est aujourd'hui le principal dépositaire. « Aujourd'hui certaines personnes trouvent que le travail est salissant et qu'il prend beaucoup de temps donc ils ne s'y intéressent pas », explique Bapoessan Alampoua, membre de l'association, à propos de certaines attitudes hostiles au "dora".

Mais, il n'y a pas que cela, selon ses camarades du groupement. « Les gens ont adopté des styles modernes de construction et préfèrent utiliser les matériaux durables issus de l'industrialisation », argumente Anouwani, un autre membre de l'association Pèbatchoga. Aujourd'hui, la pratique du "dora", rencontre des difficultés et pas des moindres qui découragent plus d'une et poussent aussi à jeter l'éponge. Même l'association Pèbatchoga qui s'évertue à la sauvegarde de ce savoir-faire culturel s'en sort cahin-caha, faute de moyens financiers surtout.

A ce sujet, Kalira Nion explique que l'urbanisation grandissante a réduit les sites d'extraction de certaines matières premières conduisant à parcourir de plus longues distances, d'où des frais plus élevés à débourser. La qualité de ces matières premières étant aussi réduites du fait de la dégradation des sols provoquée, entre autres, par l'usage abusif d'engrais chimiques et de pesticides dans les champs, dit-elle, les dessins ne durent pas plus d'une année avant d'être lessivés par les intempéries.

« Chaque année pratiquement, il faut reprendre les peintures et cela entraine plus de dépenses », s'attriste la responsable de l'association Pèbatchoga. Selon le guide, Abdou Bayeidiena, l'usure du temps et son corollaire de contraintes qui ont poussé au délaissement progressif du "dora" est remarquable. « Dans le temps, si vous allez dans tous les villages Kassena, vous verrez le "dora".

Après les gens ont abandonné. Et dans tous les 67 villages répertoriés de la commune de Tiébélé, ils restaient seulement trois grandes familles qui maintenaient la pratique et cela parce qu'il y avait aussi l'activité touristique dont les revenus permettaient les entretiens réguliers. Aujourd'hui, dans tout Tiébélé, c'est pratiquement au niveau de la cour royale que vous avez encore l'architecture authentique », déplore-t-il.

La chaine de transmission maintenue

Par crainte de la disparition du "dora", le groupement féminin Pèbatchogè a décidé de ne pas déposer ses galets et ses plumes. Des associations ont opté aussi de porter le combat de la pérennisation de ce savoir-faire traditionnel. L'une d'elles, l'Association pour l'entretien et la sauvegarde de la cour royale, a eu une idée originale de raviver la courroie de transmission générationnelle à travers un concours qui est à sa 7e édition.

La dernière tenue en mars 2023, a réuni 130 participantes issues de 10 lycées de la commune de Tiébélé. Les élèves Yasmine, Kafa et Béatrice du lycée d'excellence de Tiébélé étaient du groupe. Elles ont fini à la deuxième marche du podium en se faisant battre de peu au niveau du polissage. « Mais nous étions très heureuses à la fin parce que ce qu'on nous a montré était très passionnant. A la maison, nos mamans n'ont pas le temps pour nous apprendre à le faire et aussi avec les cours, il était difficile pour nous d'aller assister à des séances.

Donc quand l'opportunité du concours s'est présentée, nous étions très contentes d'y prendre part », confie Yasmine, enthousiaste. Pour Yasmine et ses camarades qui s'impatientent pour la prochaine édition, le savoir acquis déjà est une richesse qu'elles comptent garder précieusement et exprimer si l'occasion se présente. A écouter le guide, Abdou Bayeidiena, qui fait partie de l'association promotrice du concours, à chaque édition, il y a cette satisfaction d'avoir formé des générations pour la relève.

« Notre objectif, c'est surtout cela parce que peu de filles ou de femmes viennent aujourd'hui apprendre et se former à la pratique », souligne-t-il. Il se satisfait même que d'édition en édition, l'engouement se fait intense dans les lycées montrant l'intérêt grandissant vis-à-vis du "dora". Le directeur provincial de la Culture, des Arts et du Tourisme du Nahouri, Noé Bado, n'en rêvait pas mieux, selon ses termes.

A côté des actions de promotion et d'accompagnement de son département à la réhabilitation régulière des cases de la cour royale et par ricochet des peintures murales, les initiatives tel que le concours sont un tremplin qui contribuent, dit-il, à rassurer de la non rupture de la chaine de transmission de cet art singulier Kassena.

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