Les besoins de financement de l'économie nationale sont couverts, ces dernières années, par le recours aux emprunts internes et externes.
Les opérateurs économiques ne cessent d'appeler le secteur bancaire à jouer pleinement son rôle dans le financement des investissements et des projets.
Néanmoins, ce secteur nécessite une transformation, voire une refonte profonde de son système, pour pouvoir financer aussi bien l'économie que les petites et moyennes entreprises (PME) et les particuliers.
Alors que ses fondamentaux sont faibles, l'économie tunisienne pâtit de l'impact de chocs exogènes et endogènes et des défaillances structurelles.
Le taux de croissance annuel moyen est passé de 4,3% pendant les années 2000 à 1,7% durant la décennie 2010, le déficit courant d'une fourchette de 2 à 6% du PIB à une fourchette de 8-11%.
Le recul de la productivité et de l'investissement, passé de 25,4 à 17,8% du PIB entre 2010 et 2019, a affaibli le potentiel de croissance et la compétitivité de la Tunisie, fragilisant ses équilibres extérieurs.
L'économie reste très dépendante de la consommation des ménages (73% du PIB), peu diversifiée et exposée aux aléas cycliques des secteurs agricole (9% du PIB) ou touristique (5% du PIB, mais jusqu'à 14% du PIB de manière indirecte).
Les conséquences de la guerre en Ukraine ont ébranlé la timide reprise post-crise sanitaire.
Après -8,7% en 2020, +3,1% en 2021 et +2,5%, la croissance n'est plus prévue que de 1,3% selon le FMI à 1,6% (loi de finances) pour 2023.
La hausse des prix des hydrocarbures et des denrées alimentaires en 2022 a aggravé les tensions financières déjà élevées du pays.
Leur évolution, en dépit d'une relative accalmie actuelle, reste une menace pour les approvisionnements du pays.
La croissance pâtit désormais de la résurgence de l'inflation qui érode le pouvoir d'achat des ménages, de la hausse des taux d'intérêt, des conséquences des tensions sur les comptes publics, mais également des faibles perspectives de croissance européenne, principal débouché de la Tunisie, en dépit du redressement du tourisme constaté depuis l'an dernier.
Enfin, les perspectives 2023 sont menacées par les conséquences dans le secteur agricole d'une sécheresse aigüe : rationnement de l'eau, effondrement déjà prévu de la récolte céréalière.
Les pressions inflationnistes affichent une tendance haussière jamais vue depuis les années 1990.
De 4,9% fin 2020, l'inflation est remontée à 10,3 % en mars 2023, alimentée principalement par la hausse en 2022 des cours internationaux de l'énergie et de produits agricoles largement importés.
En dépit d'une accalmie passagère, la pression monte sur les équilibres extérieurs.
Le déficit courant est passé de 6% du PIB en 2021 à 8,5% en 2022, malgré la hausse continue des transferts des Tunisiens de l'étranger (+10% à 3,2 Md$) et la reprise des revenus du tourisme (+83% à 1,5 Md$), compte tenu de l'accroissement du déficit commercial (+56%) qui a atteint 25 Md TND (8,4Md$) soit environ 17% PIB en 2022, sous l'effet de la hausse record des importations d'énergie et de produits agricoles.
Les inquiétudes persistent
En dépit d'un répit au début 2023, les inquiétudes persistent sur les capacités de la Tunisie à financer son déficit courant et les risques pour les équilibres externes restent élevés : la perte d'attractivité du pays et l'absence de programme FMI freinent les entrées de capitaux - prêts étrangers et IDE.
Les réserves en devises baissent régulièrement, depuis le pic de 162 jours d'importation fin 2020 à actuellement 93 jours (7,3 Md$).
Tous ces facteurs ont approfondi le déficit qui a explosé à 9,4% en 2020, ramené péniblement à 7,7% en 2021 puis 7,6% en 2022 dans un contexte d'explosion des charges de subvention des prix au carburant et produits de base.
La résorption du déficit prévue en loi de finances à 5,5% du PIB en 2023, dépend d'une décrue des dépenses de subventions (qui doivent être ramenées de 12 à 8,8 Md TND (2,7 Md EUR) soit encore 5,4% du PIB), largement conditionnée à une hausse progressive des prix des carburants, d'une optimisation des ressources fiscales.
La dégradation de la situation des entreprises publiques fait aussi peser des risques sur les finances publiques, principalement dans les transports, l'énergie et l'agroalimentaire.
La trajectoire d'endettement passé de 46,7% du PIB en 2013 à 79,4% en 2022 est jugée insoutenable sans programme de réformes structurelles, d'autant qu'elle ne comprend pas l'endettement des entreprises publiques, qui s'établirait à 40% du PIB, dont 14% du PIB serait garanti par l'Etat.
Compte tenu des craintes croissantes sur la soutenabilité de sa dette, la Tunisie fait face à de grandes difficultés pour emprunter et financer ses besoins.
Les besoins de financement par emprunt ont doublé de 10 à 20 Mds TND en 2020 puis en 2021.
En dépit des efforts apparents de consolidation, le service de la dette maintient les besoins de financement bruts par emprunts en 2023 au niveau très élevé de 24,4 Md TND, dont les 2/3 seraient financés à l'extérieur.
La loi de finances prévoit la levée de 4,5 Md EUR d'emprunts extérieurs, difficilement envisageable.
La Tunisie sollicite le marché domestique : les emprunts domestiques ont couvert les 2/3 des besoins en 2021 contre 1/3 initialement prévu, les pouvoirs publics ont fait appel à un grand emprunt national complémentaire cette année (2,1 Md TND).
Améliorer le rendement du secteur bancaire
La situation budgétaire menace la stabilité économique et financière du pays.
S'il n'y a pas de risque avéré de crise de liquidités, la situation dans le système bancaire domestique se tendra sans intervention supplémentaire de rachat d'obligations souveraines par la Banque centrale.
Mi-2022, l'encours de créances des banques sur l'Etat et les entreprises publiques dépasse 100% de leurs fonds propres, provisions comprises (23 Md TND dont 13 en obligations, 2,5 en prêts syndiqués en devises et 8,2 de prêts aux entreprises publiques). Le maintien de besoins de financement entre 10 et 16% du PIB jusqu'en 2026, selon le FMI, ne laisse à la Tunisie aucune marge de manoeuvre, alors que le recours au système bancaire domestique a atteint ses limites.
Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes) recommande dans une étude, qu'il vient de publier sur «les problématiques de financement de l'économie nationale», la nécessité d'améliorer les performances du système bancaire en vue d'atteindre le niveau de certains pays dans lesquels les crédits représentent plus de 100% du PIB outre la réduction du recours à la dette extérieure à travers l'amélioration du rendement du secteur bancaire et l'amélioration de l'épargne nationale en tant que moyen essentiel de financement des investissements et de consolidation du processus de développement.
L'étude montre, par ailleurs, que les banques publiques et de développement peuvent être des acteurs majeurs du financement de l'économie et ne représentent pas un obstacle au développement du système bancaire, tant au niveau de la concurrence que de l'accès au financement.
Ces banques peuvent aussi avoir un rôle important dans la stabilisation du financement pendant les crises.
Lorsque ces banques sont bien gouvernées, elles sont encore plus capables de financer le secteur réel, notamment à moyen et long terme.