Congo-Kinshasa: Au coeur du pillage capitaliste et de la dialectique de l'Anthropocène se trouve le nouveau prolétariat

Le 30 octobre 2023, l'Université de Kinshasa a fait quelque chose que toutes les universités sérieuses du monde feraient : elle a invité un intellectuel à donner une conférence sur sa compréhension de la situation actuelle dans le monde. Et je pense que Jean-Luc Mélenchon n'a pas déçu son public. Certains extraits de ses communications ont été mis en ligne. MDW se concentrera sur la dialectique qui sous-tend la communication de M. Mélenchon, à savoir celle du capitalisme comme mode de production unique et de l'Anthropocène. Comme Marx le prédisait, au coeur de cette dialectique se trouvent les protagonistes du nouveau prolétariat qui font l'histoire.

Avant de commenter ce sujet, je voudrais d'abord évoquer deux points soulignés par M. Mélenchon, qui ont peut-être été négligés. La première est qu'une grande partie du public qui a pris part à cette conférence (je pourrais même étendre cela à toute l'université) est issue de familles ordinaires. Le fait que l'État paie les salaires de nos enseignants et que nous financions nos études de manière modeste, ce qui, en temps normal, serait extrêmement coûteux, montre que la société congolaise dans son ensemble travaille dur pour soutenir nos jeunes étudiants. Notre apprentissage est redevable aux contributions de l'ensemble de la société congolaise.

Ce fait doit faire de nous des individus responsables dans cette société et non des intellectuels privilégiés hors sol. Au-delà de parents, je pense à la société congolaise dans son ensemble qui soutient notre jeunesse estudiantine. Le fait de devoir faire des études financées par l'État nous impose une responsabilité supplémentaire envers la société.

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Nous seuls pouvons relever les multiples défis auxquels est confrontée la République Démocratique du Congo. Comme l'a souligné l'intervenant, l'un de ces défis est de planifier ou de prévoir l'avenir de la ville de Kinshasa, dont la population double tous les cinq ans. Une ville ne surgit pas de nulle part. Elle est planifiée, construite et anticipée. La ville de Kinshasa, qui dispose d'infrastructures ou de réseaux routiers, d'électricité, d'eau et d'assainissement qui ne devraient desservir que la moitié de ses habitants, se retrouve désormais presque étouffée, notamment son réseau routier, ses réseaux d'électricité et d'eau.

Par exemple, la solution à la congestion du réseau routier est la prolifération des motos, rendant nos vies plus dangereuses. Comment les Congolais réagiront-ils face au doublement de la population urbaine de Kinshasa au cours des cinq prochaines années ? Il faut y réfléchir aujourd'hui car l'anticipation est la définition de l'intelligence. L'homme politique français nous invite à réfléchir à ce à quoi ressembleront notre énergie, notre réseau routier, notre réseau d'eau potable et nos eaux usées lorsque Kinshasa atteindra 20 millions d'habitants.

Revenons maintenant aux réflexions inspirées par le discours du leader des Insoumis. Le cadre global dans lequel se situe l'analyse de M. Mélenchon peut être défini à travers la dialectique du capitalisme et de l'Anthropocène. Il me semble qu'au coeur de cette dialectique se trouve le nouveau prolétariat. Dans le cas du Congo, le processus de prolétarisation a atteint les professeurs d'université, dont moi-même. Afin d'étayer correctement cet argument, je définirai d'abord succinctement les termes de cette dialectique et, enfin, je demanderai à tous les intellectuels congolais de faire un exercice d'anticipation du mode de vie que nous souhaitons tous reproduire. L'autoproduction de nos conditions matérielles dépendra clairement des choix politiques que nous ferons à la fin de cette année.

Nous vivons dans un monde dominé par le capitalisme. C'est le seul mode de production enraciné et imposé à tous sans exception. Mais quel est ce mode de production qui ne laisse aucune alternative depuis l'effondrement de l'Union Soviétique ? Le capitalisme est un mode de production qui produit de la plus-value en exploitant les travailleurs pour le profit personnel des employeurs privés ou publics. Le profit capitaliste, quelle que soit sa nature, constitue désormais un horizon indépassable pour le comportement humain.

Tant que nous parvenons à réaliser des bénéfices, nous n'hésitons pas à laisser mourir des milliers de personnes. Nous l'avons vu avec les médicaments contre le VIH dans les années 1990 et plus récemment avec les vaccins contre le Covid-19 où la vie humaine était considérée comme une variable marchande qui contribue au profit. Celui qui ne peut pas payer doit mourir. Karl Marx est la source de cette analyse du capitalisme. Une prédiction de Karl Marx, qui s'est avérée encore plus précise à notre époque, était que le capitalisme finirait par devenir mondial, prédiction faite dans les années 1840, dans une très petite partie d'Europe qui comprenait la France, l'Allemagne et l'Angleterre.

Il a mis en évidence que les pauvres en Angleterre en 1840 forçaient fréquemment les enfants et même les nourrissons à travailler des quarts de huit heures pour gagner de l'argent. Le début de l'industrialisation en Angleterre a marqué ce qui se poursuivra plus tard avec la mondialisation : la dévaluation des personnes au statut de marchandise en raison de la fragilité de la vie des pauvres. La valeur d'échange a détruit les communautés.

Selon Marx, le mode de production capitaliste a un potentiel effrayant en ce qui concerne le travail, les machines, la technologie, la taille des entreprises, la structure sociale des populations, la diminution de la croissance économique et les relations entre ouvriers et patrons. Aujourd'hui, les craintes de Marx concernant la réduction de l'homme à l'objet se matérialisent à grande échelle avec la mondialisation capitaliste qui répartit les marchés du monde et la mondialisation numérique qui les intègre sous le contrôle des grands groupes.

Les activités humaines ont eu un impact sur la vie même de la planète dans la quête de toujours plus de profit. L'activité humaine a maintenant un impact sur la vie matérielle de la planète. Cela est appelé anthropocène. Par son activisme économique, l'anthropos impacte la vie matérielle des rochers, de la nature ou de la planète. Cela explique le réchauffement climatique et tous les autres problèmes environnementaux auxquels le monde est confronté.

Un nouveau type de prolétariat a été créé par les crises anthropocène et capitalistes. Le prolétaire n'est plus celui qui a ses mains dans le cambouis. Le prolétaire est celui qui est en prison pour travailler comme salarié et dont la vie dépend du salaire qu'il reçoit d'un employeur, qu'il soit privé ou public. Les professeurs d'université qui devaient former la jeunesse du pays ont été transformés en prolétaires par l'État congolais, qui est responsable du réseau salariat. En 2017, le salaire de l'enseignant était de 2000$ par mois, mais aujourd'hui, en raison de la dépréciation du franc congolais, il a été réduit de moitié.

Nous poursuivrons cette réflexion de M. Mélenchon, en particulier concernant l'espace de créolisation de notre langue commune afin de faire face aux défis communs. (A suivre)

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